Être féministe en Iran, un combat contre l'oppression

Après avoir été arrêtée début 2010, Mansoureh Shoja'i a quitté l'Iran et vit aujourd'hui en Allemagne. C'est une grande figure du féminisme iranien. Elle a créé le centre des femmes de Téhéran et cofondé la campagne d'Un million de signatures qui réclamait l'abolition des lois sexistes.
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Être féministe en Iran, un combat contre l'oppression
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« Le pouvoir a compris qu'il y avait un mouvement organisé de femmes susceptible de réagir »

« Le pouvoir a compris qu'il y avait un mouvement organisé de femmes susceptible de réagir »
Mansoureh Shoaja'i à l'université Diderot de Paris.
Quel est pour vous le problème le plus urgent à régler pour faire avancer les droits des femmes en Iran ? Il faut d'une part exiger la libération des prisonniers politiques qui se battent pour les droits humains, et, d'autre part, faire évoluer les lois qui discriminent les femmes. D'un point de vue plus personnel, je pense qu'il est aussi urgent de travailler sur la question du libre choix des vêtements. Cela peut paraître anodin, mais c'est en fait l'abécédaire de la liberté. Quand on oblige les femmes à porter le foulard islamique, c'est une atteinte à leur intégrité. Aujourd'hui, les Iraniennes mal voilées sont l'objet de violences policières. Mais, en 1936, sous Reza Chah Pahlavi, ce sont celles qui se couvraient les cheveux qui étaient attaquées. Ce sont les deux faces d'une même médaille. C'est aux femmes de choisir ce qu'elles veulent revêtir. Quand son corps est libéré, la femme peut se libérer du reste. Comment avez-vous lancé la campagne d'Un million de signatures qui est devenu un mouvement social relativement fort en Iran? Cela a commencé en 2005, quand le mandat présidentiel de Khatami arrivait à sa fin. Au sein du groupe féministe "Penser ensemble", nous voulions défier le pouvoir sur la question de la figure présidentielle comme l'avait déjà fait la militante Azam Taleqani en se présentant à l'élection de 1997. Sachant que dans notre constitution le président est désigné par le terme ambigu de Rajol qui, d'origine arabe, signifie homme de sexe masculin ou personnalité connue, une femme peut-elle, oui ou non, devenir présidente de la République islamique ? Mais, en poussant la réflexion, on s'est dit que ce sont toutes les lois discriminatoires pour les femmes qu'il faudrait changer. C'est comme ça qu'on a lancé un premier appel et que 5000 Iraniennes se sont retrouvées devant l'université de Téhéran. Cette mobilisation a été de courte durée puisque la police est intervenue pour disperser les manifestantes. Mais, pour la première fois sous le régime islamique, des revendications portées par des femmes sont apparues dans l'espace publique.
Être féministe en Iran, un combat contre l'oppression
Au lendemain de son élection en 2005, Ahmadinejad main dans la main avec le président sortant Khatami.
Comment, sous un régime aussi policier que celui de la République islamique d'Iran, avez-vous réussi à poursuivre ce mouvement militant ? Il est vrai qu'à partir de ce rassemblement, une offensive s'est mise en place contre les activistes féministes qui s'est renforcée avec l'élection en août 2005 d'Ahmadinejad à la présidence. De nombreuses militantes ont été arrêtées, interrogées et gardées à vue. Pour la journée des femmes du 8 mars 2006, les Iraniennes et les Iraniens qui s'étaient rassemblés dans un parc de la capitale ont été agressés par les forces de l'ordre. Certains ont été blessés dont une des plus grandes poétesses du pays, Simin Behbahani. Mais nous avons vraiment découvert la violence du gouvernement d'Ahmadinejad quand nous avons voulu commémorer en 2006 notre premier rassemblement devant l'université. Une semaine avant l'événement, nous avons reçu des menaces : « Si vous vous rassemblez ce jour-là, on vous tire dessus. » On a quand même décidé d'organiser une réunion publique. La police est intervenue en force et a arrêté 80 personnes. Ce qui ne nous a pas empêché d’obtenir nos 200 premières signatures et de lancer officiellement la campagne d’Un million de signatures. Comment, à travers cette campagne, avez-vous réussi à réveiller la société civile ? Notre objectif était double : faire pression sur le législateur pour obtenir des réformes juridiques et créer un large réseau de femmes. Nous avons décidé d'impliquer l'avocate iranienne Shirin Ebadi, prix Nobel de la paix en 2003, pour qu'elle rédige un livret pédagogique expliquant les inégalités qu’entraînent certaines lois entre les hommes et les femmes. Un livret que nous avons ensuite imprimé et distribué sous le manteau. Nos revendications étaient donc purement juridiques et non idéologiques. C'est comme cela que nous avons réussi à créer une large coalition rassemblant des militantes islamiques, des féministes athées, d'autres séculières... Nous avons aussi monté des ateliers pour sensibiliser les femmes aux questions juridiques et au féminisme. Tout se faisait de manière clandestine, chez les uns et les autres. Des hommes accompagnaient leurs épouses et leurs soeurs pour s'assurer qu'on ne les poussait pas à la débauche comme le faisait croire la propagande gouvernementale. On a touché plusieurs milliers d'Iraniennes à Téhéran et dans les zones rurales. Mais nos actions devenaient de plus en plus risquées. Une fois, les forces de l'ordre sont intervenues au cours d'un atelier que j'animais. Une vingtaine de personnes ont été arrêtées. Quels changements ce mouvement de femmes a-t-il provoqué au sein de la société iranienne ? Sur le plan juridique, quelques changements ont été apportés. Le législateur n'a pas pu complètement faire la sourde oreille. Il a réaffirmé l'âge légale du mariage des filles à 13 ans car elles sont nombreuses à se marier beaucoup plus jeune. La garde des enfants pour les femmes divorcées a été aussi légèrement modifiée. Mais nous avons surtout réussi à faire évoluer les consciences. Le discours sur l'égalité hommes/femmes a définitivement fait son entrée dans la société civile et dans les organes du pouvoir. Pendant la campagne présidentielle de 2009, les femmes sont devenues force de revendication. Notre slogan, c'était : « Nous voterons pour les revendications des femmes ». Le pouvoir aussi a compris qu'il y avait un mouvement organisé de femmes susceptible de réagir et de se mobiliser.
Après la réélection controversée d'Ahmadinejad, le mouvement de femmes issu de la campagne d'Un million de signatures s'est-il investi dans le mouvement de protestation? Beaucoup de femmes ont pris part aux manifestations de protestation. Avec beaucoup de courage comme l’atteste la mort de la jeune manifestante Neda devenue martyre [voir la vidéo, ndlr]. Mais, après tous les événements qui venaient de se produire, il nous paraissait déplacé de revenir sur la place publique avec nos revendications féministes. Toutefois, certaines se souciaient de féminiser les slogans. Par exemple, « le corps ensanglanté de mon frère » devenait « le corps ensanglanté de ma soeur ». En fait le mouvement de femmes que nous avions construit s'est morcelé en différents groupes. Certaines se sont rapprochées du mouvement vert, d'autres ont décidé de s’investir dans un mouvement pacifiste.
Et vous, qu'avez-vous décidé de faire ? Après les grandes manifestations, j'ai participé à la création du Comité de solidarité des femmes contre la violence avec un double objectif : militer contre la violence étatique mais aussi contre la violence au sein de la société iranienne exercée notamment contre les femmes. Il est temps de critiquer haut et fort cette culture iranienne qui légitime la violence entre individus pour institutionnaliser la non-violence. N'est-ce pas une position un peu trop humaniste et relativement vaine ? Ce sont nos idées et nos idéaux qui nous font bouger. Ici, c'est un processus sur le long terme que nous voulons mettre en place. Certaines questions peuvent se réaliser dans un instant court comme demander le droit au divorce. Mais d'autres ont besoin du temps long comme le fait d'arrêter la violence faite aux femmes.

Ecole féministe iranienne

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