Fil d'Ariane
"Aucune confiance", "Le FBI est corrompu". Les slogans arborés par des militants d'extrême droite devant les locaux du Bureau Fédéral d'Investigation de Chelsea dans le Massachussetts ce dimanche 21 août sont cinglants. La manifestation, qui a réuni une quarantaine de militants, s'est déroulé sans heurts, malgré la présence de contre-manifestants. Et le chef de la police de Chelsea de commenter dans le Boston Globe "c'était une manifestation pacifique avec des gens qui se sont réunis pour exercer leur droit lié au Premier amemendement" sur la liberté d'expression, de presse et de religion et de manifester. Le FBI avait pris les devants après l'annonce de cette protestation, l'agence étant particulièrement sur ses gardes ces derniers temps.
Le FBI a l'habitude d'être critiqué, mais depuis la perquisition de Mar-a-Lago, la résidence de l’ancien président Donald Trump, le Federal Bureau of Investigation fait face à une vague de menaces et d’attaques d’une ampleur nouvelle. Surtout, ces appels à la violence sont relayés par les conservateurs républicains, qui, traditionnellement, représentent le socle politique du FBI.
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"C'est le monde à l'envers!", s'exclame Kenneth O'Reilly, un ancien professeur d’histoire de l'Université de l'Alaska, auteur de plusieurs ouvrages sur le FBI. Selon lui, le FBI a toujours été une "institution profondément conservatrice", soutenue aussi bien par les démocrates que par les républicains.
Mais depuis la perquisition du domicile de Donald Trump en Floride, le 8 août dernier, et la saisie par la police fédérale de documents classifiés "top secret", les attaques des partisans de l'ex-président républicain n'ont pas cessé. Donald Trump lui-même a dénoncé cette perquisition, qualifiant le FBI de "Fascist Bureau of Investigation" et l'accusant d’avoir fabriqué des preuves contre lui.
La présidente du parti républicain, Ronna McDaniel, a accusé le FBI "d'abus de pouvoir". Le sénateur républicain Marco Rubio a comparé le FBI à la police politique d'une dictature marxiste. Marjorie Taylor Greene, représentante républicaine de Géorgie et proche des mouvements mouvements complotistes, a appelé sur Twitter à “éventrer le Département de la Justice”, et couper les subventions au FBI, évoquant à plusieurs reprises l’idée d’une guerre civile.
The FBI is raiding President Trump’s home in Maralago!
— Rep. Marjorie Taylor Greene (@RepMTG) August 8, 2022
This is the rogue behavior of communist countries, NOT the United States of America!!!
These are the type of things that happen in countries during civil war.
The political persecution MUST STOP!!! pic.twitter.com/i4DYygLsvj
L’idée d’une guerre civile aux États-Unis peut sembler improbable. Mais les appels à la violence sont de plus en plus nombreux. Selon Rita Katz, fondatrice du SITE Intelligence Group, une ONG qui étudie les mouvement terroriste, la perquisition de Mar-a-Lago a entraîné des appels à la guerre civile. Sur les réseaux fréquentés par l’extrême-droite, comme Telegram ou Truth Social, “les appels du genre 'C’est pour ça que nous avons un Deuxième Amendement' et 'Quand est-ce qu’on ouvre le feu' se sont multipliés", explique-t-elle dans une interview à la radio américaine NPR.
Et ces menaces se concrétisent de plus en plus. Le 11 août, un homme armé a tenté d'entrer par la force dans les locaux du FBI à Cincinnati, dans l'Ohio, après avoir lancé un "appel aux armes" sur le réseau social de Donald Trump, Truth Social. L'homme, qui a été abattu par les forces de l'ordre, a été identifié comme Ricky Schiffer, un ancien marine qui aurait participé à l’assaut du Capitole, le 6 janvier 2021. Dans plusieurs posts sur les réseaux sociaux, il estimait qu'il fallait "répondre par la force" à la perquisition chez Donald Trump et "tirer à vue sur les agents du FBI".
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Le 12 août, un homme de 46 ans a été arrêté en Pennsylvanie après avoir publié des menaces similaires : "Si vous travaillez pour le FBI, vous méritez de mourir", avait-il posté. Le 13 août, un petit groupe de supporters pro-Trump lourdement armés s’est rassemblé devant les bureaux du FBI à Phoenix, dans l’Arizona pour protester contre la perquisition de Mar-a-Lago, qu’ils jugent illégale. Le 14 août, un homme s’est donné la mort après avoir foncé dans une barricade de sécurité aux abords du Capitole.
Après cette dernière attaque, le FBI et le ministère de la Justice ont mis en garde, dans une note d’avertissement, contre une augmentation des menaces envers les agences fédérales et plus globalement, les forces de l’ordre. "La violence et les menaces contre les forces de l'ordre, y compris le FBI, sont dangereuses et devraient profondément inquiéter tous les Américains", a déclaré le directeur de l'agence fédérale, Christopher Wray.
Selon la chaîne américaine NBC News, qui a pu consulter cette note confidentielle, ces menaces circulent principalement en ligne, et contiennent parfois des informations précises sur de potentielles cibles, comme l’adresse de leur domicile ou les identités de leurs proches. Selon un rapport du Center for Strategic and International Studies (CSIS) sur le terrorisme intérieur, 43% des attaques terroristes survenues aux États-Unis en 2021 avaient pour cible une organisation gouvernementale, militaire, ou les forces de l’ordre. Une tendance qui s’inscrit directement dans la lignée de l’attaque du Capitole en janvier 2021.
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Longtemps idéalisé au cinéma et à la télévision, le FBI des Incorruptibles et du sulfureux J. Edgar Hoover, son premier directeur, n'a pourtant pas une réputation sans tache, rappelle Kenneth O'Reilly. Les années 1960, au cours desquelles le FBI a procédé à des écoutes illégales des militants des droits civiques, discrédité la réputation de Martin Luther King et attisé les violences entre groupes rivaux, ont été particulièrement difficiles pour le Bureau. Mais "il n'y a pas eu de violences dirigées contre des agents du FBI" à l’époque, souligne l'historien.
La seule attaque violente contre le FBI remonte à 1995, lorsque deux extrémistes blancs ont fait exploser un véhicule piégé devant un immeuble d'Oklahoma City abritant ses bureaux, tuant 168 personnes. Les auteurs de l'attentat voulaient protester contre la gestion par le FBI de prises d'otages à l'issue tragique en 1992 et 1993.
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Mais tout au long de ces périodes troublées, le FBI avait conservé le soutien de la population américaine et de la classe politique : ce n’est plus le cas aujourd’hui. Pour Kenneth O'Reilly, ce sont ces menaces ouvertes de politiciens contre les agents du FBI qui sont les plus choquantes. "Je parierais que la grande majorité des agents du FBI ont voté Trump", dit-il. "C'est donc incroyable que les éléments les plus conservateurs du parti républicain voient le FBI comme un organe de la gauche radicale".
Le mouvement anti-FBI actuel se nourrit de la pression judiciaire croissante sur Donald Trump. L’ancien président des États-Unis est actuellement sous le coup de plusieurs enquêtes, notamment sur l'assaut du Capitole le 6 janvier 2021. Une pression considérée comme une persécution politique par ses partisans, parmi lesquels on retrouve de nombreux membres de groupes d’extrême-droite, aussi appelée "alt-right".
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Les Boogaloos Bois notamment, un groupe nihiliste anti-forces de l’ordre, militent pour une nouvelle guerre civile aux États-Unis. Les Proud Boys, connus notamment pour leur rôle dans l’assaut du Capitole, promeuvent aussi l’idée d’un État profond qui chercherait à neutraliser Donald Trump avant qu’il ne se présente à l’élection de 2024.
Une théorie complotiste devenue populaire et largement reprise aujourd’hui par les Républicains qui font bloc pour condamner la perquisition de Mar-a-Lago. Une condamnation unanime qui s’accompagne d’une normalisation du discours de groupes “alt-right”.
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Dans un contexte où chaque procédure contre Donald Trump est qualifiée de persécution politique, les tensions risquent de se multiplier à l’approche des élections de mi-mandat, et surtout de la prochaine présidentielle. Les avancées des nombreuses enquêtes en cours contre l’ancien président pourraient aussi jouer un rôle d’accélérateur et déboucher sur de nouvelles attaques contre de grandes institutions américaines. Avec cette fois, l’aval du parti Républicain, unifié autour d’un Donald Trump érigé en martyr de l'État profond.