Etudiants algériens : une rentrée au prix fort, entre colère et galères

En cette rentrée universitaire, la situation des étudiants algériens, troisième communauté étudiante étrangère en France, est loin d’être enviable. Interdiction de travailler, folie administrative, risques d’expulsion et méfiance du pouvoir algérien conduisent à un sentiment de déshérence. Témoignages.
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 Amokrane et Juba, deux étudiants algériens originaires de Tizi Ouzou et étudiants en informatique à Jussieu.
©Pierre Desorgues
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C’était en mars 2015. En moins de 48 heures d’intervalle, deux jeunes étudiants algériens vivant sur Paris et en Seine-Saint-Denis mettaient fin à leurs jours. La communauté étudiante algérienne de l’université de Paris était sous le choc.

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Image de manifestants extraite du site france-algérie.com pour illustrer l'émotion suscitée en mars 2015 après le suicide de deux étudiants algériens en France
(capture d'écran)



Les suicides continuent. L’ADRA, association d’Algériens vivant en France, estime qu’une dizaine d’étudiants algériens se donnent la mort chaque année dans l’Hexagone. Tahar Si Serir, un des cofondateurs de l’Union des étudiants algériens de France et étudiant à l’université de Paris-Diderot dans les années 2000, confirme ce chiffre. « Ces drames révèlent surtout la situation matérielle désespérée d’une majorité d’étudiants algériens en France. Ils sont victimes d’une législation absurde », indique cette figure du syndicalisme étudiant algérien.


21000 étudiants algériens privés de travail


Les quelques 21.000 étudiants algériens sortent du droit commun appliqué aux autres étudiants étrangers. Le sort de la troisième communauté étudiante étrangère reste régi par les accords du 27 décembre 1968, révisés en 2001, entre Alger et Paris. Ces textes réglementent la circulation, l’emploi et le séjour des ressortissants algériens et de leurs familles en France. Ils offrent même une certaine facilité pour l’exercice d’une activité commerciale et l’acquisition d’une carte de séjour de dix ans pour les travailleurs.

Les choses sont cependant moins favorables pour les jeunes algériens venus étudier en France. Les étudiants n’ont pas le droit de travailler ne serait-ce que quelques heures par mois. « Travailler est pourtant vital pour ces jeunes qui ne bénéficient d’aucune aide financière de leurs proches, ni de la bourse sur des critères sociaux, ni d’une aide au logement et encore moins d’une aide provenant du pays d’origine », explique Tahar Si Serir.

Vivre avec 180 euros par mois ?

 
Juba, originaire de la région de Tizi Ouzou, 19 ans, étudie en deuxième année d’informatique et de gestion sur le campus de Jussieu au sein de l’université scientifique Pierre et Marie Curie. « Un étudiant algérien peut quelques fois obtenir une aide d’urgence de l’université, de quelque 1800 euros sur l’année. Mais vous ne pouvez pas vivre avec moins de 180 euros par mois. C’est d’autant impossible que les autorités françaises vous demandent de bloquer 7000 euros sur votre compte bancaire lors de votre séjour si vous voulez obtenir votre visa. Vous ne pouvez pas toucher à cet argent », témoigne le jeune étudiant.

Amokrane Ould Ouali, 21 ans, également étudiant algérien en licence d’informatique abonde dans le même sens. « La majorité des étudiants Algériens en France arrive au début de leur année universitaire avec quelques centaines d’euros et espèrent tenir quelques semaines avant de trouver une solution financière pérenne. Ils sont rapidement surpris par cette interdiction de travail. Nombreux sont les étudiants sur ce campus qui ne savent pas où ils vont dormir la nuit prochaine », décrit Amokrane.
 

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Campus du Jussieu, Paris.
CC

Les étudiants ont cependant la possibilité légale de contourner cette interdiction de travail. Les préfectures délivrent des autorisations préalables de travail. « Ce papier qui nous autorise à pouvoir travailler 18 heures par semaine se fait après une procédure lente et lourde. Il faut attendre plusieurs semaines. C’est un parcours du combattant. J’ai eu plusieurs fois la possibilité d’obtenir un job étudiant. Les démarches administratives font fuir les employeurs. Ils ne vous rappellent jamais dès qu’ils prennent connaissance de cette autorisation préalable de travail », tempère Juba. Le jeune homme arrivée en France à l’âge de 17 ans, a cependant vu miraculeusement sa situation personnelle se débloquer.  « Je suis tombé sur un patron algérien. Il a lui attendu patiemment ce papier », témoigne l’étudiant. Le titre de séjour pose également problème.

Le visa pluriannuel, la solution ?


Le visa pluriannuel pour les étudiants étrangers est généralisé depuis le 26 janvier dernier. L’objectif est de rendre davantage attractif les campus français. Selon l’organisme officiel Campus France, la communauté universitaire a ainsi accueilli 270.000 étudiants étrangers contre 425.000 pour le Royaume-Uni en 2013. Mais les étudiants algériens sont exclus de ces nouvelles pratiques préfectorales. Les visas doivent être renouvelées chaque année, comme le stipule les accords entre les deux pays. « Un étudiant sud-américain ou asiatique a plus de droits qu’un étudiant algérien, issu d’un grand pays francophone », constate amèrement Tahar Si Serir.
 
Amokrane Ould Ouali se montre plus précis. « Au moindre redoublement, l’expulsion a lieu. Les procédures sont tellement lentes que les titres de séjour ne sont délivrés que six mois après la première demande. On se promène avec des récépissés de la préfecture, prouvant le dépôt du dossier » décrit le jeune étudiant.

Malgré cet acharnement administratif, ces membres de la communauté étudiante algérienne n’éprouvent aucune amertume contre la France. « La France fait l’effort de nous accueillir. Nos études sont quasiment gratuites. L’université française fait encore rêver la jeunesse algérienne », indique Amokrane. La rancoeur est dirigée contre le pouvoir algérien.

« L’interdiction de travailler pour les étudiants algériens était une demande d’Alger. Elle a été inscrite dans la révision des accords entre les deux pays en 2001. Officiellement, le pouvoir voulait empêcher la fuite des cerveaux. L’objectif était politique. Les étudiants algériens en France échappent, eux, à la censure. Des camarades de l’université d’Annaba voulaient ainsi participer à un salon littéraire à Alger. Le doyen a refusé d’affréter des bus, estimant que la présence d’auteurs étrangers pouvaient leurs donner des idées politiques néfastes. En France on peut au moins développer et enrichir sa conscience politique, souvent très critique vis à vis du régime. Le régime déteste le savoir, jugé dangereux, et il fait tout pour décourager le départ des jeunes. Combien de nouveaux suicides d’étudiants en France faudra-t-il pour que le gouvernement algérien réagisse enfin ? », s’interroge Juba.

Rester en France ou en Algérie ?


Cette méfiance se traduit par l’absence d’un pavillon algérien au sein de la Cité internationale universitaire de Paris. « Le budget a été voté au début des années 2000, mais la construction est toujours reportée. Ces chambres d’étudiants auraient soulagé  financièrement de nombreux étudiants », regrette Juba.
 
Vont-ils faire le faire le choix de la France au terme de leurs études ? La majorité des étudiants algériens rentrent en Algérie. Les étudiants étrangers bénéficient d’une autorisation provisoire de séjour, l’APS, de douze mois. S'ils trouvent du travail, ils peuvent rester sur le territoire. Rien de tel pour les Algériens. Ils doivent avant la fin de l’année universitaire trouver un emploi.

Tahar Si Serir est resté en France. Il a épousé une française et travaille comme informaticien. « Ce n’était pas possible pour moi de rentrer. Le régime n’accepte pas qu’un secteur privé ou qu’une société civile voit le jour », indiqué l’ancien étudiant de Paris VI. Juba voudrait revenir dans sa Kabylie natale et créer son entreprise. « Ce sera très compliqué », confie-t-il. Amokrane, lui, hésite encore. « Le coeur nous fait revenir en Algérie. La raison, tant que ce pouvoir sera aux manettes en Algérie, nous commande de rester en France ».