États-Unis : les élections de mi-mandat sous l'emprise de la désinformation sur les réseaux sociaux

Mardi 8 novembre, les électeurs américains se rendent aux urnes pour voter lors des élections de mi-mandat. Ce scrutin doit permettre de renouveler les 435 députés de la Chambre des représentants et un tiers du Sénat. Cette année, la désinformation prend de l’ampleur, galvanisée par la viralité des réseaux sociaux.
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La foule est en train d'applaudir les intervenants du parti démocrate lors d'un meeting de campagne pour les léections de mi-mandat en Pennsylvanie. États-Unis, 5 novembre 2022.
AP/Matt Rourke
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Aux États-Unis, l’heure est aux dernières tractations avant les élections de mi-mandat. Républicains et Démocrates se disputent le vote des Américains pour tenter de remporter le suffrage.

À deux ans de la prochaine élection présidentielle de 2024, l’enjeu est de taille.  Le parti qui aura la majorité à la Chambre des représentants, qui compte 435 sièges au total, et qui parviendra à obtenir le plus de sénateurs - un tiers des sièges sont en jeu -  prendra le contrôle du Congrès américain. Aux États-Unis, c'est là que sont discutées et votées les lois. 

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Une fois qu'ils sont élus, tous les membres du Congrès américain siègent au Capitole. Washington DC, 4 novembre 2022. 
AP/Scott Applewhite

Le traumatisme de 2020 dans toutes les mémoires

Mais ce scrutin se déroule dans un climat particulièrement tendu. Les autorités américaines craignant que la désinformation et les profondes divisions politiques ne débouchent sur des actes violents. Certains agents électoraux et élus ont d'ores et déjà dit avoir constaté une hausse des menaces et intimidations. 

Leurs inquiétudes sont fondées sur l’issue des dernières élections majeures qu’ont connues le pays. En 2020, Donald Trump avait déjà accusé, sans preuves, les autorités de plusieurs États d'avoir volé l'élection présidentielle en truquant le vote par correspondance. Des millions d'Américains adhèrent encore à cette théorie.

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Appels à la prudence

Au vu de tous ces enjeux, les experts en désinformation sont nombreux à appeler à la "prudence". Notamment sur le célèbre réseau social à l’oiseau bleu, Twitter.  "Il va falloir être très prudent sur cette plateforme dans les jours qui viennent... Sur ce que vous retweetez, à quel compte vous vous abonnez et par rapport à votre propre perception de ce qui se passe", a par exemple averti Kate Starbird, une chercheuse en désinformation rattachée à l'université de Washington. 

La professeure estime notamment qu'il existe, selon elle, un risque accru que des personnes malveillantes se fassent passer pour d'autres, mènent des "campagnes coordonnées de désinformation" ou encore répandent des canulars suffisamment bien conçus pour être partagés par d'autres utilisateurs peu attentifs.

"Elon Musk a acheté une machine qui répand des mensonges dans le monde entier"

Et le récent rachat de Twitter par Elon Musk inquiète également les autorités américaines. Notamment parce que le milliardaire à la personnalité fantasque, patron de SpaceX et Tesla, prône une vision absolue de la liberté d'expression. Il a beau répéter que la modération des contenus n'avait pas changé chez Twitter depuis son arrivée et promettre de former un conseil dédié à cette tâche, il peine à convaincre ses détracteurs. Surtout quand il relaye lui-même de la désinformation. Récemment, il a par exemple retweeté une théorie du complot sur l'agression du mari de Nancy Pelosi, la cheffe des démocrates au Congrès. Reconnaissant son erreur, il a lui-même supprimé son message par la suite. "Elon Musk a acheté une machine qui répand des mensonges dans le monde entier", a lancé vendredi Joe Biden lors d'un rendez-vous de campagne.

Nos efforts en faveur de l'intégrité des élections - y compris la lutte contre la désinformation visant à décourager le vote et contre les opérations d'influence étrangères - restent une priorité absolueYoel Roth, responsable de la sûreté et de l’intégrité au sein de Twitter.
 

Dès son arrivée à la tête de Twitter, Elon Musk a par ailleurs licencié près de 50% des effectifs du groupe. Ce qui a fait craindre un amoindrissement des moyens accordés à la lutte contre la désinformation. Yoel Roth, le responsable de la sûreté sur le site, s'est voulu rassurant en tweetant que "l'essentiel des capacités de modération sont restées en place". Les équipes de modération des contenus n'ont subi que 15% de départs, a-t-il précisé, et "le personnel en première ligne est le moins concerné". Il a aussi assuré que le volume quotidien d'actions de modération était resté "stable" cette semaine. "Nos efforts en faveur de l'intégrité des élections - y compris la lutte contre la désinformation visant à décourager le vote et contre les opérations d'influence étrangères - restent une priorité absolue", a-t-il déclaré.

L'inquiétude est également de mise puisque c’est à travers les réseaux sociaux que Donald Trump avait galvanisé les troupes à l’origine de l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021. Suite à cet épisode, le milliardaire avait été banni de Twitter. Pour répondre aux inquiétudes grandissantes, Elon Musk a signifié que l'ancien président américain Donald Trump ne sera pas de retour sur Twitter avant les élections de mi-mandat prévues le mardi 8 novembre. 

Joe Biden craint une “menace” pour la démocratie 

Quelques jours avant le jour de vote pour les élections de mi-mandat,  décisives pour le président Biden, son camp tentait tant bien que mal d'axer le débat sur les risques pour la démocratie. Plusieurs de ses soutiens essayaient également de riposter sur les questions économiques, plus favorables aux Républicains.

Un nombre inquiétant de Républicains suggèrent qu'ils n'accepteront pas les résultats.Karine Jean-Pierre, porte-parole de la Maison Blanche.
Mais le contexte actuel a pris le pas sur les autres thématiques de campagne. L'actuel président démocrate de 79 ans a donc ajouté mercredi 2 novembre à son agenda un discours de campagne, en fin de journée à Washington, sur "les enjeux que les élections de la semaine prochaine représentent pour la démocratie". Joe Biden "a dit clairement que la démocratie était en danger et nous ne pouvons pas prétendre le contraire", selon sa porte-parole Karine Jean-Pierre. "Un nombre inquiétant de républicains suggèrent qu'ils n'accepteront pas le résultat" de ces "midterms", a-t-elle affirmé lors de son briefing quotidien.

Menaces et intimidations dans les bureaux de vote 

Autre signe inquiétant à l’approche des élections de mi-mandat, les employés de bureaux de vote sont de plus en plus victimes de harcèlement aux Etats-Unis. Selon les autorités locales, c’est aussi le résultat des théories du complot nées des élections de 2020. "Nous avons vu des États où un quart, voire un tiers des employés électoraux ont démissionné.", indique Tammy Patrick, de l'ONG Democracy Fund et ex-responsable électorale de l'Arizona.
 
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Ces théories tenaces et infondées alimentent les craintes de violence. "Les seuls problèmes qu'on ait eus ont été de gérer la désinformation", confie de son côté Richard Keech, un responsable du comté de Loudoun, en Virginie. "Dans les 24 heures, des électeurs arrivaient à l'accueil en insistant pour voir la photo de leur bulletin pour s'assurer que leur vote avait été correctement comptabilisé", raconte Richard Keech, qui a travaillé plus de dix ans autour des élections. "Voilà comment la désinformation touche les électeurs."

Les jeunes générations très exposées à la désinformation via TikTok 

Si la campagne bat son plein sur Twitter à quelques jours des élections américaines de mi-mandat, un autre réseau social marque aussi son influence. Il s’agit de TikTok, où là aussi la désinformation n'est pas non plus en reste. Des vidéos virales, évoquant sans aucun fondement l'existence de fraude électorale ou de vols de bulletins postaux, ont notamment trouvé refuge sur le réseau. "Les hackers peuvent facilement changer les résultats de l'élection! Pas la peine d'aller voter !", peut-on entendre dans une vidéo dont le contenu a été élaboré par des chercheurs de l'ONG Global Witness.
 
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Logo de l'application mobile TikTok.
AP/Michael Dwyer

En dépit des règles établies par le géant chinois, des analystes craignent l'influence que pourraient avoir les intox partagées sur la plateforme prisée des jeunes. Et peut-être de manière encore plus inquiétante, TikTok a approuvé sur sa plateforme des publicités politiques payantes contenant de la désinformation, alors même que l'entreprise avait affirmé interdire en 2019 une telle pratique. Lors du deuxième trimestre 2022, TikTok a supprimé 113 millions de vidéos pour violation de ses règles communautaires, soit environ 1% de son contenu publié. Les analystes, quant à eux, n'expriment aucun réel optimisme quant à une amélioration à l'avenir, se rappelant du déroulement de la dernière présidentielle américaine et du rôle des réseaux sociaux dans la propagation de rumeurs sur l'élection.

Plus de huit millions de jeunes Américains actifs sur le site pourront voter pour la première fois ce 8 novembre. Selon un sondage du Pew Research Center, plus d'un quart des Américains entre 18 et 29 ans consultent aujourd'hui TikTok pour s'informer. Lors de l'expérience réalisée conjointement avec l'université de New York, et visant à tester les limites de l'interdiction établie par TikTok, plus de 90% des publications trompeuses rédigées par l'équipe ont été autorisées sur le site. "Nous sommes assez choqués de ces résultats", confie à l'AFP Jon Lloyd, un conseiller de Global Witness, qui décrit TikTok comme l'un des "bonnets d'âne" en matière de modération.