États-Unis : les Américains auraient-ils perdu la foi ?

Moins d’un adulte américain sur deux serait désormais affilié à une église, une synagogue ou une mosquée. Une première depuis 1940, date à laquelle l’institut Gallup, qui a publié ce sondage il y a quelques jours, a commencé à mener ces enquêtes. Que faut-il comprendre de ce chiffre ? 
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Church Etats Unis
Le révérand Manuel Rodriguez dans son église, Notre Dame des Douleurs, à New York, le 5 mars 2021 (AP Photo/Jessie Wardarski)
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Depuis 1940, selon les sondages de l’institut Gallup, le taux des affiliés à un lieu de culte (église, synagogue, mosquée) était relativement stable dans la société américaine : autour de 70%, avec un pic, en 1945, à 76%. Néanmoins, la tendance d’un déclin progressif se dessine à partir de 1999, pour arriver moins de la moitié des Américains (47%) en 2020. 

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Rapport sondage institut Gallup, 29 mars 2021

Un déclin progressif du pourcentage des Américains affiliés à un lieu de culte

Ce phénomène s’expliquerait par plusieurs évolutions : d’abord, les jeunes auraient moins tendance à fréquenter des lieux de culte que les personnes âgées, et une partie d’entre eux n’ont aucune affiliation religieuse. Cela représente 31% des Millennials, c’est-à-dire les individus nés dans les années 2000, contre 7% pour ceux nés avant 1945. Cette diminution serait donc en partie liée au renouvellement de la population. 

Cependant, « toutes les catégories d’âge présentent une baisse de l’affiliation à une communauté religieuse au sein des individus se réclamant d’une religion particulière ».  En d’autres mots, ce phénomène ne concerne pas que les jeunes et ce déclin s’observe aussi parmi les Américains pratiquants. Les chiffres le montrent : entre 1998 et 2000, 73% des Américains pratiquants appartenaient à une église, une synagogue ou une mosquée. Depuis 2017, ce chiffre est tombé à 60%. Certains individus ont donc changé leur pratique ou vivent leur religion en dehors des lieux de culte traditionnels. 

Par ailleurs, ce phénomène serait aussi la conséquence de la poussée des « sans » : le Pew Research Center a mis en avant le fait que la part de la population se considérant comme « sans religion » (athées, agnostiques et sans religion particulière) était passée de 17% en 2009 à 26% en 2019. Si les « sans » sont en croissance, parallèlement, les catholiques et les protestants ne cessent de perdre des fidèles.

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Rapport sondage institut Gallup, 29 mars 2021


Les Démocrates sont la population parmi laquelle l’affaiblissement de l’affiliation à une religion est la plus importante : près d’un quart d’entre eux en 20 ans, contre 12% côté Républicain. Pour David Campbell, professeur à l’Université de Notre Dame, ce déclin s’explique par « une réaction allergique à la droite religieuse ». L’affiliation à une religion serait perçue, notamment chez les jeunes, « comme liée au conservatisme politique, et plus particulièrement au parti des Républicains ».  André Kaspi, historien et spécialiste des Etats-Unis, affirme que « des convictions politiques très fortes entraînent généralement des convictions religieuses, ou au contraire l’absence de convictions religieuses, selon que l'on soit Républicain ou Démocrate : en résumé, le politique déteint sur le religieux ».

Si l’institut Gallup considère qu'« il apparaît inévitable que le déclin se poursuive dans les décennies à venir », les chiffres ne doivent pas être interprétés comme la fin de la religion aux Etats-Unis. 

Une baisse des pratiques religieuses mais pas forcément des croyances

Si la religion occupe une histoire et un poids particuliers aux Etats-Unis, « attention à la religion des chiffres » met en garde André Kaspi.

L’affaiblissement des pratiques religieuses ne s’observe pas qu’aux Etats-Unis, loin de là, mais plus globalement dans toute les sociétés occidentales. En France, par exemple, les « sans religion » sont devenus majoritaires. Le pays est ainsi devenu l’un des plus sécularisés d’Europe. 

Par ailleurs, la baisse de pratique n’entraîne pas nécessairement dans les mêmes proportions une diminution des croyances. L’institut Gallup rappelle que « plus de sept personnes sur dix se réclament d’une religion » aux Etats-Unis. Pour André Kaspi, «il n’y a pas forcément de désaffection totale à l’égard de la religion, mais il y a moins d’enthousiasme pour aller à la messe ou au temple». 

L’historien met en exergue un phénomène récent, celui de l’émergence de nouvelles formes de croyances, mais pas forcément religieuses : « aujourd’hui une partie de l’Amérique manifeste son adhésion à des croyances comme la défense du principe de la race ou d’une vision radicale du féminisme ». Une « autre forme de croyance » qui expliquerait un éloignement de la pratique religieuse. 

La question de la foi des présidents américains

Aux Etats-Unis, la religion occupe un place particulière dans la vie politique. Une des traditions les plus révélatrices exige du président de prêter serment sur la Bible lors de son investiture. Dans toute l'histoire du pays, seuls deux présidents n'ont pas déclaré d'affiliation religieuse : Thomas Jefferson, élu en 1800, et Abraham Lincoln, élu en 1860. Les 44 autres locataires de la Maison Blanche se sont déclarés chrétiens, majoritairement protestants. 

A (re)lire : Elections américaines, épisode 4 : le vote religieux pourrait être dilué par celui des jeunes

Arrivé au pouvoir il y a trois mois, Joe Biden est le deuxième président catholique des Etats-Unis, après John Kennedy. A l’époque, en 1961, le président subit des attaques sur sa religion : il est soupçonné d’être sous influence du Vatican. Selon André Kaspi, « certains disaient "il ne va pas pouvoir diriger les Etats-Unis car il va obéir au Pape et non au peuple"». L’historien ne manque pas de souligner que personne n’a soulevé cet argument à l’encontre de Joe Biden pendant la campagne électorale : « au contraire, on met en valeur le fait qu’il aille à l’église, qu’il ait parfois des propos issus de la pensée évangélique… Il y a donc un changement qui s’est manifesté aux Etats-Unis à l’égard des croyances religieuses », et de poser la question « est-ce que ça veut dire un affaiblissement de la religion ou un développement de la tolérance ? Je ne sais pas».