Européennes 2019 : pourquoi tous les partis se mettent-il "au vert" ?
Les 23 et 26 mai, les citoyens européens doivent renouveler leur parlement. L'écologie s'annonce comme un des thèmes principaux d'une élection pour laquelle les partis écologistes européens font souvent leurs plus beaux scores... Mais la défense de l'environnement n'est plus le monopole des seuls "écolos". Toutes les formations politiques s'affichent "vertes"... Simple posture électorale ou réelle conviction ? Éléments de réponse avec Bruno Cautrès.
Les multiples manifestations pour le climat ont-elles une influence sur les partis politiques qui présentent tous un candidat écologique aux Européennes ?
Quatre ans après la COP21 - dont l'accord historique a été signé par tous les membres de l'Union européenne - et alors que les marches pour le climat se succèdent, l'écologie arrive en cinquième position des thèmes qui auront une importance pour les prochaines élections européennes, selon un sondage Harris Interactive.
Dans ce contexte, il apparaît que tous les partis se mettent "au vert". Pourquoi ? Analyse de Bruno Cautrès, politiste, chercheur CNRS au Cevipof, professeur à Sciences Po Paris. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques.
TV5MONDE : Traditionnellement, les Verts font de bons scores aux Européennes, pourquoi ? Bruno Cautrès : Lorsqu’on demande aux Européens dans leur ensemble et pas seulement aux Français : quels sont les domaines de l’action publique pour lesquels ils verraient bien une action publique européenne, ce sont toujours ceux qui ont une forte dimension transnationale. Evidemment, il y a la lutte contre le crime organisé, la grande criminalité, et contre les dangers en matière d’environnement et le renforcement des politiques écologiques qui par définition sont transnationales. Les problèmes écologiques ne s’arrêtent pas aux frontières nationales.
Deuxième raison : les logiques de l’intégration européenne se sont longtemps faites, sur les premières décennies, sur les dimensions commerciales et économiques. L’Europe dans son projet de départ tel que Jean Monet et les pères fondateurs l’ont voulu, est une Europe du marché économique, de l’abaissement des barrières douanières et commerciales entre les Etats européens. Il a fallu pas mal de temps pour que l’Europe prenne une deuxième orientation complétant cette dimension économique par une dimension plus citoyenne. La citoyenneté européenne est inscrite dans le Traité de Maastricht en 1992.
Troisième point : en France, le fait que les écologistes se sentent assez bien dans les thématiques européennes, c'est sans aucun doute l’effet de grandes personnalités très européennes avec une très forte implication sur les questions d’environnement et écologiques. Je pense à Daniel Cohn Bendit sans aucun doute. La création d’Europe Ecologie les Verts (EE-LV) à la suite des élections européennes où Daniel Cohn Bendit avait eu un grand succès qui, sans aucun doute, est un moment qui reste mythique pour l’écologie politique de sensibilité pro-européenne en France.
Le succès de la Marche du siècle pour le climat en France, les mouvements des étudiants en Europe poussent-ils les politiques à considérer davantage la question écologique ?
La progressive prise de conscience inquiète des citoyens européens sur le danger en matière de protection de l’environnement exerce une pression assez directe sur toutes les formations politiques qui toutes ne peuvent pas aujourd’hui soit ignorer la dimension environnementale et écologique, soit la mettre en deuxième priorité.
Il reste deux mois de campagne et il peut se passer plein de choses dans les intentions de vote mais pour le moment on ne peut pas dire que c’est un grand succès d’opinion pour Europe Ecologique les Verts (EE-LV) avec 7,5 à 8% des intentions de vote.
En France les partis s’affichent tous "verts". Posture ou réelle conviction ?
Tous les acteurs politiques sont d’abord des acteurs stratégiques qui ne veulent pas laisser le monopole d’un enjeu à l’autre. Et en matière d’élection, il y a toujours une bataille essentielle : l’appropriation des enjeux.
Pour un parti politique ou un candidat, c'est stratégique de se présenter aux yeux des électeurs comme le seul légitime pour parler d’une question. Pour cette raison, les grandes formations politiques ne veulent surtout pas laisser aux écologistes la possibilité de s’affirmer dans la politique nationale propriétaire de l’enjeu environnement. C’est ce qui explique ce comportement stratégique.
N'oublions pas qu'il y a aussi de réelles convictions. Je ne pense pas qu’on puisse leur faire le procès que ce sont des cyniques sans aucune conviction. On tomberait dans la caricature.
Progressivement, on a vu émerger dans toutes les familles politiques des écologistes convaincus. Si vous prenez la gauche on ne peut pas nier qu’une personnalité comme Ségolène Royal est fortement identifiée sur ce thème, qu’elle bénéficie d’une réelle cote d’estime parmi les écologistes. A droite, lorsque Nathalie Kosciusko-Morizet était dans la vie politique française, elle était reconnue au minimum pour sa connaissance du dossier environnemental par les écologistes.
Lorsque je vois Pascal Canfin qui intègre de La République en Marche après avoir dit que les conditions n’étaient pas réunies. Je suis partagé comme tout le monde... Après nous voir montré qu’il était un écologiste convaincu et sincère, il est en même temps un acteur stratégique.
L’écologie n’est donc plus l’apanage d’un parti ?
Si vous regardez les programmes lors de l’élection présidentielle, le programme de Benoît Hamon, de Jean-Luc Mélenchon sont très riches sur les questions environnementales, écologiques. Mélenchon se flattait de dire que les écologistes parlaient de la terre mais qu’il était le seul à parler de la mer. On voit progressivement des formes de fusion et d’intégration entre les questions de justice sociale et environnementale. On a vu parmi le mouvement des Gilets jaunes que « fin du mois, fin du monde » avait commencé à prendre racine.
Effectivement, c’est la difficulté pour l’écologie politique. Dans la fin des année 1980 Antoine Waechter était le chef du parti les Verts, il était sur une ligne dure d’apolitisme, dire que l’on n’est ni de droite ni de gauche. Il a été remplacé à la tête des Verts par Dominique Voynet. Elle a fait le choix de la gauche aux législatives de 1997.
Depuis 1997, l'écologie politique française avait clairement fait le choix de la gauche. Yannick Jadot nous dit aujourd'hui que l'écologie n'est ni de droite ni de gauche, mais il a pris, tout seul, la décision de ne pas se présenter à la présidentielle.
L’écologie politique en France alterne entre deux tendances qui se contredisent un peu : l'une que l’écologie est une question transversale, l’autre que c’est une facette d’une vision de la société qui s’inscrit à l’intérieur du schéma gauche-droite. On voit que ça hésite beaucoup entre ces deux théories.
A l’élection présidentielle, c’est plus difficile pour les écologistes parce que les électeurs sont préoccupés par un ensemble de politiques qui ne sont pas simplement des questions environnementales mais qui sont d’abord la question de la redistribution de la richesse dans le pays.
Ces élections européennes s'annoncent-elles inédites pour l'écologie ?
Ce serait une belle surprise. Mais je ne suis pas sûr compte tenu de l’ampleur des préoccupations à la fois socio-économiques, des frontières et de migration, je ne suis pas sûr qu’il y ait un gros espace pour l’écologie malgré l’importance de la prise de conscience internationale sur ce sujet.
Quand on voit la gauche complètement morcelée et que les Verts n’arrivent pas à s’imposer, la France insoumise confie sa liste à une très jeune femme que personne ne connaît (Manon Aubry, ndlr), que le PS n’a même pas pu assumer sa tête de liste lui-même en la confiant à Raphaël Glucksman, les Communistes ont une tête de liste Yann Brossat complètement inconnu, et dans ce contexte, Yannick Jadot bien exposé dans sur la scène politique, arrive à faire seulement 7,5/ 8% d'intention de vote, ça n'est pas terrible.