États-Unis : un nouveau rapport de force politique à la suite de l'invasion du Capitole ?

Le 6 janvier 2021, plusieurs milliers de manifestants ont envahi le Capitole en soutien au président américain sortant. A la suite de cette mobilisation violente de la part de groupes pro-Trump, le Parti républicain est désormais en difficulté. L'échiquier politique aux États-Unis est-il en train de se modifier en profondeur ? Analyse.
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Le congès américain de Washington saccagé par les manifestants pro-Trump
Le saccage et l'invasion du Capitole par plusieurs milliers de manifestants pro-Trump pourrait changer la donne politique américaine. Quelques heures après le passage des manifestants, les dégâts étaient encore visibles dans l'enceinte du bâtiment.
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C'était à la fois prévisible et pourtant totalement stupéfiant. Des milliers de partisans de Donald Trump se sont rués sur le Capitole, mercredi 6 janvier 2021, y sont entrés de force et ont occupé les lieux — débordant totalement les forces de l'ordre, très peu nombreuses. Les annonces de Donald Trump incitant les manifestants à se rendre au Capitole pour "rejeter l'élection de Joe Biden" avaient pourtant été largement relayées, mais aucune mesure spécifique de sécurité n'avait été prise. Durant quelques heures, l'idée qu'un coup d'État était en cours a effleuré de nombreux esprits.

États-Unis : le Capitole envahi par des partisans de Donald Trump :

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Cet événement — unique dans l'histoire des transitions du pouvoir présidentiel aux États-Unis  — a causé la mort d'au moins deux personnes — dont un policier —, blessé 22 autres et marque peut-être un tournant dans le rapport de force politique aux États-Unis. Le chef de la police du Capitole a démissionné le 8 janvier sous le feu des critiques et de nombreuses voix du côté démocrates se sont élevées pour dénoncer la différence de  traitement sécuritaire entre cet événement et celui des manifestations anti-racistes "Black Lives Matter" de cet été.

L'avant et l'après Capitole

Plusieurs raisons incitent à penser qu'il y aura un "avant l'invasion du Capitole" et un "après". La première est Donald Trump lui-même. C'est ce dernier qui a appelé ses partisans à manifester devant le Capitole. Etant donné la tournure dramatique des événements, le président sortant a ensuite appelé les militants au calme et à rentrer chez eux, mais en affirmant… "les aimer".

Il y a une partie importante des partisans de Trump parmi les électeurs républicains, donc le combat contre l'élection de Biden va sûrement se continuer (…) Je suis donc persuadé que le trumpisme va continuer, mais sans Trump.Paul Schor, historien des États-Unis et maître de conférence à l'université Paris VII.

Les élus du Capitole ont finalement pu certifier l'élection de Joe Biden à la présidence des Etats-Unis, au cours de la nuit. Mais cette mini-insurrection était prévisible pour certains, et ne dessert pas forcément les ténors républicains. L'historien des États-Unis et maître de conférence Paul Schor, estime que "cet événement a avant tout été un accélérateur de quelque chose qui allait de toute manière se passer. Les membres de l'establishment républicain avaient déjà commencé à mettre fin à leur alliance de circonstance — qui n'était pas idéologique — avec Trump. Une alliance qui allait s'arrêter avec son départ. Cet événement leur permet donc de rejeter une part de ce qu'a été la présidence Trump."


Le lendemain, le 7 janvier 2020, Trump a déclaré dans un communiqué, accepter finalement la transition du pouvoir qui aura lieu le 20 janvier, tout en rappelant qu'il n'était "toujours pas d'accord avec le résultat de l'élection". Et surtout, il a souligné que le "combat" n'était pas fini :

"Même si je suis en total désaccord avec l'issue de l'élection, et les faits me donnent raison, il y aura malgré tout une transition ordonnée le 20 janvier (…) J'ai toujours dit que je continuerai notre combat pour faire en sorte que seuls les votes légaux soient comptés. Si cela représente la fin du plus grand premier mandat de l'histoire présidentielle, c'est seulement le début de notre combat pour rendre à l'Amérique sa grandeur !"

Puis, après que son compte Twitter a été réactivé — après une suspension de 12 heures  — le président des États-Unis a publié dans la nuit du 8 janvier une vidéo de 2 minutes 40, condamnant cette fois-ci fermement les événements du Capitole, appelant à la réconciliation et confirmant vouloir une transition apaisée :
 

(Re)voir >>> Etats-Unis : Donald Trump condamne à présent les violences au Capitole

(Re)voir >>> Etats-Unis : Donald Trump n'assistera pas à la passation de pouvoir

Souffler le chaud et le froid, se contredire, est une habitude chez le locataire de la Maison Blanche depuis sa prise de fonction en 2017. Sauf qu'aujourd'hui l'enjeu s'est modifié, avec une volonté affichée du perdant de cette élection de continuer à mobiliser ses partisans contre la nouvelle présidence Biden, même après la passation de pouvoir.

Plusieurs membres de son gouvernement et hauts fonctionnaires ont pourtant démissionné : Elaine Chao, la ministre des Transports, Betsy Devos, la ministre de l'Éducation, Mick Mulvaney, l'émissaire des États-Unis en Irlande du Nord, Stephanie Grisham, la porte-parole de la première dame Melania Trump (et ancienne porte-parole de la Maison-Blanche), ainsi que Matt Pottinger, le conseiller adjoint à la sécurité nationale.

Le trumpisme sans Trump ?

Pour l'historien Paul Schor, ces défections ne sont pour autant pas la fin du trumpisme, même si elles signent la fin de Trump en politique : "Il y a une partie importante des partisans de Trump parmi les électeurs républicains, donc le combat contre l'élection de Biden va sûrement se continuer. Aux États-Unis, les présidents battus ou bien qui partent après deux mandats, arrêtent la politique. Trump n'est pas un président normal et il pourrait se comporter autrement, mais selon toute vraisemblance, à partir du moment où il n'aura plus les leviers du pouvoir, il n'aura plus d'amis dans les réseaux politiques. C'est ce qui est en train de se passer : tout le monde le lâche, même dans son gouvernement. Dans la dernière vidéo qu'il vient de publier sur Twitter — qui donne l'impression d'une déclaration faite à contre-coeur, comme s'il avait eu des pressions et qu'il ne l'avait pas écrite lui-même — il indique quand même qu'ils vont continuer à se battre. Je suis donc persuadé que le trumpisme va continuer, mais sans Trump."

La seconde raison d'un possible "rebattage des cartes politiques aux États-Unis" est le chaos engendré au Parti républicain après cette potentielle "insurrection" soutenue au départ par son propre candidat, le président des États-Unis lui-même. Le Parti  républicain est aujourd'hui plus que jamais divisé, entre ceux qui continuent à soutenir Trump — et contestent le résultat de l'élection — et ceux qui se sont totalement désolidarisés de l'ancien président et remettent en cause sa légitimité après la menace d'insurrection causée par l'invasion du Capitole. Malgré des revirements chez les représentants républicains dans la nuit qui a suivi la manifestation — dont une partie a finalement certifié la présidence Joe Biden—, 121 d'entre eux ont par contre choisi de maintenir leur contestation des résultats de l'État de l'Arizona, contre 303 voix contre. Trump aurait donc encore un certain nombre d'élus du parti conservateur qui le soutiennent.

Nous n'étions pas devant un conglomérat spécifique organisé au Capitole, mercredi, mais plutôt devant un certain nombre de supporters de Trump qui n'étaient pas du tout des activistes.Jérôme Jamin, spécialiste des Etats-Unis, du nationalisme, du populisme et de l’extrême droite.

Les deux chambres législatives sont désormais sous contrôle des démocrates, mais un tiers des électeurs républicains reste convaincu que l'élection a été "volée" au candidat Donald Trump, ce que les 121 parlementaires républicains ont potentiellement confirmé par leur vote sur la contestation de l'élection en Arizona. Mais ce "trumpisme de façade" d'une partie des élus républicains, ne représente pas à un soutien à Donald Trump, selon Paul Schor : "Le trumpisme n'a pas été inventé par Trump. Le trumpisme, c'est la suite du Tea Party (parti anti État libertarien, ndlr), c'est la continuation d'une tradition populiste — par certains côtés paranoïaque —, avec la méfiance à l'égard de Washington, des élus. Ce discours de démocratie directe, de "nous sommes le peuple, les élus nous ont trahis", Trump ne l'a pas inventé, mais il l'a très bien incarné."

Nouvel échiquier politique ?

Le mandat de Donald Trump se conclut par un potentiel déchirement du parti qui l'a mis au pouvoir. Une unité au sein de cette formation politique est-elle encore possible après les événements du Capitole ? Des libertariens, des suprémacistes blanc, des autonomistes anti-État fédéral et des adeptes du complot QAnon, sont "derrière le Parti républicain" depuis 4 ans — même s'ils ne sont pas des électeurs républicains —, de par leur soutien à Donald Trump.
 

C'est une partie d'entre eux — qui sont venus manifester à Washington le 6 janvier et qui ont forcé les portes du Capitole. Mais pas seulement, loin de là, comme le souligne Jérôme Jamin, spécialiste des États-Unis, du nationalisme, du populisme et de l’extrême droite : "Nous n'étions pas devant un conglomérat spécifique organisé au Capitole, mercredi, mais plutôt devant un certain nombre de supporters de Trump qui n'étaient pas du tout des activistes. A ces personnes se sont ajoutées des figures un peu spécifiques, issues de différents mouvements. Mais le gros des troupes n'étaient pas des suprémacistes, des QAnon ou des néo-nazis, même si on en a repéré quelques-uns."

Ces groupes extrémistes sont certes minoritaires mais une partie de leur idées se sont diffusées de façon importante sur les réseaux sociaux durant la campagne. Basées sur la conviction que le pouvoir politique américain et ses institutions sont corrompues, ces thèses politiques sont aujourd'hui un fardeau sur les épaules des élus républicains. "Ces élus se retrouvent aujourd'hui dans une situation compliquée après l'invasion du Capitole", estime l'historien Paul Schor, qui explique que "les élus républicains qui ont contesté l'élection ont fait un pari électoraliste. De façon officieuse, ces élus reconnaissent que pas un seul d'entre eux  ne croyaient à la réalité de cette procédure pour ne pas reconnaître Biden, mais expliquaient que leur électeurs ne comprendraient pas qu'ils ne le fassent pas. La moitié des 12 sénateurs au Capitole — qui devaient refuser de certifier l'élection — ont changé d'avis après les événements. A la chambre il y a eu moins de défections, mais de nombreux élus républicains reconnaissent en réalité avoir peur de leurs électeurs. Peur de leur vote, mais aussi peur tout court, après avoir reçu des menaces de mort pour certains d'entre eux."

Donald Trump avait annoncé en 2016 vouloir détruire le Parti républicain. Son programme était de créer une sorte de guerre civile à l'intérieur du Parti républicain.Paul Schor, historien des États-Unis et maître de conférence à l'université Paris VII.

Le Parti républicain est aujourd'hui face à des choix cornéliens. Il ne peut plus soutenir Donald Trump face à l'outrage causé par l'invasion du Capitole mais ne peut pas non plus renier le trumpisme et revenir à une position ancienne, celle qu'une partie importante de ses électeurs déteste et qui consiste à cautionner le "système".  L'historien des Etats-Unis Paul Schor rappelle que "Donald Trump avait annoncé en 2016 vouloir détruire le Parti républicain. Il trouvait que c'était un parti de notables, qui avait oublié le peuple et qui ne le réprésentait pas, qui était le parti de Wall Street. Son programme était de créer une sorte de guerre civile à l'intérieur du Parti républicain."

Ce pari de Trump semble près d'être gagné. Et c'est à partir de ces constats qu'une nouvelle donne politique semble se dessiner pour les deux années à venir, jusqu'aux élections de mi-mandat. Paul Schor insiste sur un élément qui ne semble pas avoir encore été bien assimilé mais qui change beaucoup de choses : "Les événements du Capitole ont obscurci un autre événément important qui est la victoire de deux candidats démocrates aux sénatoriales en Georgie. En fait, quand on regarde bien, Trump et le Parti républicain ont tout perdu. Ils n'ont plus la majorité au Sénat, les démocrates ont conservé la majorité à la Chambre. Donc les démocrates vont contrôler tous les leviers du pouvoir."

La politique américaine toujours en crise sous Biden ?

Le nouvel équilibre des pouvoirs, en faveur des démocrates, avec un Parti républicain déstabilisé et en minorité parlementaire devrait normalement confirmer une présidence Biden sans opposition suffisante pour lui lier les mains. Mais les apparences peuvent être trompeuses, selon Paul Schor, qui explique que "sur plusieurs sujets, Biden s'est mis à dos l'aile la plus conservatrice des démocrates et donne ainsi des leviers de négociations à son opposition républicaine, particulièrement sur le Green new deal (le plan de transition énergétique vers les renouvelables, ndlr)." Sachant que "Le Parti démocrate est lui aussi divisé, peut-être autant que le Parti républicain", selon Jérôme Jamin.

Avec ce qu'il a fait mercredi, Donald Trump a donné l'impression qu'il voulait rompre avec la voie électorale.Jérôme Jamin, spécialiste des Etats-Unis, du nationalisme, du populisme et de l’extrême droite.

Un partout, la balle au centre ?  L'équilibre politique américain, après 4 ans de mandat de Donald Trump — conclus par l'invasion du Capitole — semble dans tous les cas encore très incertain et fluctuant. Jérôme Jamin précise ces lignes de fracture : "Du côté démocrates comme républicains, il y a des divisions internes très importantes et qui ne datent pas d'hier. Au Parti républicain il y a une commission qui a conclu un peu avant la candidature de Donald Trump de 2016, que pour redonner un avenir au parti, il fallait avoir une politique vis-à-vis des minorités et des exclus, ne pas laisser les démocrates s'en emparer. Le choix de Trump a été inverse et désormais il y a ceux qui l'ont suivi et ceux qui s'en détournent. Chez les démocrates, entre la ligne de gauche et celle des Clinton, considérée comme bourgeoise, les choses ne vont pas très bien non plus."

Il y aurait donc une voie pour un nouveau mouvement politique, à côté des deux grands partis, toujours en dissensions internes et en conflit de loyauté avec leurs électeurs, qui serait celle du trumpisme. Avec ou sans Trump, mais pour Jérôme Jamin, plutôt avec et potentiellement sans parti politique : "Trump savait très bien le 6 janvier qu'il s'aliénait le Parti républicain en soutenant les manifestants. Il a envoyé le message qu'il était bien plus du côté des électeurs que de celui des élites. A mon avis, Donald Trump va capitaliser tout ça vers un mouvement média pour fédérer tous les gens insatisfaits de l'establishment et du Parti républicain. Avec ce qu'il a fait mercredi, Donald Trump a donné l'impression qu'il voulait rompre avec la voie électorale."

Pour l'heure, en tout cas, Donald Trump ne pourra plus utiliser Twitter dont il a été banni, après avoir annoncé qu'il ne se rendra pas à la cérémonie de passation du pouvoir le 20 janvier…