Fil d'Ariane
Dans un autre tweet daté du 28 avril, il précise que "démystifier la religion n’est pas (selon lui) de la haine" mais de "la satire".
Du côté de la presse américaine, Adam Gopnik, éditorialiste au New Yorker, s'est également fait le défenseur de l’hebdomadaire français dans une tribune intitulée "Charlie Hebdo n’est pas pour ceux qui usent de subtilité et de douceur dans leurs satires". Il en va de même pour l’éditorialiste du Washington Post, Richard Cohen, qui dans son édito du 4 mai déclare : "ces gars n’ont peut-être pas de goût, mais ils ont des tripes".
L'écrivain nord-irlandais et contributeur de Charlie Hebdo, Robert McLiam Wilson, a, quant à lui, rédigé un article dans le quotidien britannique The New Statesman intitulé "Si vous ne parlez pas français, comment pouvez-vous juger si Charlie Hebdo est raciste ?" Dans celui-ci il se demande si "Les auteurs qui boycottent Charlie à New York parlent tous français ? Si tel n’est pas le cas, alors, sérieusement, comment leur opinion pourrait-elle être éclairée ? Vous feriez tout aussi bien de demander à votre perruche son avis !"
Malgré la controverse grandissante, la cérémonie aura lieu ce mardi à Manhattan. Et l'auteur franco-congolais, Alain Mabanckou qui, dans sa tribune "Il n’y a pas de France sans arrogance" a défendu le choix du Pen, remettra le prix à l’équipe de Charlie.
Entretien avec Dorothea Hahn, correspondante aux Etats-Unis du journal allemand Die Tageszeitung
Ils ont soutenu et continuent de soutenir ce que fait Charlie Hebdo sur la base du principe de la liberté d’expression. Et s’ils ne se distancient pas de ce support ni de cette solidarité, ils considèrent néanmoins que Charlie Hebdo ne mérite pas un prix. Pas tant parce qu’ils n’apprécient pas les caricatures en tant que telles, mais davantage en raison du potentiel politique de celles-ci. Pour eux, même si Charlie Hebdo attaque toutes les religions, les premières "cibles " du journal seraient les musulmans. Or, ces écrivains considèrent la communauté musulmane, en France, comme une communauté marginalisée sans pouvoir de réponse, sans pouvoir économique etc.
Le nombre grandissant d'écrivains signataires ne m’étonne pas. Dès que les attentats à Charlie Hebdo ont eu lieu, il y a eu une réaction assez virulente aux Etats-Unis. Obama, par exemple, n’était pas à Paris pour la manifestation du 11 janvier. Par la suite, il a présenté des excuses. Mais peut-être n’était-ce pas un hasard ? Aux Etats-Unis les médias ont, à quelques exceptions près, presque tous choisi de ne pas publier les caricatures. La télé publique, les grands journaux comme le New-York Times, Wall Street Journal etc., tous ont justifié cette auto-censure face à leurs lecteurs ou téléspectateurs, en disant qu’ils considéraient ces dessins insultants, anti-religieux etc. Par ailleurs, le public américain, pour la plus grande partie, et cela inclut les écrivains, ne parle pas français, ne connaît pas l’histoire de la France et encore moins l’histoire et la tradition française de la laïcité. Il n’existe même pas de mot pour dire laïcité en anglais. Il faut également dire que la grande majorité des Américains ne connaît pas le journal dont il est question, à savoir , Charlie Hebdo.
Ce qui est évident, en revanche, c’est que ce journal ne serait jamais publié aux Etats-Unis. Les gens ne l’achèteraient pas, ne le liraient pas. La plupart pense que c’est une forme très française qu’il ne faut pas soutenir. Soutenir Charlie contre les assassinats, oui. Mais pas promouvoir les caricatures de Charlie Hebdo par un prix.
Je ne dispose pas de chiffres concrets. Mais ce qui est sûr c’est que, ces derniers jours, ce sont les opposants à la remise du prix qui mènent le débat. A l’exception notable de Richard Cohen, qui a signé un édito dans le Washington Post en soutien à la remise de ce prix ce lundi 4 mai, pour l’instant, les partisans ne s’expriment pas trop sur le sujet. Ils l’ont fait au moment de l’annonce de la décision du Pen. Quoi qu’il en soit, le prix sera remis aujourd'hui lors de la cérémonie.
Parmi les 200 signataires qui ne souhaitent pas voir Charlie Hebdo décoré, tous ne sont pas religieux. Certains se déclarent même ouvertement athées. Ce qui n’est pas rien aux Etats-Unis. Cependant, oui, il faut mettre ces réactions en perspective avec la place qu'occupe la religion dans la société américaine. Ici la religion fait partie des choses que l’on ne critique pas. Point à la ligne. Beaucoup considèrent que ceux qui vont dans un tel extrême dans la critique de la religion, sont eux même des extrémistes. Partant de là, il est très difficile d’apprécier une situation qui est totalement différente de celle de la France, où la laïcité, ainsi que la critique de la religion occupent un espace important.
Il existe une vraie différence culturelle entre les deux pays. La laïcité, même si elle comporte des lacunes, joue un rôle énorme dans l’histoire française. Ici, il n’y a pas d’espace de laïcité. La laïcité tout court n’existe tout simplement pas. En revanche, il existe un énorme espace politique pour la religion. En fait, la religion joue un rôle dans l’histoire américaine comparable a celle de la laïcité dans l’histoire française.
Les Etats-Unis se sont fondés sur deux principes, l’asile donné aux religieux persécutés en Europe et la liberté d’expression. Concernant la liberté d’expression aux Etats-Unis, j’irai même jusqu’à dire qu’elle est encore plus grande quand ce sont des religieux qui l’utilisent. Et cela a aussi un lien avec l’affaire Charlie Hebdo. Par exemple, dès le lendemain des assassinats, un des plus grands journaux américains, USA Today, a laissé un religieux musulman radical de Londres s’exprimer dans ses colonnes. Il y disait, entre autres : "si quelqu’un insulte le prophète, tue-le". Cela a été publié. Et dans les jours qui ont suivi, des religieux issus d’autres confessions, même s’ils n’ont pas parlé de tuer, ont fermement dénoncé ces caricatures comme intolérantes envers la religion.
Ce qu'il faut bien comprendre c'est que la religion ici a vraiment un poids énorme. Il est même possible d’avoir une religion entièrement basée sur la haine comme par exemple celle du Westboro Baptist Church (WBC) qui a pour fondement la haine des homosexuels. Pendant des années les membres de cette communauté ont organisé des manifestations lors des enterrements de soldats homosexuels. Des manifestations très agressives contre les soldats morts durant les guerres d’Irak ou d’Afghanistan. Pourtant ceci est tout à fait légal ici. Il en va de même pour l'église "Dove World Outreach Center" qui brûle le Coran à la date anniversaire des attentats du 11 septembre ou encore pour les religieux fondamentalistes chrétiens qui insultent les femmes qui se rendent dans des plannings familiaux. Tout cela démontre l’espace et la tolérance envers le principe religieux dans la société américaine.
Comme il n’y a pas de débat sur le fait religieux et son rôle dans la société, on laisse bien souvent la religion aux religieux. Et ceux qui osent critiquer les religions le font généralement par des moyens très agressifs. C’est notamment le cas de l’extrême droite américaine, islamophobe, qui, dimanche, a organisé un événement à Dallas, au Texas. Il s’agissait d’une forme d’expression ouvertement anti-islam et revendiquée comme telle. La manifestation avait même pour thème "l’art anti-islam".
Pour l’instant nous n’avons que peu d’informations sur les agresseurs présumés abattus par la police (dimanche 3 mai, la police a abattu deux hommes armés qui avaient ouvert le feu près d’un centre ou se tenait un concours de caricatures de Mahomet en présence du populiste néerlandais Geert Wilders, ndlr). Mais dans les médias américains, cela est présenté comme un événement qui aurait pu devenir un "Charlie Hebdo à l’américaine". Alors que les intentions des organisateurs étaient totalement différentes.