Fil d'Ariane
Entretien. Malgré les multiplications d'inculpations, Donald Trump reste favori dans les sondages pour l'investiture à la Maison-Blanche. Il risque néanmoins de passer sa campagne pour les primaires et la présidentielle en plein procès. Quelle perception les Américains ont-ils encore de l'ex-président Trump et dans quelle situation inconnue les États-Unis se retrouveront-ils s'il est reconnu coupable ? Entretien avec André Kaspi, professeur émérite d'histoire des États-Unis à la Sorbonne.
Ryan Wesley Routh, suspect de la tentative d'assassinat présumée, rend hommage aux citoyens étrangers tués pendant la guerre entre la Russie et l'Ukraine sur une place centrale de Kiev. Ukraine, le samedi 30 avril 2022.
TV5MONDE : Les inculpations de Donald Trump ne semblent pas entacher sa popularité. De nombreux sondages le donnent favori aux primaires, voire à la prochaine élection présidentielle. À quoi cela est-il dû ?
André Kaspi, professeur émérite d’histoire des États-Unis : Je pense que nous avons une perception partielle de l’avenir de Donald Trump. Nous considérons que parce qu'il est inculpé pour une quarantaine de motifs, cela veut dire que son avenir est complètement entaché. Qu'il ne débouchera pas sur une candidature et encore moins sur une élection à la présidence des États-Unis. Je crois que tout cela n’est pas tout à fait exact. En fait, il y a aux États-Unis une profonde division entre les partisans et les adversaires de Donald Trump.
Ses adversaires, ce sont avant tout les démocrates. Ces derniers ont pour obsession de donner à Donald Trump les allures d’un candidat qui échouera. Cela permettrait en somme la réélection de Joe Biden. Mais d'un autre côté, les démocrates sont très ennuyés parce que Joe Biden n'est pas un candidat très attrayant. Sa présidence a été quelconque, il a un âge avancé et les affaires qui touchent à son fils Hunter font tache.
Mais, paradoxalement, plus Donald Trump est accusé, plus les républicains, ou du moins une grande partie d’entre eux, se rassemblent autour de lui pour défendre sa candidature. Au sein du parti, il est de très loin le candidat le plus soutenu par les électeurs partisans.
Il y a actuellement une bataille entre deux Amériques. L’une plutôt républicaine et l’autre plutôt démocrate. En conséquence, un certain nombre d’Américains préféreraient que ce combat des vieux chefs - qui a déjà eu lieu en 2020 et qui n'a rien d'exaltant ni pour les démocrates, ni pour les républicains - soit remplacé par un combat opposant de nouveaux candidats.
TV5MONDE : La prochaine étape juridique pour Donald Trump est l'audience du 28 août, à l’issue de laquelle une date de procès sera annoncée. Procès qui pourrait se tenir pendant les primaires républicaines, voire pendant la campagne électorale. Que prévoit la Constitution américaine pour ce genre de situation ?
André Kaspi : Rien. Ce serait une première et en même temps une situation extrêmement embarrassante. Car si Donald Trump l'emporte et devient président des États-Unis, il pourrait, en somme, se gracier lui-même.
D'un autre côté, s'il est empêché de poursuivre sa campagne, cela veut dire que dans le camp républicain, il y aura des protestations particulièrement fortes et que tout cela renforcera les divisions dans l'opinion américaine.
Aujourd’hui, il n’y a pas de consensus concernant la procédure électorale. Il y a simplement deux camps qui s'opposent et un troisième camp qui apparaît progressivement, celui des indépendants : ceux qui ne veulent ni de Trump ni de Biden, mais ils n'ont pas encore de candidat.
TV5MONDE : En cas de condamnation de Donald Trump, sa participation à l'élection peut-elle être invalidée par la Constitution ?
André Kaspi : S’il est accusé d'avoir mené une insurrection, c'est alors la Constitution des États-Unis qui intervient. Néanmoins, il faut rappeler qu'après le procès, il y aura un premier jugement, puis éventuellement un appel. Cela peut prendre du temps. À supposer que Donald Trump soit condamné au printemps 2024, cela veut dire que la condamnation pourrait être ineffective avant l'élection. C’est une situation complètement inconnue. Il n’y a jamais rien eu de comparable.
TV5MONDE : Ses inculpations seraient-elles dans son intérêt politique ? Ou en tout cas, renforceraient-elles son image anti-système pour plaire à un certain électorat convaincu ?
André Kaspi : Pas candidat anti-système mais candidat anti-Biden. Donald Trump est en plein dans le système habituel des États-Unis. Et il en fait partie. Mais, au fond, son intérêt, c’est précisément de rassembler ses partisans, quelles que soient les accusations portées contre lui.
TV5MONDE : De quelle longueur d'avance en terme de popularité Donald Trump bénéficie-t-il dans son parti et au sein des électeurs ? La possibilité de voir émerger un autre candidat est-elle imaginable ?
André Kaspi : Bien sûr, il y a des candidats qui pourraient éventuellement prendre sa place. Mais il a une telle avance dans les sondages parmi les républicains qu'on imagine mal comment les autres candidats y arriveraient. Ses adversaires n’ont pas la même force politique, la même popularité et donc les mêmes possibilités de battre Joe Biden.
Cela dit, il ne faut pas oublier que pour être candidat à l’élection présidentielle, il faut beaucoup d’argent. Et Trump a de l’argent, bien qu’une grande partie soit dépensée dans ses affaires judiciaires.
Ce qu’il faut retenir quand même, c’est que pour pouvoir emporter une élection présidentielle américaine, il faut être présent dans les 50 États. Il faut véritablement aller d'un État à l'autre, séduire un électorat et puis un deuxième, puis un troisième et puis un 20ᵉ et cetera. Ce n'est pas d'une facilité dérisoire, loin de là.
Mais la situation de Trump n'est pas désespérée, comme on pourrait le croire ici, en France. C'est une situation confuse, inédite dans l'histoire des États-Unis, mais dans laquelle Trump dispose d'atouts.
Parallèlement, Biden fait tout ce qu'il peut pour étouffer d'éventuelles rivalités à l'intérieur de son propre parti. C'est très compliqué.
TV5MONDE : Qu'est-ce que cela nous raconte de l'Amérique ?
André Kaspi : Cela raconte surtout que d'une part, le système électoral a beaucoup d'avantages aux États-Unis, mais d'un autre côté, il a des inconvénients en ce sens que tout se joue d’un État à l'autre.
Si vous prenez le cas de Trump, il a battu Hillary Clinton en 2016 sans avoir plus de suffrage qu'elle. Cela veut donc dire que c'est un système fédéral, différent de celui que nous connaissons en tant que Français. Un candidat peut gagner les élections même en ayant moins de voix populaires que son adversaire. Tout dépend en somme de la répartition de ses voix et de la manière dont chacun des États s'exprime.