Comment, sous un régime aussi policier que celui de la République islamique d'Iran, avez-vous réussi à poursuivre ce mouvement militant ? Il est vrai qu'à partir de ce rassemblement, une offensive s'est mise en place contre les activistes féministes qui s'est renforcée avec l'élection en août 2005 d
'Ahmadinejad à la présidence. De nombreuses militantes ont été arrêtées, interrogées et gardées à vue. Pour la journée des femmes du 8 mars 2006, les Iraniennes et les Iraniens qui s'étaient rassemblés dans un parc de la capitale ont été agressés par les forces de l'ordre. Certains ont été blessés dont une des plus grandes poétesses du pays,
Simin Behbahani. Mais nous avons vraiment découvert la violence du gouvernement d'Ahmadinejad quand nous avons voulu commémorer en 2006 notre premier rassemblement devant l'université. Une semaine avant l'événement, nous avons reçu des menaces : « Si vous vous rassemblez ce jour-là, on vous tire dessus. » On a quand même décidé d'organiser une réunion publique. La police est intervenue en force et a arrêté 80 personnes. Ce qui ne nous a pas empêché d’obtenir nos 200 premières signatures et de lancer officiellement la campagne d’Un million de signatures.
Comment, à travers cette campagne, avez-vous réussi à réveiller la société civile ? Notre objectif était double : faire pression sur le législateur pour obtenir des réformes juridiques et créer un large réseau de femmes. Nous avons décidé d'impliquer l'avocate iranienne
Shirin Ebadi, prix Nobel de la paix en 2003, pour qu'elle rédige un livret pédagogique expliquant les inégalités qu’entraînent certaines lois entre les hommes et les femmes. Un livret que nous avons ensuite imprimé et distribué sous le manteau. Nos revendications étaient donc purement juridiques et non idéologiques. C'est comme cela que nous avons réussi à créer une large coalition rassemblant des militantes islamiques, des féministes athées, d'autres séculières... Nous avons aussi monté des ateliers pour sensibiliser les femmes aux questions juridiques et au féminisme. Tout se faisait de manière clandestine, chez les uns et les autres. Des hommes accompagnaient leurs épouses et leurs soeurs pour s'assurer qu'on ne les poussait pas à la débauche comme le faisait croire la propagande gouvernementale. On a touché plusieurs milliers d'Iraniennes à Téhéran et dans les zones rurales. Mais nos actions devenaient de plus en plus risquées. Une fois, les forces de l'ordre sont intervenues au cours d'un atelier que j'animais. Une vingtaine de personnes ont été arrêtées.
Quels changements ce mouvement de femmes a-t-il provoqué au sein de la société iranienne ? Sur le plan juridique, quelques changements ont été apportés. Le législateur n'a pas pu complètement faire la sourde oreille. Il a réaffirmé l'âge légale du mariage des filles à 13 ans car elles sont nombreuses à se marier beaucoup plus jeune. La garde des enfants pour les femmes divorcées a été aussi légèrement modifiée. Mais nous avons surtout réussi à faire évoluer les consciences. Le discours sur l'égalité hommes/femmes a définitivement fait son entrée dans la société civile et dans les organes du pouvoir. Pendant la campagne présidentielle de 2009, les femmes sont devenues force de revendication. Notre slogan, c'était : « Nous voterons pour les revendications des femmes ». Le pouvoir aussi a compris qu'il y avait un mouvement organisé de femmes susceptible de réagir et de se mobiliser.