Expulsion de Salah Hamouri en France : "Un précédent pour accélérer le nettoyage ethnique à Jérusalem-Est"

Détenu depuis mars sans accusations formelles en Israël, l’avocat franco-palestinien, Salah Hamouri, vient d’être expulsé vers la France, dimanche 18 décembre. Une décision qui crée un précédent juridique et constitue “un crime de guerre” selon l’ONU. Entretien avec Mehdi Belmecheri-Rozental, membre du comité “Libérez Salah Hamouri !” pour mieux comprendre.

Image
Salah Hamouri
L'avocat franco-palestinien, Salah Hamouri, vient d'être expulsé de Palestine dimanche 18 décembre. 
© Capture d'écran AFP
Partager 6 minutes de lecture

TV5MONDE : Salah Hamouri a passé plus de neuf mois en prison. Dans quel état se trouve-t-il ? 

Mehdi Belmecheri-Rozental, membre du comité “Libérez Salah Hamouri !” : Salah Hamouri est détenu depuis le 7 mars 2022 par les autorités israéliennes sous le régime de la détention administrative, sans charge, ni jugement. À plusieurs reprises, des tribunaux militaires ont renouvelé sa détention. Aucune explication de fond n’a jamais été fournie et ses avocats n'ont jamais eu accès au dossier. La détention administrative est une torture psychologique effroyable, il est impossible pour le prisonnier comme pour sa famille, de se projeter. 

Salah a fait une grève de la faim pendant cette période. C’est le seul moyen des prisonniers pour tenter de faire respecter leurs droits. Il a été mis à l’isolement en répression de cette grève de la faim. 

Nous n’avons pas pu échanger longtemps à l’aéroport mais il est fatigué et porte les stigmates de ce qu’il a subi.Mehdi Belmecheri-Rozental, membre du comité “Libérez Salah Hamouri !”

Aujourd’hui, il est forcé à l’exil, dans un acte que l’ONU qualifie de “crime de guerre.”  Nous n’avons pas pu échanger longtemps à l’aéroport mais il est fatigué et porte les stigmates de ce qu’il a subi. Il a besoin de se ressourcer  et de se retrouver en famille. Mais nous savons, comme il l’a exprimé à l'aéroport qu’il est déterminé à continuer la lutte. Sa résistance incarne parfaitement ce que les Palestiniens appellent “Soumoud” : la persévérance, la résilience face à la colonisation, la violence, physique et psychologique, que les Palestiniens subissent chaque jour. 

Chargement du lecteur...
Arrivée de Salah Hamouri à l'aéroport Roissy Charles-de-Gaulle dimanche 18 décembre.

TV5MONDE : Vous attendiez-vous à cette expulsion, au vu de sa situation ? Que lui reprochent exactement les autorités israéliennes ?

Mehdi Belmecheri-Rozental : Depuis plusieurs années, les forces d’occupation israéliennes prennent de nombreuses mesures à l’encontre de Salah dans le but de l’expulser de Jérusalem. En octobre 2021, ils  ont décidé de lui retirer sa carte d’identité de citoyen de Jérusalem-Est. Il y a eu de nombreuses tentatives d’expulsion vers la France, en le poussant à partir lui-même et à renoncer à vivre dans son pays.

Cet acharnement à l’encontre de Salah s’inscrit dans un processus de nettoyage ethnique à Jérusalem-Est : impossible de construire, destruction d’habitat, répression de toute opposition et révocation du statut de résident pour des milliers de Palestiniens. 

À (re)voir : Jérusalem-Est, une famille palestinienne menacée d'expulsion

Chargement du lecteur...

Pendant ce temps, de nombreuses colonies de peuplement sont construites tout autour. Les colonies illégales israéliennes couvrent 35 % du territoire de Jérusalem-Est et plus de 200 000 colons y vivent. C’est dans ce contexte que s’inscrit l’expulsion de Salah.

TV5MONDE : Salah Hamouri est dans le viseur des autorités depuis 2005. Pourquoi cette décision maintenant ? Selon vous, quel est le signal donné par Israël ? 

Mehdi Belmecheri-Rozental : En réalité, cela fait 20 ans qu’Israël s’acharne contre Salah Hamouri de manière continue. Salah a passé neuf ans dans les prisons israéliennes, il a été incarcéré à 6 reprises, dont la plus longue a duré sept années consécutives entre 2005 et 2011. En 2016, Elsa Lefort-Hamouri, sa femme enceinte de six mois, a été arrêtée à son arrivée à l’aéroport de Tel-Aviv puis expulsée vers la France, d’où elle vient, après 3 jours de détention et l’interdiction d’entrer en Israël et dans les territoires palestiniens pour 10 ans. Le téléphone de Salah avait été mis sous surveillance, via le logiciel espion Pegasus. La situation de Salah symbolise l’acharnement constant des forces israéliennes à essayer de briser la vie de ceux qui tentent de résister.

Salah Hamouri est avocat et défenseur des droits humains, cette expulsion entrave son travail et son engagement, mais elle est aussi un précédent pour accélérer le nettoyage ethnique à Jérusalem-Est. 
Mehdi Belmecheri-Rozental, membre du comité “Libérez Salah Hamouri !”

À son arrivée à l’aéroport de Roissy Charles-de-Gaulle, Salah a déclaré : "cette expulsion, c’est pour l’exemple, pour montrer aux jeunes générations ce qui attend ceux qui veulent leur résister." Salah Hamouri est avocat et défenseur des droits humains, cette expulsion entrave son travail et son engagement, mais elle est aussi un précédent pour accélérer le nettoyage ethnique à Jérusalem-Est. 

D’une part, on menace toute velléité de résistance, en empêchant Salah de poursuivre une vie normale à Jérusalem, où il est né, d’autre part, on accélère la mise en place du projet colonial. C’est une véritable machine administrative et judiciaire au service du colonialisme.

Conférence pour la libération de salalh Hamouri
Lors d'une conférence, Mehdi Belmecheri-Rozental (2e à gauche) assis à côté de Elsa Lefort-Hamouri au micro, l'épouse de l'avocat franco-palestinien Salah Hamouri.
© Mehdi Belmecheri-Rozental

TV5MONDE : Cette expulsion constitue un précédent juridique pour les Palestiniens. Pourquoi ? Quel est le risque pour eux, pour la suite ? 

Mehdi Belmecheri-Rozental : Je pense qu’il faut prendre sérieusement en compte l’avertissement de la rapporteuse spéciale des Nations unies sur la situation des droits humains dans les territoires occupés palestiniens,Francesca Albanese. Il y a quelques semaines, elle disait, parlant de Salah : "Il risque la révocation de son droit de résidence à Jérusalem sur la base d’un défaut d’allégeance à Israël. Ce qui créerait un précédent dangereux car il serait le premier habitant de Jérusalem privé de ce droit en vertu de preuves secrètes liées à des menaces sur la sécurité nationale."

Au moment où Benjamin Netanyahou finalise son nouveau gouvernement avec des partis d’extrême-droite, ce précédent juridique annonce que le pire reste à venir.

TV5MONDE : Comme vous l’avez mentionné plus haut, l’ONU parle lundi de “crime de guerre”. La France condamne une expulsion “contraire au droit”. La communauté internationale peut-elle faire quelque chose ? 

Mehdi Belmecheri-Rozental : Emmanuel Macron et le Ministère français des affaires étrangères n’ont pas été capables de contraindre Israël à respecter le droit international. Le Quai d’Orsay nous a informés que de nombreuses démarches avaient été entreprises. Mais pour quel résultat ? Pour notre comité, la situation incarne un échec total de notre diplomatie. Elle devrait revoir son positionnement vis-à-vis d'Israël. 

Le Conseil de sécurité a adopté depuis sa création plus de 225 résolutions sur le conflit israélo-palestinien. La plupart n’ont jamais eu d’effets.Mehdi Belmecheri-Rozental, membre du comité “Libérez Salah Hamouri !”

Quant à la communauté internationale, le Conseil de sécurité a adopté depuis sa création plus de 225 résolutions sur le conflit israélo-palestinien. La plupart n’ont jamais eu d’effets, pendant ce temps la politique de colonisation et d’annexion se poursuit. La France comme la communauté internationale peuvent agir, encore faut-il avoir réellement la volonté de le faire.

TV5MONDE : À l’aéroport, Salah Hamouri dit “continuer le combat” depuis la France. Comment compte-t-il s’y prendre ? Un retour en Palestine est-il envisageable ?

Mehdi Belmecheri-Rozental : Pour l’instant Salah doit se ressourcer auprès des siens. Nous aurons le temps d’envisager la forme que prendra la suite de son combat et de notre combat à ses côtés plus tard. Mais il est certain que Salah Hamouri restera un porte voix pour le peuple palestinien.