Etats-Unis, Philippines… : ces pays qui défient la Cour pénale internationale

Les Etats-Unis retirent leurs visas aux membres de la Cour pénale internationale voulant enquêter sur les agissements de l'armée américaine tandis que les Philippines se retirent de la juridiction internationale. Pourquoi de plus en plus de pays défient-ils cette organisation censée juger les crimes contre l'humanité ? 
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CPI house
Le "Palais de la Paix", siège de la Cour pénale internationale à La Haye (AP Photo/Mike Corder)
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Pourquoi, en l'espace de 24 heures, les Etats-Unis appliquent-ils leurs premières sanctions (sous la forme de restrictions de visas) et les Philippines officialisent-elles leur retrait de Cour pénale internationale (CPI) ? Réponse : la juridication pénale internationale diligente des enquêtes qui déplaisent aux deux pays.

Ce n'est pas la première fois que l'institution, créée en 1998, est ainsi malmenée. Elle l'a souvent été en Afrique.  Mais dans un cas comme dans l'autre, ce n'est pas une surprise. Les Etats-Unis comme les Philippines avaient déjà prévenu il y a quelques mois : les enquêteurs mandatés par la Cour pénale internationale ne sont pas les bienvenus chez eux.  

Pour les Etats-Unis, non-signataire du Traité de Rome qui a donné naissance à la Cour, il s'agit avant tout, par une interdiction d'octroi de visas à des juges et procureurs de la CPI,  d'empêcher toute investigation de l'institution contre des militaires américains, notamment en Afghanistan. Mike Pompeo, le chef de la diplomatie américaine, est on ne peut plus clair : "Si vous êtes responsable de l'enquête envisagée par la CPI sur des militaires américains en lien avec la situation en Afghanistan, vous ne devez pas vous attendre à avoir encore ou pouvoir obtenir un visa, ni à être autorisé à entrer aux Etats-Unis". Dont acte. 

Quant à l'archipel des Philippines, il ne fait qu'entériner l'annonce de retrait du Traité fondateur annoncé un an auparavant, en mars 2018, en "représailles" à l' "examen préliminaire" lancé par la juridication internationale concernant la campagne meurtrière anti-drogue menée par son président Roberto Duterte. Les Philippines deviennent ainsi le second pays après le Burundi à se retirer de la CPI. 
 

Avis de gros temps donc pour l'institution judiciaire qui ne se laissera pas "décourager par aucune menace contre (elle)" , restera unie contre l'impunité, et continuera à faire son travail indépendamment en accord avec son mandat, a-t-elle réagi ce vendredi 15 mars 2019 via un communiqué. Mais le peut-elle vraiment ?
 

  • La CPI, efficace ? 

Imaginée à la suite des atrocités commises dans l'ex-Yougoslavie et au Rwanda, la Cour pénale internationale a été créée par le Traité de Rome du 17 juillet 1998. Mais la juridiction permanente basée à La Haye (aux Pays-Bas) n'est entrée en fonction qu'en 2003 après la ratification du Traité par 60 pays. Son objectif :  punir les crimes les plus graves contre le droit humanitaire international, lorsque les criminels ne peuvent être jugés dans leur pays. Un bel idéal.

Pour autant, dans les faits, sa compétence reste somme toute assez limitée. Tout d'abord, elle ne peut reconnaître que quatre catégories d’infractions : les crimes contre l’humanité, les génocides, les crimes de guerre et les crimes d’agression. 

Ensuite, elle ne peut intervenir que si le crime a été commis sur le territoire d’un État ayant signé et ratifié le Traité (soit 123 aujourd'hui sans les Etats-Unis, la Russie et la Chine) ou si le mis en cause est un ressortissant de l’un de ces États. Cependant, le Conseil de sécurité de l’ONU peut donner compétence à la CPI de manière exceptionnelle lorsqu’un État qui n’a pas ratifié la convention commet des violations graves, comme pour le Darfour en 2005.

Enfin, la compétence de la Cour est complémentaire, c’est-à-dire qu’elle n’est mise en jeu qu’en cas de défaillance de l’État compétent pour juger le criminel.
  • La CPI, crédible ? 

Outre ses compétences limitées,  cette énorme machine administrative pèse par sa lenteur. Il a fallu attendre quatre ans pour qu'elle entre en fonction après sa création, et quatorze pour assister à sa première condamnation : celle de l'ancien chef de milice de la RDC Thomas Lubanga condamné à 14 ans de prison pour avoir enrôlé des enfants-soldats.

Depuis vingt ans, elle a instruit 26 affaires dont la majorité toujours en cours, a condamné trois personnes, et en a acquitté trois : Jean-Pierre Bemba,  Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé. 

Si ces acquittements interpellent quant aux méthodes de travail de la CPI, les affaires de lobbying impliquant l'ancien procureur Luis Moreno Ocampo ont aussi terni l'image de l'institution, sans parler des critiques des pays africains considérant que
cette Cour incarne la "justice des blancs contre les noirs"

Par ailleurs, dotée d'un budget de quelques dizaines de millions d'euros, la juridication n'a pas les moyens de ses ambitions et ne dispose pas de sa propre police pour mener ses enquêtes. 

Quoi qu'il en soit, cette semaine, c'est à la CPI que Reporters Sans Frontières (RSF) a fait appel pour enquêter sur l'assassinat de 102 journalistes et la disparition de 14 autres entre 2012 et 2018 au Mexique.