En 2008, quelques mois après que le Kosovo ait proclamé son indépendance de la Serbie, la Mission européenne de police et de justice (Eulex) au Kosovo remplaçait la Minuk des Nations unies. Avec 1500 employés, malgré plusieurs réductions d'effectifs successifs, elle reste la principale mission civile de l'UE dans le monde. Eulex a coûté jusqu’à présent plus d'1 milliard d’euros. Sa vocation : aider le Kosovo à établir un État de droit en traitant les dossiers jugés trop sensibles pour la justice locale. Aujourd'hui, plusieurs responsables de cette mission sont soupçonnés d'avoir touchés des pots-de-vin pour classer ou bloquer des enquêtes criminelles. Explications en images :
07.11.2014Liliane Charrier, avec AFP Fin octobre 2014, la procureure britannique d'Eulex, Maria Bamieh, accusait trois hauts responsables de la mission européenne d'avoir touché des pots-de-vin du "milieu" kosovar pour classer ou faire obstruction dans des dossiers liés au crime organisé, dont un pour meurtre. Des faits qui remonteraient à 2012 et 2013. Répondant le 28 octobre dernier à la question : "Avez-vous des soupçons fondés selon lesquels de hauts responsables d'Eulex ont accepté des pots-de-vin pour classer des dossiers délicats ?" Mme Bamieh, qui mène l'enquête depuis un an, répond "oui". A la faveur d'écoutes téléphoniques mises en place en 2012 dans le cadre de l'affaire Ilir Tolaj (ancien fonctionnaire du ministère de la Santé condamné pour corruption et abus de pouvoir), elle est en mesure d'accuser trois hauts responsables d'Eulex : la procureure générale de la mission, la Tchèque Jaroslava Novotna ; l'ancien chef du collège des juges d'Eulex, l'Italien Francesco Florit ; et le procureur canadien Jonathan Ratel. Le quotidien kosovar
Koha Ditore révèle notamment que près de 350 000 euros ont été offerts à Mme Novotna et M. Florit pour qu'ils classent certains dossiers. Maria Bamieh accuse également M. Ratel d'avoir tenté de l'empêcher de révéler ces informations. "Je ne sais pas quelles sont leurs explications, mais mon devoir en tant que procureur est de faire état de ce genre de choses", a-t-elle ajouté.
Depuis, Mme Bamieh, qui fait partie de la mission depuis ses débuts en 2008, et qui était dernièrement chef de l'unité chargée des crimes financiers, a été suspendue de ses fonctions, quelques jours avant que le scandale n'éclate. "Ils veulent me punir pour ce que j'ai découvert, par hasard, en faisant simplement mon travail", assure-t-elle. "Il ne s'agit pas d'une sanction mais d'une mesure, qui s'applique dans ce genre de situation," a rétorqué le chef d'Eulex, Gabriele Meucchi. Un expert indépendant Le 4 novembre, la nouvelle chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, annonçait la nomination prochaine "d'un expert indépendant" pour passer au crible le travail de la mission européenne au Kosovo. Cet expert juridique "expérimenté", dont la nomination "est une question urgente" devra "passer en revue la mise en oeuvre du mandat de la Mission" européenne de police et de justice (Eulex) "en se focalisant en particulier sur la gestion des allégations" de corruption, a déclaré Mme Mogherini. "Il est dans notre intérêt d'être totalement transparents et fiables. C'est une question de crédibilité, non seulement pour Eulex mais pour toutes les missions" de l'Union européenne dans le monde, a-t-elle souligné. Une enquête judiciaire Mme Mogherini a cependant précisé que le travail de cet expert "ne peut se substituer au travail judiciaire" en cours. Une enquête criminelle menée conjointement par Eulex et la justice kosovare a été ouverte à la fin de l'année 2013 sur des allégations de corruption, selon le service diplomatique de l'UE. Des accusations qui visaient déjà Jaroslava Novotna, Francesco Florit et Jonathan Ratel. Deux jours plus tard, le chef d'Eulex, Gabriele Meucchi, assurait qu'elles feraient l'objet d'"une enquête approfondie". M. Meucchi a affirmé que l'Eulex était au courant de ces accusations depuis 2013 et ajouté que la mission et "le système juridique kosovar avaient depuis lancé une enquête conjointe sur ce dossier. Un procureur et des enquêteurs de la police ont été chargés de ce dossier. Une enquête en profondeur est en cours, en accord avec ce qui est l'essence même de l'engagement d'Eulex, à savoir la lutte contre la corruption et l'impunité", a-t-il précisé, non sans ajouter : "Je ne peux pas dévoiler à quel stade se trouve en ce moment cette enquête criminelle".
Des informations qui "devraient choquer l'UE" Les informations dont dispose Maria Bamieh "devraient choquer l'Union européenne", affirme la procureure suspendue, car Eulex gaspille l'argent des contribuables et ne fait rien pour le peuple du Kosovo". Depuis, un vent de panique souffle à Bruxelles, jusque dans le bureau de Catherine Ashton, ancienne haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères. De fait, cette affaire est grave pour l'Union européenne. Elle décrédibilise non seulement son action dans la région, mais aussi toutes ses autres missions contre le crime organisé dans des pays non-membres - voir ci-contre la carte des missions civiles (en bleu) et militaires (en vert) de l'Union européenne dans le monde en octobre 2014.