Contrairement aux salles de marché informes, au monde gris des banquiers ou experts anonymes de Bruxelles, l’un des derniers présumés sauveurs du royaume d’Espagne a un visage et un nom : Sheldon Adelson. Quatorzième fortune mondiale selon le
magazine Forbes , il possède et dirige le plus grand empire du jeu étatsunien : Las Vegas Sands, implanté dans le Nevada mais également à Macao et Singapour. Issu d’une famille juive d’origine lituanienne modeste, il est connu comme l’un des contributeurs majeurs de la campagne républicaine de Mitt Romney (pour près de 100 millions de dollars) et donateur non moins généreux en faveur de la cause israélienne.
Son projet : un gigantesque complexe de casinos au sud de l’Europe, au cœur d’une péninsule ibérique en plein désarroi. Surnom prometteur : EuroVegas. Le lieu vient d’en être rendu public : Madrid, finalement préférée à Barcelone. Dans une compétition arbitrée avec gourmandise par le bienfaiteur, les deux villes avaient, au cours des derniers mois, rivalisé d’abaissement pour gagner les faveurs du magna.
Celles-ci, il est vrai, ont de quoi faire rêver : 6 casinos, 18000 machines à sous, 3 terrains de golf, 9 théâtres, 36 000 chambres d’hôtel. Montant total de l’investissement : près de 18 milliards d’euros sur dix ans. Selon les promoteurs, plus de 200 000 emplois seraient générés, dont 94000 directs, ainsi que 15 milliards d’euros de revenus touristiques.
On l’aura deviné, les contreparties exigées des indigènes sont à la hauteur des promesses de l’Empereur du tapis vert. Pas moins d’une trentaine de conditions économiques, fiscales, environnementales. Parmi elles : 10 années d’exemption de la TVA, des impôts sur le jeu et sur l’immobilier, deux ans de dispense de cotisations sociales, réforme du code du travail, régime légal dérogatoire durant trente ans, subventions européennes, don des terrains… Peu embarrassé, en l’espèce, de considérations morales l’ultra-conservateur américain réclame aussi l’autorisation de jeu pour les mineurs et les dépendants – y compris ceux interdits de casinos - et même, transgression suprême de son côté de l’Atlantique … celle de fumer dans les bâtiments. L’immensité des prétentions et leur contradiction avec l’élémentaire droit européen ne trouble guère la présidente de la région de Madrid, Esperanza Aguirre, conservatrice et catholique : « "Plus de la moitié des Madrilènes au chômage pourraient trouver un emploi. (…) S’il faut faire n’importe quelles modifications réglementaires, législatives (…) qui soient dans mes principes, elles se feront ».