Etrangers en France : le "défenseur des droits" pointe une logique de suspicion

S'invitant dans un dossier politiquement très sensible, le Défenseur - officiel - des droits Jacques Toubon  (personnalité issue de la droite gaulliste) déplore dans un rapport une "logique de suspicion" envers les étrangers, qui guide le contrôle de l'immigration et pèse sur la vie quotidienne.
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Belleville
Rue de Belleville à Paris le 9 mai
photo Pascal Priestley
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Le rapport publié lundi, qui s'appuie sur un recensement des actions juridiques menées par le Défenseur, veut "pointer l'ensemble des obstacles qui entravent l'accès des étrangers aux droits fondamentaux", et mesurer "l'écart entre les droits proclamés et les droits effectivement exercés". Une "logique de suspicion irrigue l'ensemble du droit français applicable aux étrangers (...) et va jusqu'à +contaminer+ des droits aussi fondamentaux que ceux de la protection de l'enfance ou de la santé", dénonce-t-il.

Le Défenseur des droits est une institution de l’Etat français complètement indépendante. Créée en 2011 (inscrite dans la Constitution dès 2008), elle s’est vu confier deux missions :

- défendre les personnes dont les droits ne sont pas respectés ;
- permettre l’égalité de tous et toutes dans l’accès aux droits.

Toute personne physique (un individu) ou morale (une société, une association…) peut le saisir directement et gratuitement lorsqu’elle :pense qu’elle est discriminée[1] ;

- constate qu’un représentant de l’ordre public (police, gendarmerie, douane...) ou privé (un agent de sécurité…) n’a pas respecté les règles de bonne conduite ;
- a des difficultés dans ses relations avec un service public (Caisse d'Allocations Familiales, Pôle Emploi, retraite…) ;
- estime que les droits d’un enfant ne sont pas respectés.

Le Défenseur des droits est né de la réunion de quatre institutions : le Médiateur de la République, le Défenseur des enfants, la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité (HALDE) et la Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité (CNDS).

L'actuel Défenseur des droits actuel est Jacques Toubon, qui succède à Dominique Baudis, décédé. Il fut naguère secrétaire général du RPR (parti chiraquien ancêtre de Les Républicains), ministre d'Edouard Balladur (culture, francophonie) et de Jacque Chirac (justice) puis député européen (2004 - 2009). Sa nomination en 2014 par François Hollande avait été vivement critiquée à gauche.
Soulignant que les règles de droit dédiées aux étrangers sont autant de choix "qui reposent parfois sur des considérations subjectives, fluctuantes, empreintes de protectionnisme, voire de méfiance", il note que "c'est dans ce contexte que se développent des idées préconçues, des mythes".

Parmi ces présupposés à "déconstruire", Jacques Toubon cite la crainte de l'"appel d'air", ou celle d'une remise en cause de "l'identité française": l'immigration est un fait "consubstantiel à la construction de la France" et "aucune période de l'histoire de l'immigration, aussi intense soit-elle, n'a modifié le socle des valeurs républicaines communes".

Une première partie consacrée à l'entrée des étrangers fait état d'"atteintes au droit dans la délivrance des visas", notamment pour les parents de Français sur le motif du "risque migratoire".

Le Défenseur déplore que "la France tend(e) à réduire les voies d'immigration légales, alors même que la situation en Syrie accroit la pression migratoire".

Réitérant des réticences déjà exprimées sur l'accord UE-Turquie visant à dissuader les migrants et à faire face à la crise des réfugiés, il note qu'en France, l'"objectif de +sécurisation+ des frontières" n'est "en rien dissuasif, les exilés ayant derrière eux un parcours migratoire déjà semé d'obstacles et de prises de risques".

Une égalité "à rude épreuve"

Pour ceux qui atteignent le territoire français, le rapport pointe "des entraves au droit de demander l'asile à la frontière" et "le maintien en zone d'attente, source de privation des droits".

En préfecture où ils entament leurs démarches, les migrants risquent de longues heures d'attente, qui portent "atteinte à la dignité humaine", et des refoulements, "entrave au droit des étrangers à voir examinée leur demande". Les délais de traitement "excessifs" des dossiers "ainsi que d'importantes lacunes dans l'information" donnée sont aussi dénoncés.

Le Défenseur s'inquiète aussi de la "précarité du droit au séjour" pour les victimes de violences conjugales notamment, et des "discriminations" dont souffrent les conjoints de Français par rapport aux Européens. Il pointe le cas particulier des étrangers malades, alors que "les obstacles à l'admission au séjour pour soins sont de plus en plus fréquents".

En matière d'éloignement, il dénonce des mesures "exécutées au mépris de certains droits fondamentaux" comme celui de porter plainte.

La deuxième partie du rapport, consacrée aux étrangers déjà en France, parle d'"une égalité de traitement avec les nationaux mise à rude épreuve".

"Entraves à l'accès au droit" en matière de prestations familiales, "discriminations" pour certains minimas sociaux... Le Défenseur s'inquiète aussi de "restrictions d'accès à l'emploi", notamment pour les métiers en tension qui font l'objet d'une autorisation, ou pour les demandeurs d'asile.

Il souligne combien les contrôles d'identité servent souvent "à cibler des étrangers" dans une logique de contrôle migratoire.

Jacques Toubon revient longuement sur le sort des mineurs non accompagnés, l'un de ses sujets d'inquiétude récurrents. Accès aux droits et à la justice "défaillant", conditions de prises en charge "inquiétantes", absence de procédure spécifique pour la demande d'asile... Pendant l'évaluation de leur situation, "ces enfants devraient être protégés de manière inconditionnelle, ce qui n'est pas toujours le cas".