« Israël a fait de moi un étranger sur la Terre où je suis né, et maintenant veut me 'déporter' (nous avons laissé le terme utilisé par Mr Fahni, ndlr)». Il s'accroche comme a un frêle esquif à sa librairie - un « oasis de bon sens au milieu de tant de chaos », comme l’a décrite l’écrivain israélien Amos Oz. A l’issue de la Guerre des Six Jours de 1967, Israël a occupé la Cisjordanie, la Bande de Gaza et l’Est de Jérusalem. Si ces territoires avaient été annexés – avec les habitants qui y résidaient – la population juive d’Israël se serait immédiatement convertie en une minorité. Mais le gouvernement israélien a maintenu leur occupation militaire jusqu’à ce jour, à l’exception de Jérusalem Est, absorbée au nom de « l’unicité et l’indivisibilité » de la capitale du peuple juif. Or, comme la grande majorité des Palestiniens de la Ville Sainte, Munther Fahmi a rejeté la citoyenneté israélienne : l’accepter eût été « reconnaître l’occupation », explique-t-il. Depuis, il est contraint au statut de « résident permanent » dans sa propre ville. TOURISTE FORCÉ En 1975, alors que la situation devenait difficilement supportable pour un Palestinien de 21 ans, Fahmi est parti étudier aux Etats-Unis. Marié à une Américaine, il a obtenu sans grande peine le passeport de ce pays. Près de deux décennies plus tard, « intoxiqué par les espoirs nés des accords d’Oslo » de 1993, il décide de rentrer définitivement dans sa ville natale. Il y découvre l’existence d’une loi israélienne qui annule la résidence de tout Palestinien de Jérusalem ayant vécu plus de sept ans à l’extérieur. « Durant vingt ans, j’ai été un “touriste forcé”, mais je voyageais beaucoup pour mon travail – raconte Fahmi en désignant les étagères colorées de sa boutique, dans l’immeuble du 19ème siècle de l’American Colony – et par conséquent, mon honteux visa d’étranger se renouvelait sans que j’y prête attention ». La situation s’est dégradée il y a un an. « On sait ce que tu fabriques, tu n’es pas touriste ici », dit-on désormais à Fahmi à l’aéroport. « Bien sûr que vous le savez », leur répond-il. « Les douaniers m’ont dit que selon la nouvelle loi israélienne, on ne me renouvellerait le visa touristique qu’à trois reprises supplémentaires ». Le libraire a fait appel devant la Cour Suprême mais sa demande a été rejetée au motif que « la loi est la loi ». Il risque donc désormais d’être expulsé. Une campagne internationale en sa faveur a récolté la signature d’une pétition par plus de 4000 personnes, parmi lesquelles les écrivains Amos Oz, David Grossman, Ian McEwan, les historiens Eric Hobsbawn ou Simon Sebag Montefiore, les hommes politiques Tony Blair, Kofi Annan, Jimmy Carter et les comédiens Uma Thurman ou Richard Gere. EXILÉ DANS SON PROPRE PAYS ? « Neuf mois ont passé », raconte Munther Fahmi, « et je n’ai toujours pas obtenu de réponse, or mon dernier visa de touriste expire en mars prochain. J’ai peur de quitter le pays et qu’on ne me laisse jamais revenir dans ma ville, qui est aujourd’hui intégrée aux colonies israéliennes en violation des lois internationales ». Selon les statistiques israéliennes officielles, le sort de Fahmi est partagé par 13.000 des 250.000 Palestiniens qui vivent à Jérusalem Est. « Existe-t-il un autre pays au monde où la population native soit traitée de cette manière ? » s’interroge Fahmi, dans cette ancienne entrée de l’hôtel American Colony qui accueillit Lawrence d’Arabie et Churchill, ainsi que les leaders juifs, chrétiens et musulmans soucieux de paix et d’avenir. « C’est pourtant ce qu’Israël appelle démocratie ».