Euthanasie : "C’est la possibilité de quitter la vie qui nous fait l’aimer"

Le 8 avril, une proposition de loi pour “donner le droit à une fin de vie libre et choisie” aux personnes souffrant d’une pathologie incurable, sera débattue à l’Assemblée nationale. Pour le philosophe François Galichet, militant du droit à la “mort délibérée”, la crise sanitaire nous rappelle que si nous n’avons qu’une vie et qu’il faut en profiter, nous n’avons aussi qu’une mort et il faut la préparer.

Image
Euthanasie France
Instruments pour se suicider à Liestal en Suisse, où le scientifique australien David Goodall, 104 ans, a mis fin à ses jours le 10 mai 2018 en s'injectant du pentobarbitol. 
(Photo AP / Philipp Jenne)
Partager7 minutes de lecture

Quelle est la différence entre l’euthanasie active et le suicide médicalement assisté ? Qu’en est-il du projet de loi pour “donner le droit à une fin de vie libre et choisie”

François Galichet

Membre de l’association Ultime Liberté, François Galichet a été mis en examen en mars 2021, soupçonné d'avoir aidé des personnes à se procurer du Pentobarbital (interdit en France), pour mettre fin à leurs jours.

DRFP / Odile Jacob

François Galichet, philosophe : L’euthanasie c’est quand une personne, généralement un médecin, donne la mort à une autre personne volontaire, bien évidemment. La personne peut être inconsciente au moment de la piqûre létale, mais a donné son accord quand elle était lucide. Lors du suicide assisté, la personne est consciente et c’est elle-même qui se donne la mort par voie orale ou en appuyant sur un bouton qui déclenche une perfusion. Jusqu’au bout, la personne est libre d’accomplir le geste ou non. Le projet de loi présenté ce jeudi concerne uniquement l’euthanasie. 

N’est-ce pas une responsabilité trop lourde à faire porter aux médecins ?

François Galichet : C’est vrai… Les médecins opposés à l’euthanasie évoquent le serment d’Hippocrate à la base de la déontologie médicale ("Tu ne tueras pas". "Je ne remettrai à personne du poison, si on m’en demande, ni ne prendrai l’initiative d’une pareille suggestion", Ndlr). Mais dans ce même serment le respect de la volonté du malade est aussi très important.

Beaucoup de médecins estiment que cela fait partie de leur devoir d’aider le patient jusqu’au bout, quand il n’y a plus d’espoir et que la fin de vie est certaine. Quoi qu’il en soit, la proposition de loi prévoit une clause de conscience qui permet à tous médecins opposés à un geste létal de se récuser. 

Les défenseurs de l’euthanasie mettent en avant la “dignité” du malade. Qu’est-ce que la dignité ? 

François Galichet : Pour mon dernier livre, Qu’est-ce qu’une vie accomplie ?, paru chez Odile Jacob, j’ai mené une enquête auprès d’une cinquantaine de personnes qui avaient pu se procurer de manière illégale du pentobarbital (puissant somnifère et anesthésiant interdit en France et utilisé dans le cadre du suicide assisté, Ndlr), non pas pour l’utiliser tout de suite mais pour avoir la certitude de pouvoir quitter la vie le moment venu si c’était nécessaire.

Certains craignent d‘être accablés par une douleur atroce, d’autres de devenir dépendants et de ne plus pouvoir accomplir les gestes élémentaires comme manger, d’aller aux toilettes ou de se laver seuls. La peur d’être une charge pour l’entourage, généralement les enfants, revient beaucoup. 

A lire : Euthanasie, dans quels pays francophones occidentaux est-elle légale ?
 

En 2005, la loi Leonetti permettait de prévenir l’acharnement thérapeutique et en 2016 s’y est ajouté le droit à la sédation profonde et continue jusqu’au décès du patient (loi Clayes-Leonetti), appelée euthanasie passive. Pourquoi jugez-vous cela insuffisant ? 

François Galichet : Ce dispositif permet d’endormir le patient, de ne plus le nourrir ni de l'hydrater et d’attendre qu’il meurt. Mais a-t-on la preuve qu’il ne ressent rien ? Rien ne prouve que le sommeil prévient les souffrances. D’autre part, cela se pratique à l’hôpital, le patient n’est pas conscient et ne peut pas dire au revoir à ses proches.

Beaucoup de gens que j’ai aidés à partir, de manière clandestine, le font avant d’entrer à l’hôpital précisément pour pouvoir mourir chez eux avec leurs proches et quitter la vie entourés d’affection plutôt qu’entourés de tuyaux dans un état semi-comateux. Il s’agit d’anticiper un état de dégradation irréversible. Dans le cas de la maladie de Charcot par exemple qui mène progressivement à une paralysie totale… Les victimes refusent cette prison et c’est leur droit. 
 
A lire : Euthanasie, décès en Belgique d'Anne Bert, l'écrivaine française qui a choisi sa mort

Pourquoi faudrait-il absolument légiférer ? Le suicide est après tout une affaire personnelle...

François Galichet : Rien n’empêche de mettre fin à ses jours mais de façon très violente. Il est normal de donner aux gens qui manifestent une volonté claire, lucide, calme et réfléchie, les moyens de mourir doucement et non de manière brutale en se jetant sous un train ou par la fenêtre. L’Etat doit encadrer, organiser et réguler cet acte. Pour ma part, je n’emploie pas le mot suicide que je trouve trop lié à l’idée de meurtre. Je préfère “mort délibérée” qui contient la notion de volonté et de réflexion, ce n’est pas un geste impulsif.  

La Suisse autorise le suicide médicalement assisté et la Belgique a dépénalisé l’euthanasie active en 2002. Comment qualifieriez-vous le débat en France ? 

François Galichet : La France est en retard sur nombre de pays européens. Plus récemment, l'Espagne et le Portugal ont légiféré. J’espère que les députés français vont faire un pas dans cette direction. L’aide à mourir doit vérifier que le demandeur ne le fait pas de manière impulsive. La loi doit prévoir des procédures pour permettre à la personne de clarifier sa volonté, de l’affirmer et de la justifier. En Belgique et en Suisse il se passe parfois un mois entre le dépôt de la demande et son acceptation. Cela permet aux accompagnants de vérifier qu’il n’y a pas de manipulations de l’entourage. 

(Re)voir : L'Espagne légalise l'euthanasie et le suicide assisté, sous conditions

TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...

 A lire : En Suisse, le suicide assisté est légal

Comment expliquez-vous que l’interdiction perdure en France ? 

François Galichet : Même si selon un sondage Ifop 96% des Français sont favorables à l’euthanasie, il y a deux groupes de pression extrêmement puissants. D’abord le lobby médical. Le gouvernement compte beaucoup de médecins à commencer par le ministre de la Santé Olivier Véran qui considèrent qu’il est trop tôt pour légiférer. Il y a aussi le lobby religieux. Le 5 avril, Monseigneur Aupetit, l’archevêque de Paris était sur France Inter et a pris publiquement position contre toute idée d’aide à mourir. 

La mort est-elle  tabou en Occident ? 

François Galichet : Tout à fait ! Jusqu’au début du XXe siècle on mourait chez soi et la mort était quelque chose de familier qu’on apprenait à apprivoiser. Aujourd’hui, la mort est invisible, cachée dans les hôpitaux ou les Ehpads. Elle fait peur car on ne la voit plus.  

Depuis un an, la mort a brutalement ressurgi dans notre quotidien…

François Galichet : La crise sanitaire a mis la mort au centre de nos préoccupations. Nous nous sommes rappelés notre condition de simples mortels. Il faut regarder la mort en face et savoir comment la préparer. Les détracteurs de l’euthanasie active et du suicide assisté défendent le caractère sacré de la vie, mais de quelle vie parlent-ils ? La vie biologique ou la vie humaine ?

En ce moment, au nom de la vie biologique, on impose des mesures extrêmement contraignantes et dommageables à la vie humaine. Comme l’a dit le Christ, l’Homme ne vit pas seulement de pain, mais d’amour, de culture, de joie partagée, de recherche artistique… En fin de vie, la vie biologique peut devenir atroce et c’est au nom de la vie humaine, que l’on peut vouloir partir. 

A lire : Belgique : euthanasie d'un détenu, le risque d'une dérive ?

Qu’est-ce que la philosophie dit du suicide ? 


François Galichet : Les philosophes sont partagés. Un premier courant affirme que la vie est sacrée et qu’il ne faut y mettre un terme sous aucun prétexte comme Kant, Hegel et Spinoza. De l’autre côté, Sénèque, Montaigne, Rousseau ou même Platon considèrent que cela fait partie de la liberté humaine, comme on choisit ou non de se marier ou d’avoir des enfants. Nietzsche disait “Mourir fièrement quand on ne peut plus vivre fièrement”, j’aime beaucoup cette citation. 

Je pourrais vous citer une phrase du philosophe Cioran : “Sans l’idée de suicide, je me serais tué depuis longtemps”, c’est la possibilité de quitter la vie qui nous fait l’aimer. On ne peut aimer qu’une chose qu’on a la liberté de choisir. J’adore les tableaux de Van Gogh mais si on me forçait à les regarder toute la journée, je finirais par les détester…

Mais peut-on comparer la vie à un objet, aussi beau soit-il ? On ne choisit pas de naître comme on choisit d’acquérir une œuvre…


François Galichet : Vous avez raison, mais je ne vois pas pourquoi ce serait un argument contre la liberté de mourir. Si on ne choisit pas de naître, qu’on nous laisse au moins la liberté de mourir, puisque celle-ci nous l’avons.

livre Qu’est-ce qu’une vie accomplie
Qu’est-ce qu’une vie accomplie ?, paru chez Odile Jacob en 2020.