Fil d'Ariane
Le nitrate d'ammonium est accusé par les autorités libanaises d'être à l'origine des explosions dévastatrices de Beyrouth ce mardi 4 août 2020.
Ce produit est aujourd'hui incontournable dans l'agriculture et la construction. Il se présente sous la forme d'un sel blanc et inodore utilisé pour la fabrication de nombreux engrais azotés très couramment utilisés sous forme de granulés. Il est aussi présent dans la composition d'explosifs employés dans les mines et carrières.
Les nitrates d'ammonium composent les engrais appelés ammonitrates, que les agriculteurs achètent en gros sacs ou en vrac.
C'est cet apport d'azote "qui permet d'obtenir les rendements qu'on connaît aujourd'hui" dans l'agriculture, estime Fabienne Trolard, directrice de recherche à l'INRAE (Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement), jointe par TV5MONDE. "C'est un produit utilisé très fréquemment, ajoute-t-elle. Par exemple, un producteur de maïs en utilise entre 150 et 200 kilos par an et par hectare."
Ce produit n'est pas combustile. Il est un comburant, c'est-à-dire qu'il permet la combustion d'une autre substance déjà en feu. Les normes de stockage sont strictes : "au sec et à une température pas trop élevée" précise Fabienne Trolard.
Néanmoins, dans une fiche technique du ministère français de l'Agriculture, on apprend que ce produit en état de "décomposition en présence d'un point chaud entraîne le dégagement de gaz très toxiques pour l'homme". Et qu'il existe des risques de "détonation" notamment en cas de "contamination de l'ammonitrate haut ou moyen dosage par des substances combustibles (fuel, huile, produits phytosanitaires...)" ainsi qu'en cas "d'impact trés violent d'un projectile sur le produit".
La même fiche précise malgré tout que le danger de détonation est "généralement considéré comme peu probable pour les produits conformes à la norme et stockés dans des conditions normales."
Ce que confirme Jimmie Oxley, professeure de chimie à l'université du Rhode Island, contactée par l'AFP, pour qui "c'est très difficile de brûler" le nitrate d'ammonium et "ce n'est pas facile de le faire détoner".
Pourtant, par le passé, ce produit a déjà causé plusieurs accidents meurtriers. En France, le plus récent remonte au 21 septembre 2001. A l'époque, quelque 300 tonnes de nitrates d'ammonium stockés en vrac dans un hangar font exploser l'usine AZF près de Toulouse. La déflagration, entendue à 80 km à la ronde, entraîne la mort de 31 personnes.
En 1947, la ville bretonne de Brest fut secouée par l'explosion d'un cargo norvégien qui transportait la substance.
L'un des tout premiers accidents impliquant le produit tua 561 personnes en 1921 à Oppau en Allemagne, dans une usine BASF. Et aux Etats-Unis, une explosion à l'usine d'engrais West Fertilizer, au Texas, fit 15 morts en 2013. Un stock de nitrates d'ammonium avait explosé à cause d'un incendie d'origine criminelle. L'enquête montrera l'absence de normes de stockage sur le site.
Le nitrate d'ammonium a également été utilisé pour commettre un attentat en 1995. A l'époque, l'américain Timothy McVeigh utilise deux tonnes de cet engrais pour fabriquer un engin explosif qu'il fera détoner devant un bâtiment fédéral d'Oklahoma City. L'attaque tuera 168 personnes.
Dans le cas de la catastrophe de Beyrouth, la chimiste Fabienne Trolard pense qu'une première explosion a conduit à faire exploser le stock de nitrates d'ammonium.
Désormais, la question reste celle de l'exposition de la population à des substances toxiques issues de la décomposition des nitrates d'ammonium. Le ministère français de l'Agriculture explique dans sa fiche technique que les "symptômes d'intoxication (...) peuvent avoir lieu plusieurs heures après l'exposition de la victime au dégagement gazeux, et les conséquences sont très graves pour la santé de la personne intoxiquée, voire mortelles."