Fil d'Ariane
Des pancartes à l'effigie de George Floyd, le 28 août 2020, lors d'une marche à Washington, aux Etats-Unis.
TV5MONDE : Depuis la mort de George Floyd et les émeutes qui ont suivi, des annonces ont été faites, et des mesures prises. Mais concrètement, qu’est-ce qui a changé ?
Olivier Richomme : Rien. Enfin, très peu. Si vous êtes militant aujourd’hui aux Etats-Unis, il n’y a pas de raison de se réjouir. La situation ne recule pas, mais cela avance très lentement. Ce qui a vraiment changé, depuis un an, est la prise de conscience des violences policières envers certaines populations, notamment les Africains-américains. Cela se traduit dans les sondages par un soutien accru au mouvement Black Lives Matter. Il y a aussi une volonté politique de traiter le problème, notamment avec le George Floyd Justice in Policing Act (NDLR : loi soutenue par Joe Biden et qui était censée passer devant le Sénat avant cette date anniversaire du 25 mai). Mais le fond du problème demeure : il n’existe pas à ce jour de réforme systémique.
Que contient le George Floyd Justice in Policing Act qui doit être examiné par le Sénat ?
La Chambre des représentants, dirigée par les démocrates, a adopté cette année le "George Floyd Justice in Policing Act". Une mesure qui vise à mettre un terme aux tactiques agressives des forces de l'ordre, mais elle doit encore être examinée par le Sénat. Elle prévoit, entre autres :
Je suis assez vieux pour me souvenir des émeutes de Los Angeles après le passage à tabac de Rodney King en 1991. L'affaire avait entraîné d'importantes réformes au sein des forces de police à Los Angeles et ailleurs aux États-Unis. J’étais jeune, à l’époque, mais j’avais la sensation qu’une situation d'une telle violence ne pouvait pas se reproduire. Il y avait la vidéo, il y avait les preuves. La justice est même revenue sur le jugement du policier qui avait été acquitté. Après la mort de George Floyd, il y a eu un peu la même sidération, la colère et le sentiment de "plus jamais". Pourtant, on continuera à avoir des George Floyd. Et trente ans après l'affaire Rodney King, j'ai l’impression qu’on en est au même stade.
Le président des Etats-Unis, Joe Biden, pousse le George Floyd Justice in Policing Act et invite la famille Floyd à la Maison Blanche… quelle est la portée de ces gestes ?
Il faut reconnaître qu'inviter la famille Floyd à la Maison Blanche est un geste symbolique important. Joe Biden donne l’impression d’être plus ambitieux que prévu. Sa présidence pourrait d’ailleurs être plus transformatrice que ce à quoi beaucoup d’analystes s’attendaient. Inviter la famille, parler des violences policières, mettre la pression sur les élus pour faire passer le George Floyd Justice in Policing Act… Joe Biden fait ce qu’il peut et il est dans son rôle. Cependant, il reste un président coincé dans des circonstances politiques, à savoir le fait d’avoir de courtes majorités et d’être face à un parti Républicain qui est très hostile à donner la moindre victoire aux Démocrates.
Certains Républicains sont ouverts sur les questions de réformes de la police. Prenez l’exemple de Tim Scott, sénateur républicain de Caroline du Sud (NDRL : il est le premier Africain-américain à représenter un Etat du Sud au Sénat). Il a été choisi en juin dernier par son parti pour coordonner les réflexions du groupe sur une réforme de la police réclamée notamment par le frère de George Floyd. Le problème est qu’il y a beaucoup de pression sur ces élus républicains pour les empêcher de travailler avec les Démocrates, parce que voter le George Floyd Justice in Policing Act serait leur donner une victoire. Donc faire passer cette loi est très compliqué médiatiquement et symboliquement. D’un point de vue pratique, le système américain est le produit de son histoire.
Dans le cas où cette loi passait au niveau fédéral, quels effets auraient-elle ?
Quand bien même la réforme passerait, cela ne changera pas le système en profondeur. Seule une réforme systémique, d’une ampleur que l’on n’a jamais encore vue, pourrait vraiment faire changer les choses. Par exemple, des mesures sont prises localement, notamment dans des bastions progressistes, mais dans tous les Etats dirigés par les Républicains, il n’y a pas de conditions politiques réunies pour faire bouger les lignes. Cela veut dire qu’il y a du saupoudrage local là où il y a des majorités démocrates, là où il y a des circonstances politiques favorables. C’est le cas par exemple à Austin, au Texas, îlot démocrate dans une terre des Républicains (NDLR : la ville d’Austin a mis de côté un tiers des ressources des forces de l'ordre après la mort de George Floyd à Minneapolis. Elle les a réinvestit dans un vaste éventail de programmes sociaux, de santé et de prévention de la violence, entre autres).
Seule une réforme systémique, d’une ampleur que l’on n’a jamais encore vue, pourrait vraiment faire changer les choses.
Il peut donc y avoir des avancées ville par ville. Mais même si cette loi passe au niveau fédéral, ce qui n’est pas sûr, elle serait limitée dans son impact. Cela résulte du système décentralisé américain. Les réformes judiciaires et les compétences de la police sont définies localement. Donc oui, certaines choses évoluent. Mais à l’image du nombre d’Africains-américains tués par des policiers depuis un an, la situation a très peu changé. Les chiffres parlent d’eux-mêmes (NDRL : selon le décompte de l’activiste Samuel Sinyangwe, co-fondateur de « Mapping Police Violence », projet qui retrace les violences et fusillades policières aux États-Unis, il n’y aurait que six jours depuis le début de l’année 2021 durant lesquels la police n’aurait pas fait de morts). Les démarches entreprises ne sont donc pas à la hauteur des enjeux.
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