États-Unis, un monde en Trump-l’œil ?

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Le président élu DonaldnTrump au siège de Space X

Le président élu DonaldnTrump au siège de Space X le 19 novembre 2024 à Boca Chica au Texas. 

 

Brandon Bell/Pool via AP
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Rendre à l’Amérique sa grandeur ! C’est le mot d’ordre et le credo de Donald Trump. Le cri de ralliement, d’une simplicité biblique, qui aura porté au pouvoir, et pour un second mandat, un businessman sans parti mais pas sans parti pris. Ainsi, se présente-t-il moins en chef de l’Etat investi par le peuple qu’en sauveur désigné par le Destin sinon par Dieu, du moins selon le puissant courant évangélique, aux yeux duquel il incarne le Sauveur de la Nation.

"Make America great again"

Il se sent si intimement investi d’un destin hors pair qu’il refuse le salaire de « président » auquel il a droit de par sa fonction, façon de signifier qu’il ne travaille pas pour arrondir sa fin de mois mais pour un objectif plus haut et plus noble, à savoir rendre à l’Amérique sa grandeur, « make America great again ». Le pays serait-il encore en mal de grandeur alors qu’il reste la première puissance économique du monde, qu’il entretient la plus grande force militaire jamais constituée depuis l’empire romain, un outil de combat réparti sur plus de 7 50 bases implantées sur les cinq continents doté d’un budget qui dépasse, jusqu’à huit fois, celui des autres grandes puissances ?

De fait, à elle seule, l’Amérique pèse un cinquième du PIB mondial, son État le plus riche, la Californie qui abrite la Silicon Valley, serait la sixième puissance de la planète. Champion de l’innovation, elle est le plus grand exportateur de biens culturels. Bref, le pays dont la langue et la monnaie –l’anglais et le dollar- rythment les échanges de la planète, cumule et accumule les records.

Le hic est que les États-Unis connaissent les inégalités économiques et sociales les plus criantes de ce que l’on appelle l’Occident, ceux où les services publics se délabrent, à tel point que plus d’un chercheur considère qu’avec 50 millions de pauvres, ils ne sont plus un pays développé. 

Pour autant, la lutte contre la pauvreté n’est pas la priorité immédiate, l’objectif de Trump va au-delà d’un simple retour au plein emploi et à la prospérité de tout un chacun. On l’a bien noté lors des débats électoraux, où il aura plus accablé son adversaire Kamala Harris, parfois jusqu’à carrément l’insulter avec des mots racistes et mysogines, qu’à égrener et détailler des objectifs concrets en rapport avec les attentes des uns et des autres.

Donald Trump élu sur une rhétorique

Pourtant, aussi vague soit-il, le retour de Donald Trump au bureau ovale montre que quelque chose ne tourne plus rond aux États-Unis. Ce « remake » est un tournant majeur pour le pays lui-même et pour le monde entier, eu égard à son ostensible implication sur tous les théâtres internationaux, économiques, financiers et militaires. En conduisant un tel homme à la Maison Blanche, l’électorat sait bel et bien à qui il a affaire et le connaît même sous son jour le moins glorieux.

La fin d'un cycle américain

Encore une fois Donald Trump n’est pas élu sur un programme mais sur un discours, une rhétorique mêlant, d’abord et avant tout, dénonciation de l’Etat fédéral rendu coupable de tous les maux du pays. Ainsi, clame-t-il que l’ennemi véritable de l’Amérique n’est pas « extérieur », la Russie par exemple, mais « intérieur », niché dans l’« Etat profond », et qu’il faut donc « purger » à coups de mises à pieds sans appel, de poursuites, de procès et de prison. Aucun corps n’y échappe : Pentagone, CIA, FBI, Département d’État, autant d’organismes devenus antinationaux, gangrénés qu’ils sont par le « wokisme », l’idéologie LGBT, l’abandon voulu de tout contrôle aux frontières…

Ce retour américano-centré sur soi romprait abruptement, du coup, avec le chemin suivi par Washington depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, à savoir celui d’une puissance maniant savamment la carotte et le bâton géostratégique, aiguillonnée par sa croyance en une Destinée manifeste l’érigeant en sentinelle avancée de l’humanité. 

Ce serait la fin d’un cycle américain, celui qui fut le promoteur du droit international et reste l’hôte du siège de l’Onu qui en est le symbole. Symbole, l’Onu aux yeux de Trump, -et il ne s’est point interdit d’en minorer la mission-, est désormais moins une feuille de route qu’un écueil sur « sa » route. N’a-t-il pas déjà coupé les ponts avec l’Unesco, rompu avec le consensus international en déplaçant l’ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem… ?

Le monde selon Trump ne serait donc plus regardé qu’à travers non plus les « valeurs » mais le prisme des intérêts nationaux, un monde de rapports de force à l’état brut, ce qui n’exclut pas des compromis avec des autocrates du moment, soudain hissés au rang de partenaires et des avanies aux alliés de toujours, réduits tout à trac à celui d’obligés encombrants. Face à ce que l’on pourrait qualifier de volte-face stratégique, les Européens, déjà secoués par son premier mandat, ne savent plus à quel saint se vouer, qui plus est dans un contexte de guerre plus alarmant que jamais du fait du recours tant par les Russes que par les Ukrainiens, soutenus en sous-main par les Occidentaux, à des armes de haut calibre qui risquent d’ouvrir la boîte de Pandore d’un conflit nucléaire, sur le sol européen.

Le risque d’un divorce entre l’Europe et l’Amérique n’est plus un scénario de stratège pessimiste, il est réel et ne laisse point le choix à un quelconque retour au bon vieux temps. Il serait donc temps pour l’Europe de prendre elle-même en charge son propre destin face à un 47ème président des Etats-Unis qui non content d’avoir acquis le Sénat et la Cour suprême, qualifie ses adversaires d’ennemis de l’intérieur, juge tel ou tel opposant digne du peloton d’exécution, agonit les journalistes et menace d’envoyer des soldats faire la chasse aux immigrés illégaux dans les villes démocrates qui leur accordent l’asile. Un tel chef de l’Etat ne pourrait qu’encourager tous les leaders illibéraux de la planète, y compris en Europe, à l’imiter.