Fil d'Ariane
L’État américain d'Alabama a exécuté, ce jeudi 25 janvier, un condamné par inhalation d'azote. Une première mondiale que l'ONU avait dénoncée par avance, évoquant une forme de "torture".
Le panneau indique l'établissement correctionnel Holman à Atmore, en Alabama, le jeudi 25 janvier 2024. L'État a mis à mort le détenu Kenneth Eugene Smith par inhalation, une première.
Kenneth Eugene Smith, définitivement condamné à mort en 1996 pour le meurtre d'une femme commandité par son mari, est décédé au pénitencier d'Atmore à 20H25, 29 minutes après le début de l'exécution, selon un communiqué du procureur général d'Alabama.
"Justice a été rendue. Ce soir, Kenneth Smith a été mis à mort pour l'acte abject qu'il avait commis il y a 35 ans", a déclaré Steve Marshall, estimant que l'Alabama avait "accompli quelque chose d'historique".
Selon la chaîne locale du réseau CBS, dont un journaliste a assisté à l'exécution, les derniers mots de Kenneth Eugene Smith ont été: "Ce soir, l'Alabama a fait faire un pas en arrière à l'humanité (...) Je m'en vais avec amour, paix et lumière (...) Merci de m'avoir soutenu. Je vous aime tous".
Une fois l'exécution débutée, Kenneth Eugene Smith "a commencé à se tordre et se débattre pendant approximativement deux à quatre minutes, suivies d'environ cinq minutes de respiration bruyante", a rapporté le média local AL.com, se fondant sur des témoins.
Le condamné semble avoir "retenu sa respiration aussi longtemps qu'il le pouvait", a indiqué aux journalistes le commissaire de l'administration pénitentiaire de l'Alabama John Hamm.
Il s'agit de la première exécution de l'année aux États-Unis, où 24 ont été réalisées en 2023, toutes par injection létale. C'est la première fois depuis plus de 40 ans qu'un mode d'exécution inédit est utilisé dans ce pays.
Une précédente tentative par injection létale, le 17 novembre 2022, avait été annulée in extremis, les perfusions intraveineuses pour administrer à Kenneth Eugene Smith la solution mortelle n'ayant pu être posées dans le temps légalement imparti, bien qu'il soit resté attaché plusieurs heures.
L'Alabama, situé dans le sud-est des États-Unis, est l'un des trois États américains autorisant l'exécution par inhalation d'azote, dans laquelle le décès est provoqué par hypoxie (raréfaction d'oxygène).
"Je regrette profondément l'exécution de Kenneth Eugene Smith en Alabama malgré les sérieuses inquiétudes sur le fait que cette méthode non éprouvée de suffocation par l'azote pourrait constituer de la torture ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant", a déclaré vendredi le Haut-Commissaire de l'ONU aux droits de l'homme Volker Turk. "La peine de mort est incompatible avec le droit fondamental à la vie (...) Je demande à tous les États d'imposer un moratoire sur son utilisation, comme étape en vue de son abolition universelle".
Le Haut-Commissariat avait appelé à surseoir à cette exécution, se disant le 16 janvier "alarmé" par l'utilisation de cette méthode et soulignant que le protocole d'exécution de l'Alabama ne prévoit pas de sédation, alors que l'Association américaine vétérinaire (AVMA) recommande d'administrer un sédatif aux animaux euthanasiés de cette façon.
L'Union européenne a également déploré cette exécution "particulièrement cruelle" et affirmé son opposition à la peine de mort "en toutes circonstances".
Tous les recours et demandes de sursis du condamné de 58 ans avaient été rejetés. Saisie jeudi d'un ultime recours, la Cour suprême n'y a pas donné suite. Dans ses arguments écrits à la Cour suprême, l’État avait présenté l'hypoxie à l'azote comme "peut-être le mode d'exécution le plus humain jamais inventé".
"Les autorités d'Alabama ont raté trois exécutions de suite en 2022, dont celle de Kenneth Eugene Smith", explique la directrice exécutive de l'observatoire spécialisé Death Penalty Information Center (DPIC), Robin Maher. "Elles se sentent peut-être plus à l'aise en passant à un mode d'exécution complètement différent, même s'il est complètement expérimental et n'a jamais été testé".
Kenneth Eugene Smith avait été reconnu coupable du meurtre en 1988 d'Elizabeth Dorlene Sennett, 45 ans, commandité par son mari Charles Sennett, un pasteur lourdement endetté et infidèle, pour faire croire à un cambriolage qui aurait mal tourné.
Malgré le suicide du mari, la police était remontée jusqu'aux deux meurtriers dont l'un, John Forrest Parker, avait été exécuté en 2010. Kenneth Smith avait également été condamné une première fois à mort mais le procès avait été annulé en appel.
A son deuxième procès en 1996, 11 des 12 jurés s'étaient prononcés pour la prison à perpétuité. Mais comme pour son complice, le juge, passant outre l'avis des jurés, l'avait condamné à la peine capitale, une possibilité existant alors dans quelques États mais désormais abolie.
Dans son rapport annuel en décembre, le DPIC précisait que la plupart des prisonniers exécutés en 2023 aux États-Unis "ne seraient probablement pas condamnés à mort aujourd'hui", en raison de la prise en compte notamment de leurs problèmes de santé mentale ou de changements législatifs.
La peine de mort a été abolie dans 23 Etats américains. Six autres (Arizona, Californie, Ohio, Oregon, Pennsylvanie et Tennessee) observent un moratoire. Selon un récent sondage Gallup, 53% des Américains soutiennent la peine capitale lors d'une condamnation pour meurtre, le plus bas niveau depuis 1972.