Plus encore que le champ ou les dispositions finales du Traité, pourtant – encore, par définition, dans les limbes – une clause annoncée soulève la colère des opposants mais aussi, au fil des semaines, le trouble de certains de ses partisans : l'ISDS (investor-state dispute settlement). L'accord, précise le mandat, devra inclure «
un mécanisme de règlement de conflit investisseur-Etat efficace et de pointe (« state of the art »), assurant la transparence, l'indépendance des arbitres et la prévisibilité de l'accord y compris à travers la possibilité d'interprétations contraignantes ». En clair, un collège d'arbitres devant laquelle une entreprise pourra traîner un pays en dehors de toute justice nationale et sans recours, au motif que sa politique ou sa législation gênerait les ambitions commerciales de la première, voire nuirait à ses profits escomptés. Des monopoles d’États ou services publics, des normes alimentaires ou environnementales (là encore, interdiction d'exploiter du gaz de schistes, par exemple, ou de cultiver des OGM) pourraient ainsi être attaqués : «
un cheval de Troie aux mains des multinationales »,
estime l’eurodéputé vert (français) Yannick Jadot, vice-président de la commission du commerce international du Parlement européen. «
Un missile contre les peuples, les travailleurs et les États », renchérit son collègue communiste Patrick Le Hyaric.
Fantasme ? Une tel dispositif n'est pas inédit. Créé en 1966, le CIRDI (Centre international de règlement des différends liés à l'investissement) arbitre, comme son nom l'indique, des conflits entre investisseurs et États sous l'égide de la Banque mondiale. Basé à Washington et composé de juristes principalement du droit des affaires, il juge sans appel et sans recours possible aux justices ordinaires. Quelques uns de ses « jugements » (exécutoires) sont éloquents.
En 2012, l’Équateur a été condamné à payer 2,3 milliards de dollars à l'américaine
Occidental Petroleum pour avoir cessé sa collaboration avec elle au terme d'un conflit. Depuis 2010, le cigarettier
Philip Morris international poursuit avec ténacité l'Uruguay - après l'Australie - pour sa législation anti-tabac. Le différend n'est pas encore tranché mais le CIRDI s'est récemment déclaré compétent pour l' « arbitrer ». Et si, à l'inverse, le Conseil constitutionnel français a débouté en 2013 la société pétrolière texane
Schluepbach d'une remise en cause de la loi nationale interdisant la fraction hydraulique, il en aurait sans doute été différemment devant une instance arbitrale privée, animée d'une autre logique. «
Les États perdent leur autonomie législative car elle se trouve subordonnée à la garantie de profitabilité de l’investissement étranger »,
résume l'organisation alter mondialiste Attac. Le plus souvent favorables aux investisseurs et ruineux pour les États pauvres qui doivent – aussi - assumer des coûts de défense en justice exorbitants, cette justice privée supranationale fait en Amérique latine l'objet d'une remise en cause, menée en particulier par la Bolivie qui s'est retirée du CIRDI.
Les États-Unis mais aussi la très libérale Commission européenne semblent, eux, vouloir faire le chemin inverse tout en – selon les interlocuteurs et les circonstances – soutenant ou non le contraire. Explicite dans le mandat de négociation « secret » et donc bien prévue
in fine mais destinée sans doute à s'imposer en douceur, l'instauration dans le TAFTA du mécanisme d'arbitrage suscite des réactions croissantes dans différents pays d'Europe. De plus en plus dénoncée comme un outrage aux souverainetés des États et aux traditions juridiques du vieux continent – du moins celles antérieure à l'engouement de Bruxelles pour le libre-échangisme anglo-saxon - elle cristallise la contestation du TAFTA au point d’en menacer la conclusion.
Face à l'ébullition aggravée par l'approche d'élections européennes délicates, plusieurs capitales et instances européennes ont amorcé ces dernières semaines un rétro-pédalage discret mais perceptible. Après Paris, Berlin a fait connaître
ses réserves à l'égard de l'ISDS. Plus acrobatique et parfois difficile à interpréter, l’infléchissement du Commissaire européen (belge) au commerce et l'un des pères du Traité en gestation, Karel De Gucht. Réaffirmant en janvier la nécessité, à ses yeux, de «
trouver le juste équilibre et traiter les investisseurs de manière équitable afin d’attirer de l’investissement », il assure que «
le TTIP maintiendra fermement le droit des États membres de l'UE de réglementer dans l'intérêt public » et organise … une consultation en ligne. «
Le but est de circonscrire beaucoup plus clairement le champ d'application et d'évincer [de la compétence de l'ISDS]
toute procédure possible du champ d'application de la politique », promet-il
le 28 avril sur la radio publique France -Inter. «
Ce recul de la Commission sur l'un des sujets les plus dangereux du traité transatlantique est une bonne nouvelle. »,
se réjouit Yannick Jadot.