L'édito de Slimane Zeghidour

États-Unis, un État de droit… divin ?

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American Progress de John Gast

"American progress", tableau de John Gast (1872). Représenation allégorique de la "Destinée manifeste", une femme incarnant l'Amérique portant la lumière de la civilisation, dont le fil du télégraphe, à l'ouest du pays avec les colons blancs. Amérrindiens et animaux sauvages fuient vers les ténèbres de l'ouest encore sauvage.

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Si l’on en croit son discours, Donald Trump serait "l’élu de Dieu", d’abord, celui du peuple américain après. Évoquant l’attentat qui l’a visé et la balle qui l’a effleuré, ne s’est-il pas exclamé que Dieu l’en a « sauvé » pour qu’à son tour il « sauve » l’Amérique ? Un message reçu cinq sur cinq par l’électorat évangélique, lequel implique un citoyen sur cinq. A ce titre, et avec une parole aussi simple que l’Évangile, il prêche un public convaincu.

Aux yeux de cet électorat auquel l’impétueux businessman doit son retour à la Maison Blanche, il est le Messie attendu pour séparer le bon grain de l’ivraie, en clair, le bon citoyen chrétien de l’immigré sans carte de résident, quand bien même ce dernier aurait-il une foi en Jésus et observerait-il la loi du pays.

Ce discours simpliste qui mord si bien sur le peuple fait écho à la foi et à l’esprit qui ont présidé à la création des États-Unis d’Amérique, un État conçu et construit la Bible dans une main, le fusil dans l’autre. À cet égard, et bien que l’État soit laïque sans contredit, son histoire profane a tout d’une histoire sainte totalement inspirée par la Bible, plus exactement l’Ancien testament.

vote Trump

Exemple de slogan messianique pro-Trump : "Jesus est mon sauveur. Trump est mon président"

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Ainsi, les Pères pèlerins, ces puritains anglais, apôtres et pionniers des États-Unis à venir, s’identifient-ils aux Hébreux. Ils assimilent du coup le roi Jacques 1er Stuart (1566-1625) au pharaon, l’Angleterre à l’Égypte, royaume de l’oppression et de l’esclavage. La fuite du Vieux Continent vers le Nouveau Monde est un nouvel Exode, l’Atlantique est la mer Rouge que le peuple de Dieu doit traverser… Ainsi, l’Amérique est l’ultime Terre promise à un nouveau peuple élu, l’américain dont la capitale, Washington, « Citée illuminée sur la colline », est la nouvelle Jérusalem.

En un mot comme en mille, l’Amérique est un nouvel Israël, biblique s’entend. En vertu de quoi, les peuples autochtones, algonquin, cheyenne, sioux, à l’instar des peuples de la Bible, édomite, ammonite, jébuséen, doivent s’effacer pour laisser place nette au nouveau peuple, lequel doit s’approprier « sa » terre promise.

Ainsi vient au jour de l’histoire un pays neuf, un peuple rajeuni, pur et innocent, sans remord aucun pour l’extermination des peuples locaux. Tournant totalement le dos à l’Europe, Vieux Continent corrompu, les Puritains imaginent un État voué à garantir trois valeurs cardinales « la vie, la liberté, la recherche du bonheur ». Ayant rompu tout lien avec l’Angleterre, les États-Unis mettent sur pied un régime politique paradoxal, qui fascine et heurte plus d’un voyageur européen. Ainsi du philosophe français Alexis de Tocqueville qui décrit, dans un fameux essai « De la démocratie en Amérique », un pays à la fois égalitaire et esclavagiste, cosmopolite et raciste, séculier et puritain…

Au plan religieux, si l’Amérique est un pays « béni » par Dieu et placé sous Son aile, si la Bible y est le livre des livres, elle se garde néanmoins de se poser en tant qu’un « État chrétien ». Protestante, elle ne se méfiera pas moins de l’Église catholique, au point d’ostraciser jusqu’au milieu fin du XIXe siècle, tout immigrant irlandais, espagnol ou italien, tout « romain » assimilé à un agent du pape honni. 

En revanche, juifs et musulmans y sont mieux lotis. Témoin, le premier Traité de paix et d’amitié jamais conclu avec un pays étranger, dès 1797, avec trois « États barbaresques », Alger, Tunis et Tripoli, lequel stipule, dans son article 11, que les États-Unis ne sont « en aucun cas » un État chrétien et n’ont qu’estime et « respect pour l’islam » !

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Voici un poster célébrant l'opération "Liberté de l'Irak" (Iraqi Freedom Operation), l'invasion de 2003. Bilan, un demi-million de victimes environ.

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La conviction d’incarner un peuple innocent, la lumière des nations » éclairant le monde, se traduit au milieu du XIXe siècle par l’élaboration du concept de Destinée manifeste – « Manifest destiny » -, une doctrine messianique selon laquelle l’Amérique aurait pour mission divine l’expansion de la « civilisation » aux quatre coins de l’univers habité.

Au nom du Bien et de la liberté, non sans un mélange explosif d’isolationnisme et d’interventionnisme, les États-Unis auront mené, entre 1776 et 2023, pas moins de 469 interventions militaires hors de leurs frontières dont un bon quart bien après la fin de la Guerre Froide (1947-1991).

Voilà l’héritage politico-spirituel, idéologique en un mot, dont se prévaut Donald Trump. À ceci près, et la nuance est notable, qu’il affirme œuvrer vaille que vaille pour la paix, inclinant a priori plus pour le « doux commerce » cher à Montesquieu qu’à la guerre. Un vœu qui risque fort de rester pieux si l’on en juge par son appétit d’expansion et d’annexion du Canal de Panama ou du Groenland et, pis encore, sa proposition de transférer les deux millions de Palestiniens de Gaza vers l’Egypte et la Jordanie, ceci, soit dit en passant, sans sonder ni les uns ni les autres. Convaincu qu’il reste que, quoiqu’elle fasse, l’Amérique agit toujours pour le Bien commun.

Le Moïse moderne

Dessin The Modern Moses, publié dans Puck, 1881. (National Immigration Museum, Ellis Island, New York, USA)

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Slimane Zeghidour est écrivain, chercheur et spécialiste du monde arabe dans l'émission Maghreb Orient Express.

Le point hebdomadaire sur l'actualité internationale avec Slimane Zeghidour

Slimane Zeghidour est écrivain, chercheur et spécialiste du monde arabe dans l'émission Maghreb Orient Express.