“Nous avons gagné la bataille des idées” Les représentations d’Eurabia ne sont plus l’apanage d’une “extrême droite” marginalisée. Le 1er mai 2013, lors du traditionnel défilé du Front national à Paris, sa présidente, Marine Le Pen, a ainsi lancé du haut de sa tribune : “Nous avons gagné la bataille des idées ! Désormais, nous devons transformer cette victoire idéologique en victoire politique”. A mesure que se sont diffusés les schémas d’Eurabia, le Front national s’est “dédiabolisé” et la droite “décomplexée”. “Pour moi, l’extrême droite n’existe plus,” explique Raphaël Liogier, “Pourquoi ? Parce qu’elle n’est plus à l’extrême. Mais Marine Le Pen ne s’est pas battue, elle a vogué sur un mouvement qui la dépasse très largement du point de vue idéologique. Ce qu’elle a fait en revanche, c’est changer complètement le fond idéologique du Front National.” “Nous n’assistons pas à l’extension de l’extrême droite, mais nous assistons au contraire à son implosion, à sa dissolution,” précise Raphaël Liogier. Contrairement au “nationalisme classique” représenté par son père dans une idologie anti-immigration, ultra libérale et antisémite, Marine Le Pen a mis son parti, à partir de 2005, sur les rails d’un nouveau nationalisme anti-libéral et anti-Islam “ni de droite, ni de gauche”. Dans la guerre imaginaire contre l’Islam, Marine Le Pen se bat au nom du “féminisme”, de la “démocratie”, ou encore de “la liberté d’expression”. Raphaël Liogier invite à comparer le Front national à ses équivalents européens : le “Parti de la liberté” aux Pays-Bas, l'“Union démocratique du Centre”, le “Parti du Progrès” en Norvège, le "Parti du peuple” au Danemark ou encore le “Parti autrichien de la Liberté”. Le sociologue constate ainsi que “Le populisme a réussi cette espèce de tour de force de refaire cette alliance contre nature entre progressistes et réactionnaires au nom de la liberté”. Une laïcité d’exception Le corpus idéologique d’Eurabia s’est normalisé au point - et c'est le plus grave selon Raphaël Liogier - qu’il fait aujourd’hui l’objet de politiques publiques. Pour le sociologue, il s’est opéré un tournant fondamental en 2003, avec notamment le rapport que le Premier ministre de l’époque, Jean-Pierre Raffarin, avait demandé à François Barouin sur la laïcité. “François Barouin conclut que l’application de la laïcité est incompatible avec les droits de l’Homme. Alors que la laïcité, précise le sociologue, c’est la synthèse entre la liberté de conscience et la liberté d’expression appliquée au culte, donc c’est un produit direct des droits de l’Homme. François Barouin conseille alors de faire émerger une nouvelle laïcité qui, à un certain niveau, et dans certaines conditions, va à l’encontre des droits de l’Homme.” C’est ce que Raphaël Liogier désigne comme la “laïcité d'exception, comme il y a des tribunaux d'exception en temps de guerre.” “La loi de 2004 proscrivant les signes religieux ostensibles, et visant implicitement le foulard, {est} la première application du programme de cette nouvelle laïcité en situation de guerre,” écrit Raphaël Liogier dans
une tribune parue dans le journal Le Monde en mars 2013. Il y a moins d’un mois,
une jeune fille de 15 ans a été exclue de son collège sur ces motifs alors même qu’elle avait ôté son voile. Dans l’établissement public, elle continuait de porter une jupe longue et un bandeau de 5 cm d’épaisseur, trop pour le conseil de discipline, qui a décidé de l’exclure. Elle respecte la loi, mais ça ne suffit pas. Pour Raphaël Liogier, le problème réside dans “l’intension qu’on lui prêtre”. “C’est l'intention qui compte. Et du coup on transgresse la loi en l'excluant, mais on considère qu'on a le droit de le faire.
Au-delà de tout, explique le sociologue, il faut éviter ce que Bourdieu appelait la violence symbolique, c’est à dire imposer à l’autre une intention qu’il n’a pas.” Les 4% de musulmans qui résident en Europe n’ont pas “l’intention” (ni les moyens, d’ailleurs) d’imposer une vision extrémiste de l’Islam qu’ils ne partagent même pas. L’Europe n’est pas un territoire occupé, et ni Anders Behring Breivik ni Beate Zschäpe ne sont les “courageux héros” d’une résistance à une “islamisation” qui n’existe pas.