C'est une première dans les relations entre les Etats-Unis et la Russie : Barack Obama affirme vouloir effectuer des représailles suite aux attaques informatique imputées à des services russes. Une cyber guerre froide est-elle en train de débuter ?
Le secret n'était pas très bien gardé — et ne peut pas être vérifié puisqu'aucune preuve concrète n'a été apportée — mais les piratages informatiques du Parti démocrate et la boite email d'Hillary Clinton auraient été menés, selon l'administration américaine, par une agence gouvernementale russe, et donc sur ordre de son président : Vladimir Poutine. Le but aurait été de déstabiliser l'élection américaine, afin de favoriser Donald Trump.
La nouveauté ne se situe pas dans la découverte supposée de l'origine de ces cyber attaques (déjà communiquée), mais dans l'annonce officielle d'un président américain en exercice, de "ripostes" à l'encontre de la Russie. De cyber-ripostes ? Il semblerait que oui.
Une annonce unique dans l'histoire
Barak Obama ne pouvait pas rester sans réaction après l'annonce par les services de renseignements américains de la responsabilité russe, surtout après les déclarations Donald Trump qui met en doute les résultats de l'enquête et l'origine de l'attaque. Le président américain, encore en poste pour 60 jours, en officialisant cette riposte, compte sûrement obliger son successeur à continuer cette action d'envergure nationale. Malgré tout, Vladimir Poutine continue de nier les faits,
ce qui n'a pas empêché Barack Obama d'annoncer sur la radio NPR lors d'une interview ce jeudi 15 décembre qu'il pensait "
que quand un gouvernement étranger tente de s'en prendre à l'intégrité du système électoral [américain]
, il n' y a aucun doute, il faut agir. Et nous le ferons, au moment et de la manière dont nous le voudrons. Certaines actions seront rendues publiques, d'autres non".
Le président américain s'est ensuite fendu d'une déclaration officielle, une première entre les deux grandes puissances, dans ce qui pourrait être appelé la "cyberhistoire", puisque si des opérations d'attaques et de représailles informatiques existent , elles n'ont jusqu'alors jamais été revendiquées officiellement. Que peut donc vouloir faire Obama dans un temps aussi court ? Quel est le sens de cette annonce ?
Obama officialise sa riposte numérique contre la Russie
Les inconnues de la "cyber équation"
Barack Obama établit une nuance entre le cyberespionnage, la pénétration de systèmes informatiques distants à des fins stratégiques ou commerciales, pratiqués par toutes les administrations gouvernementales des grandes nations, et une "attaque malicieuse" — selon ses mots — visant à déstabiliser un processus électoral. Le président en exercice estime donc, que s'il est du devoir des Etats-Unis de riposter envers la Russie, pour marquer en quelque sorte le coup, il faut que ce soit proportionné.
Toute la problématique, qu'Obama mesure et développe au cours de cette interview, réside dans les nouvelles règles à établir avec ce nouveau "cybermonde". Comme pour les "cyberguerres". Le président américain tente donc de résoudre une équation plutôt vaste et complexe, faite de nombreuses inconnues, celle des relations stratégiques basées sur des conflits numériques souterrains, dans un monde de plus en plus interconnecté, et par la même, plus vulnérable à toutes les formes de piratage informatique.
L'exemple de la Chine est cité par Barack Obama au cours de l'interview, pays avec lequel il a su, selon lui, trouver des terrains d'accords sur les piratages en ligne. Cinq militaires chinois avaient en effet été condamnés en mai 2014 par le département d'Etat de la justice américaine pour "
hacking informatique, espionnage économique et autres malversations dirigées à l'encontre de six acteurs industriels (américains, ndlr) du nucléaire, de la métallurgie et de l'industrie solaire" (lire notre article :
"Cybersécurité : l'Amérique recrute des pirates informatiques"). La "honte" de Pékin, d'avoir été ainsi pris la main dans le sac, a permis d'entamer des négociations entre l'Amérique et la Chine sur le sujet. Les tentatives de piratage contre des entreprises ou des infrastructures américaines depuis la Chine ont — suite à cette négociation — baissé de 90% en 2016 : la preuve est donc faite qu'en discutant entre Etats, les attaques numériques peuvent être, sinon stoppées, diminuées.
La Russie : un acteur numérique particulier
Les Russes sont en pointe en terme de piratage informatique (lire notre article :
"Russie : le nouveau grand méchant d'Internet ?"), et ont remplacé les Chinois dans le tableau déclaré des nations les plus "cyber-agressives". Les pays industrialisés, ceux d'Europe de l'ouest en tête, sont inquiets et renforcent leurs équipes d'ingénieurs en sécurité informatique et spécialistes des réseaux.
La culture scientifique de la Russie serait, selon Nicolas Arpagian
interrogé sur le sujet par RFI, un facteur important de cette supériorité russe en matière de maîtrise informatique : "
La Russie a une grande tradition de connaissance de formation, dans le domaine des mathématiques, il est donc naturel que ça se retrouve dans le savoir-faire des forces armées russes. Même dans le domaine commercial, il s’avère que la Russie a la particularité d’avoir créée des acteurs économiques, compétiteurs de Facebook, de Google dès lors que ça fait partie de ses moyens d’actions, d’influence pour capter des informations ou pour porter des coups à ses adversaires diplomatiques ou stratégiques".
Tout le problème américain actuel n'est donc pas une capacité technique — qui est effective— à répondre aux attaques russes, mais comment le faire, à quel degré. Obama n'a pas précisé les actions de piratage envisagées, mais
des responsables de service de renseignements et de la CIA estiment que "
la stratégie de la honte qui a fonctionné avec les Chinois ne fonctionnera pas avec les Russes (…)
Il faut faire quelque chose qui leur (les responsables russes, ndlr)
rende la vie déplaisante. Cela pourrait être de demander à des services de renseignement ou des hackers de l'armée de faire tomber des systèmes informatiques, ou même d'attaquer des infrastructures."
Tout va donc se jouer dans le dosage de la riposte numérique américaine, puisque c'est bien une cyber-guerre froide qui a officiellement débuté. Les observateurs craignent particulièrement un phénomène, identique à celui du temps de l'URSS, avec l'arme nucléaire : l'escalade. Personne n'est en mesure de connaître la réaction des Russes s'ils étaient attaqués sur leurs réseaux de façon voyante et revendiquée par les Etats-Unis. Leur contre-riposte, si elle survenait, inquiète par avance : les sociétés industrielles, Amérique du nord en tête sont hyper dépendantes de leurs infrastructures numériques, et c'est peut-être bien là leur talon d'Achille…