États-Unis : les géants des réseaux sociaux, censeurs ou profiteurs du trumpisme ?

Donald Trump s’est vu retirer l’utilisation des réseaux sociaux, par les plateformes elles-mêmes. Un dernier coup de massue pour la fin de mandat chaotique du 45e président des Etats-Unis, privé de ses outils de communication favoris.

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Snapchat Trump RS
Donald Trump a été récemment "banni" de plusieurs réseaux sociaux tels que Facebook, Twitter, Snapchat..
© AP/Amr Alfiky
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Facebook, Instagram, Twitter, Snapchat... À défaut de prôner la distanciation sociale, Donald Trump sera forcé à une mise à l’écart version 2.0, au moins jusqu’à la fin de son mandat. Ces derniers jours, les comptes du futur ex-président des Etats-Unis sur différentes plates-formes de réseaux sociaux ont été suspendus en raison de la diffusion de messages jugés menaçant pour la sécurité intérieure du pays, notamment après les incidents survenus au Capitole le 6 janvier 2021.

Trois jours après, Twitter a décidé, après l’avoir fait temporairement, de suspendre « de manière permanente » le compte du président : « Après avoir examiné le contenu de tweets récents publiés par le compte @realDonaldTrump, et au vu du contexte actuel, nous avons pris la décision de suspendre ce compte afin de limiter les risques d’incitations à la violence » a déclaré la plateforme.

Facebook et Instagram, eux, ont garanti la suspension des comptes du 45e président des Etats-Unis au moins jusqu’à la passation des pouvoirs du 20 janvier. Dans son dernier message publié sur son compte Twitter personnel, Donald Trump a d'ailleurs annoncé qu'il ne participera pas à cette cérémonie, une première depuis 1869.

Voir aussi : Etats-Unis : Twitter prive Donald Trump de son outil favori

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Une suspension tardive

Empêcher la propagation de messages pouvant inciter à la violence à 10 jours de la fin de la mandature Trump changera-t-il vraiment la donne? Pour Thomas Huchon journaliste de Spicee, spécialiste des réseaux sociaux et auteur du documentaire Unfair game : comment Trump a manipulé l’Amérique? , ce qui s’est passé au Capitole a toutefois permis de mettre en évidence le lien entre les discours qui se tiennent sur les réseaux sociaux et la réalité : « Les gens prennent conscience que ces plateformes ont des conséquences dans la vie réelle, et qu'on a laissé des entreprises « empires » détruire quelque chose d’à la fois vital et impalpable, à savoir notre capacité à vivre ensemble. »

Car ce n’est pas la première fois que Donald Trump est accusé de diffuser des messages problématiques, et les réseaux sociaux de les partager. Dans cette vidéo de fact-checking, Thomas Huchon explique les dangers que représentent les propos tenus dans une vidéo du parti républicain, énormément partagée sur Facebook.
 


Dans cette vidéo de publicité politique financée par l’équipe de campagne du candidat républicain, Donald Trump critique Joe Biden de vouloir modifier l’amendement qui autorise le port d’armes, et de prolonger le délai légal permettant aux femmes d’avorter. Or, le futur président démocrate n’a jamais tenu ses propos.

Mark Zuckerberg, le patron de Facebook, s’est longtemps défendu de la diffusion de ces discours au nom de la liberté d’expression, valeur reine aux Etats-Unis car elle fait l’objet du tout premier amendement de la constitution américaine. Toutefois, les récents événements ont poussé la troisième fortune mondiale à passer à l’action : « Au cours des dernières années, nous avons permis au Président Trump d'utiliser notre plateforme compatible avec nos propres règles, en supprimant parfois du contenu ou en étiquetant ses publications lorsqu'elles enfreignent nos politiques. Nous l'avons fait parce que nous pensons que le public a droit au plus large accès possible à la parole politique, même controversé. Mais le contexte actuel est maintenant fondamentalement différent, impliquant l'utilisation de notre plateforme pour inciter à une insurrection violente contre un gouvernement démocratiquement élu », a écrit Mark Zuckerberg sur son compte personnel. 
 

The shocking events of the last 24 hours clearly demonstrate that President Donald Trump intends to use his remaining...

Publiée par Mark Zuckerberg sur Jeudi 7 janvier 2021


Pour le journaliste Thomas Huchon, la responsabilité des réseaux sociaux dans les événements récents qui ont frappé les Etats-Unis est indéniable : « il y a quelque chose de malhonnête de la part de ces plateformes à avoir gagné beaucoup d’argent en laissant passer des mensonges, et de venir aujourd'hui nous dire que c'est plus possible. » Pour donner un ordre d'idée, rien qu'en octobre 2018, Facebook avait fait savoir qu'environ 256 millions de dollars (223 millions d’euros) avaient été dépensés sur son réseau au cours des six derniers mois en publicités politiques aux Etats-Unis.

Twitter, lui, a changé d'avis récemment en octobre 2019 concernant ses "tweets sponsorisés" - qui sont facturés - à usage politique et a préféré tout simplement les supprimer. Une prise de décision à nuancer pour le journaliste : « Twitter c'est un réseau de 326 millions d’utilisateurs, qui sont majoritairement des militants, des journalistes, des politiques. Facebook, qui en compte 2,7 milliards, est un réseau qui rentre beaucoup plus intimement dans le quotidien. Twitter a sans doute eu une politique un peu moins permissive et a cherché à combattre les mensonges qui pouvaient être diffusés. Mais Twitter a d'autres problèmes, comme celui de sa tolérance face aux messages de haine sur son réseau. »

Un arbitrage qui vient aussi un peu tard, selon lui, mais qui permet de mettre en évidence un modèle économique : « Ces entreprises, comme toute entreprise privée, défendent leurs propres intérêts. […] Elles reposent sur le calcul d’un ratio bénéfice/risque. Le risque ici est de laisser quelqu'un dire n'importe quoi, mais qui ferait gagner de l’argent car capterait l’attention de beaucoup de personnes qui finiraient par se rendre sur ces plateformes. Sauf qu’à un moment, si les conséquences sont aussi graves (cf les événements du Capitole), le risque est trop grand et l’image de marque de ces plateformes risquent d’être dégradée. À partir du moment où on tient compte de cette équation, ça devient évident de constater que la suspension des comptes [de Donald Trump] n’est en fait qu’une opération de communication. »

Algorithme et démocratie

Depuis le scandale de Cambridge Analytica de 2016 qui a révélé la fuite de données de dizaines de millions d’utilisateurs Facebook lors de l'élection américaine de 2016, le plus gros réseau social au monde est scruté de près. Car depuis, des voix se sont aussi élevées pour dénoncer les méthodes déployées en interne. Notamment, sur la nature de ces algorithmes qui visent à relayer l’information, similaire à l'ensemble des plateformes de réseaux sociaux.

Voir aussi : Facebook : Alexandria Ocasio Cortez : 1 - Mark Zuckerberg : 0

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Roger McNamee, investisseur de la première heure de Facebook et ancien proche de Mark Zuckerberg n’a pas cherché à cacher son inquiétude lors d’une interview consacrée à 20 minutes : « L’algorithme [de ces plateformes] met en valeur les contenus les plus « engageants » [qui créent des réactions] et les deux tiers de la population réagissent à la peur et à l’indignation. Vous appuyez sur le cerveau reptilien, c’est-à-dire la partie de notre câblage la plus basique. L’idée qu’une entreprise déclencherait ce genre de réactions émotionnelles pour des raisons financières, c’est aussi immoral que de rendre les gens accros à la nicotine. Et c’est jouer avec le feu. Il existe trois catégories de contenus qui déclenchent ces réactions : le discours de haine, la désinformation et les théories du complot.​ »

La suppression des comptes de Donald Trump et de certains de ses partisans (appartenant à la mouvance conspirationniste QAnon) a cependant suscité beaucoup de réactions, notamment au sein de la classe politique en France : « La régulation du débat public par les principaux réseaux sociaux au regard de leurs seuls CGU (conditions générales d'utilisation), alors qu'ils sont devenus de véritables espaces publics et rassemblent des milliards de citoyens, cela semble pour le moins un peu court d'un point de vue démocratique […] Au-delà de la haine en ligne, nous avons besoin d'inventer une nouvelle forme de supervision démocratique » , a pu déclarer Cédric O, secrétaire d'Etat au numérique. Des deux côtes du spectre politique, François Ruffin, député de gauche de la France Insoumine a dénoncé une décision « scandaleuse » tandis que Marine Le Pen, présidente du Rassemblement National, parti d'extrême droite, a, elle, pointé du doigt une volonté des « géants du numérique […] d’influer sur la démocratie en décidant qui a le droit de parler. »

Pour le journaliste de Spicee, Thomas Huchon, le président Donald Trump s’est avant tout vu retiré des plateformes car il n’a pas respecté les règles d’utilisation qui s’applique à l’ensemble des utilisateurs. Par ailleurs, il remet en question la « censure » évoquée par beaucoup : « Donald Trump est-il interdit de parler? Est-ce qu'il ne peut pas s'exprimer dans la presse? La différence [avec les réseaux sociaux] c'est que dans ces journaux, il va être soumis à une critique. Est-ce que c'est pas ça dont les gens ont peur? Qu'on puisse les empêcher de dire n'importe quoi?