Fil d'Ariane
Pour sa 65ème édition, l’Eurovision a fait la part belle à la francophonie. Les deux chansons en français, Voilà interprétée pour la France par Barbara Pravi et Tout l’univers par Gjon’s Tears pour la Suisse se sont vues offrir les deuxième et troisième places du podium, derrière le groupe de rock italien Maneskin. Autre fait singulier : le titre et refrain en français "Je me casse" de la chanson maltaise, interprété principalement en anglais par Destiny.
Jamais la France n’avait connu un tel succès. Avec un total de 499 points, la chanteuse Barabara Pravi se positionne loin devant les performances françaises précédentes. Avant 2021, la dernière interprétation marquante de la France remonte à 2016, lorsque le chanteur Amir est arrivé à la 6ème place avec 257 points.
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Samedi soir, ce sont les Pays-Bas et l’Espagne qui ont témoigné le plus d’enthousiasme vis-à-vis de la jeune française. Leurs jurys tout comme leurs publics lui ont accordé la note maximale de 12 points. La France a par ailleurs obtenu la note maximale du jury en Angleterre, en Irlande, en Allemagne, en Suisse, à Saint-Marin et en Serbie, et la note maximale des téléspectateurs au Portugal et en Belgique.
Pour le Suisse Gjon’s Tears, c'est l'Albanie qui a donné la note maximale. Les jurys du Danemark, de Lettonie, d'Israël, de Belgique, d'Islande, de l'Estonie et de la Finlande lui ont accordé 12 points, et du côté des téléspectateurs seul l'Albanie lui en a donné autant. La France comme la Suisse sont restées toute la soirée en tête des votes des jurys, mais c'est au moment des votes du public qu'ils ont été dépassés par l'Italie.
"Avec Voilà, les mots résonnent comme des notes, les paroles sont une phrase musicale."
Nicolas Georges, chroniqueur culture à TV5 Monde
Alors est-ce un retour en grâce de la francophonie auprès des auditeurs internationaux ? Disons plutôt que c'est Barbara Pravi qui a renoué avec ce qui a fait le succès de la langue française pendant des années. Pour Nicolas Georges, journaliste chroniqueur culture à TV5 Monde, les auditeurs ont salué la musicalité de la langue de Molière : « Quand on interroge des artistes ou des auditeurs à l’international, ils mettent en avant la portée des mots et la musicalité de la chanson française. Avec Voilà, les mots résonnent comme des notes, les paroles sont une phrase musicale.»
Cette musicalité a été servie par une simplicité rare dans un événement tel que l’Eurovision. « Les auditeurs ont aussi apprécié la simplicité de la performance, ajoute Nicolas Georges, aussi bien dans les paroles, faciles à retenir et à chanter que dans le décor, sobre et dénué de toute fioriture ». Une sobriété qui rappelle les icônes de la chanson française depuis 70 ans comme Barbara ou Edith Piaf. De nombreux auditeurs ont d’ailleurs évoqué des similitudes avec cette dernière.
Chanter en français a aussi été un moyen de se démarquer des autres candidats. La majorité des autres chansons étaient en anglais. Benjamin Boutin, président de l’ONG Francophonie sans frontières, s’en réjouit : « Avec ces deuxième et troisième places, la France et la Suisse ont prouvé qu’on peut séduire dans toutes les langues, et pas seulement avec l’anglais.»
"On peut séduire dans toutes les langues, et pas seulement avec l'anglais."
Benjamin Boutin, président de Francophonie sans frontières
Pour Benjamin Boutin, l’emploi du français dans la chanson permet de développer une créativité et une authenticité uniques. « Nos diversités culturelles, qui sont censées être mises en avant dans des événements comme l’Eurovision, s’expriment en partie à travers notre langue, s’en priver n’aurait pas été un bon choix stratégique. » D’autant plus que la chanson française bénéficie encore d’une grande popularité à l’étranger. « On a de grandes chanteuses internationales comme Céline Dion ou Nana Mouskouri qui ont chanté en français. À chaque fois que Céline Dion interprète un titre français à Las Vegas, le public réagit extrêmement bien. De même en Russie, certains chanteurs comme Joe Dassin et Aznavour sont encore extrêmement populaires.»
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Face à l’omniprésence de l’anglais, la chanson française s’est distinguée. « C’est ce que recherchent aussi les téléspectateurs, affirme le président de Francophonie sans frontières, ils veulent de la diversité, du plurilinguisme, et pas uniquement dans la chanson ! Au sein de l’Union européenne, l’anglais est devenu dominant. Mais cela ne devrait pas être le cas. La langue de l’Union européenne, c’est la traduction. À l’Eurovision comme partout, il faut privilégier ce plurilinguisme. »
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