Face au réchauffement climatique, l'avenir de l'énergie nucléaire est-il menacé ?

Le réchauffement climatique est-il une menace pour le nucléaire ?  Cet été en France, de nombreuses centrales nucléaires doivent ralentir ou arrêter leur production en raison des fortes chaleurs. Comment expliquer ce phénomène ?  Le nucléaire devient-il une énergie dépendante des aléas climatiques ? Réponses avec la docteure en physique nucléaire, Emmanuelle Galichet. 
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Centrale de Fessenheim
Centrale nucléaire de Fessenheim, dans l'est de la France en février 2020. Le dernier réacteur de la centrale a été arrêté dans la nuit du 29 au 30 juin 2020. 
AP Photo/Jean-François Badias
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Cette année, plusieurs centrales nucléaires d'EDF sont contraintes d'abaisser leur production en raison des températures élevées des cours d'eau utilisées pour leur refroidissement. C'est ce qu'a indiqué l'entreprise énergétique française ce vendredi 5 août. La centrale de Golfech sur la Garonne (Occitanie) tourne ainsi au ralenti. Sa capacité de production est normalement de 1.300 MW. Elle est aujourd'hui réduite à son minimum, 300 MW.

TV5MONDE : pourquoi une centrale nucléaire peut-elle être arrêtée ou ralentie pour des raisons climatiques ? 

Emmanuelle Galichet​ : Tout d'abord, il convient de préciser que les centrales nucléaires ne sont pas les seules à pouvoir être arrêtées pour des raisons climatiques. Toutes les centrales thermiques peuvent être arrêtées pour ces raisons.

En France il existe une loi, une réglementation qui interdit de prélever et de retourner de l’eau du milieu naturel avec une hausse de température. Si vous prélevez l’eau à une certaine température, vous devez la rendre à une certaine température. C’est "de l’écologie de base". Cela permet d’éviter que notre économie industrielle ne perturbe l’environnement autour duquel elle est construite.

La sécheresse est une cause environnementale susceptible d'arrêter une centrale nucléaire.
Emmanuelle Galichet, docteur en physique nucléaire.  

Une centrale industrielle, de la même manière qu’une centrale à charbon, et comme tous les sites industriels qui puisent de l’eau, doit rendre cette eau à son environnement sans avoir trop augmenté sa température. Ce n’est donc pas une spécificité de la centrale nucléaire.

Pourquoi une centrale nucléaire a-t-elle toujours besoin d'eau ? 

Une centrale nucléaire a besoin d'eau pour produire de l'électricité. L'eau réchauffée permet de produire de la vapeur, cette vapeur fait tourner les pâles de turbines à l'interieur de la centrale et produit ainsi de l'électricité. Dans une centrale nucléaire l'eau est réchauffée puis refroidie en continu. Dans une centrale nucléaire dite "fermée" l'eau est refroidie dans des tours "aéroréfrigérés". Ces tours de béton d'environ 200 mètres de haut rejettent sous forme de vapeur l'excès de chaleur de l'eau. Dans des centrales dites "ouvertes", cette eau est rejetée dans une rivière ou dans la mer.
Centrale nucléaire tour
Centrale nucléaire de Lingen (Allemagne) fermée en 2022.
Sur la photo, une tour "aéroréfrigéré". 
AP Photo/Martin Meissner

En raison des réglementations environnementales, les centrales ayant des limites de production en raison des aléas climatiques sont les centrales dites "ouvertes". Les centrales dont eaux se déversent dans les rivières font partie des centrales dites "ouvertes". Pour cette raion, les futurs sites nucléaires voulus par le Président Macron sont cherchés en bord de mer. Dans la mer, il y a un pouvoir de dilution tel que la problématique du réchauffement de l'eau ne se pose pas. 

À lire : "Nous avons une chance historique, c’est le nucléaire", selon Emmanuel Macron

Les programmes de construction de centrales nucléaires en bordure de mer prennent évidemment en compte la question de la montée des eaux. Emmanuelle Galichet, docteur en physique nucléaire.  

Par ailleurs, la sécheresse est la seconde cause environnementale susceptible d'arrêter une centrale nucléaire. Il est difficile d'imaginer les fleuves français se tarir. Toutefois, en raison de la sécheresse, le débit de ces débits fleuves peut diminuer. Sur ce sujet il existe aussi une réglementation. Lorsque le débit est inférieur à une certaine limite il est interdit de prendre de l’eau selon la loi. Il faut donc s’armer d’ingéniosité et trouver le moyen de pomper de l’eau autre part. On peut imaginer des bassins de réserve par exemple. Il est certain qu'à l'avenir il y aura une problématique d’adaptation au réchauffement climatique de ces centrales nucleaires.

À lire : Réchauffement climatique : des canicules plus fréquentes en Europe

Le faibles débit des rivières : Une double contrainte pour les centrales nucléaires. 

"Les centrales situées au bord de cours d'eau ayant un très faible débit​ sont aujourd'hui les premières arrêtées pour des raisons environnementales", avance Geneviève Baumont ancienne membre de l'Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN). Ces centrales sont soumises à la fois aux réglementations autour du débit minium mais également aux réglementation autour de la température des eaux. En effet, en raison du faible débit la dissolution des eaux n'est pas grande et les températures de rejet peuvent devenir assez rapidement importantes, explique la spécialiste. En France, la centrale la plus sensible à ces effets est celle de Civaux sur la Vienne (rivière française). 
TV5MONDE : la montée des eaux n'est-elle pas une "troisième menace" pour le fonctionnement des centrales nucléaires ? 

Effectivement. Il est nécessaire de procéder à "une adaptation au réchauffement climatique" en raison de la montée des eaux. Il est nécessaire de construire des digues et de surélever les centrales. Les programmes de construction de centrales nucléaires en bordure de mer prennent évidemment en compte la question de la montée des eaux. Mais il s’agit d’une montée de quelques centimètres et cela ne constitue pas la problématique principale du réchauffement climatique sur la résilience des outils industriels. 

TV5MONDE : est-ce qu’il est courant d’arrêter une centrale pour des phénomènes climatiques ? 
 
Le parc nucléaire français a été  construit dans les années 60-70 à un moment où le réchauffement climatique n’était pas du tout un enjeu dont on parlait. Emmanuelle Galichet, docteur en physique nucléaire.  
Oui. Chaque année une ou deux journées les températures dépassent les seuils réglementaires et la production doit être ralentie ou arrêtée. Cette année tout le monde s’emballe sur ce problème en France. Mais il faut comprendre que si le parc produit moins c’est d'une part, essentiellement en raison des problèmes de corrosion sur certaines centrales et d'autre part, en raison des conséquences du Covid. 

Durant la période de l’épidémie la maintenance a été retardée. Aujourd'hui il faut rattraper ce retard. En ce moment, tout s’accumule et la moitié du parc nucléaire est à l’arrêt. Évidemment si vous produisez peu et êtes obligé d’arrêter une centrale à cause du réchauffement climatique ça se voit plus que si vous êtes en surproduction. Donc cette année est l’une des premières où la France est importatrice d’électricité en raison des arrêts de centrales. D’habitude, le pays est toujours exportateur.
 
Qu'est- ce que le "Grand Carénage" ?
Le programme Grand Carénage s'étend de 2014 à 2025. Il vise à améliorer la sûreté et à poursuivre le fonctionnement des réacteurs du parc nucléaire au-delà de 40 ans. Le parc, construit entre les années 1970 et la fin des années 1990, vieillit et nécessite des investissements. Ce programme doit coûter près de 50 milliards d'euros selon EDF en 2020. Mais même si leur vie est prolongée jusqu'à 50 ou 60 ans pour certains, les réacteurs finiront par arriver en fin de vie au cours des prochaines décennies.
TV5MONDE : Y a-t-il des pays plus concernés que d’autres ? 

En ce moment c’est un phénomène très français. Le parc nucléaire français a été  construit dans les années 60-70 à un moment où le réchauffement climatique n’était pas du tout un enjeu dont on parlait. Les centrales nucléaires construites à l’époque n’avaient donc pas d'obligation sur la température de l'eau à déverser dans les rivières.

Dans d'autres pays, les solutions peuvent être différentes. Aux États-Unis par exemple, une centrale nommée "Palo Verde" est située en plein désert. Cette centrale fonctionne en utilisant les eaux usées de Phénix, la ville voisine. En allant chercher les eaux usées d'une ville, cette centrale ne prend pas d'eau dans un environnement naturel. Aux Émirats Arabes Unis, le parc nucléaire est plus récent.

La centrale de Barakah par exemple, peut fonctionner avec une atmosphère ambiante d'une cinquantaine de degrés. Dans cette centrale, les systèmes de refroidissement de l'eau sont plus puissants et l'eau est refroidie plusieurs fois avant d'être réintroduite. 

En résumé, si aujourd'hui le phénomène de ralentissement des centrales concerne principalement la France, c'est d'une part du fait des spécificités de notre parc nucléaire et d'autre part en raison de nos réglementations. Les réglementations suivent les volontés des pouvoirs politiques et leur intérêt pour l’environnement. 

TV5MONDE : Le nucléaire peut-il devenir une "énergie intermittente" face au réchauffement climatique ? 
 
Il est possible de produire de l'électricité à partir de nucléaire "24 heures sur 24" à condition d'avoir de l'eau et du combustible dans le réacteur.  
Emmanuelle Galichet, docteure en physique nucléaire. 
Attention, le terme "intermittent" ne doit en aucun cas être utilisé pour signifier "dépendant du climat".  Un système qui fonctionne par "intermittence" est un système dont l'énergie primaire n'est pas produite constamment. Les panneaux solaires, les éoliennes par exemple sont des énergies "intermittentes" parce que le soleil ne brille pas la nuit et qu'il n'y a pas de vent constamment. Les énergies permettant le fonctionnement de ces systèmes, le soleil, le vent... sont appelées "énergies diffuses".

Le nucléaire fonctionne constamment. Il est possible de produire de l'électricité à partir de nucléaire "24 heures sur 24" et 365 jours par an à condition d’avoir du combustible et de l’eau dans le réacteur. 

Il est possible en revanche, que l'on module la production d’électricité du fait des réglementations ou d’un réchauffement climatique. Mais seules les réglementations font dépendre les énergies nucléaires des aléas climatiques. Si vous enlevez la réglementation vous pouvez produire autant que vous voulez. Il peut arriver que pour éviter une chute trop brutale de la production,"un Blackout", des États autorisent une modification de la réglementation.
 
Des dérogations environnementales octroyées pour faire tourner les centrales. 

 Un arrêté publié ce samedi 06 août autorise les centrales nucléaires du Blayais, de Saint-Alban-Saint-Maurice, de Golfech, du Bugey et du Tricastin à rejeter des eaux  plus chaudes malgré les risques sur l’environnement. Sans cet arrêté les centrales auraient dû cesser toute activité. "Le maintien à un niveau minimum de production électrique des réacteurs des centrales nucléaires (...) constitue, au regard de la sécurité du réseau électrique, une nécessité publique", précise le communiqué. Selon les autorités cette dérogation s’accompagne "d’un programme de surveillance renforcée de l'environnement". 

Pourtant, cette décision inquiète les associations de défense de l’environnement. "La centrale nucléaire du Bugey vient d'être autorisée à rejeter des eaux plus chaudes qu'à l'accoutumée. Voilà qui ne va pas contribuer à améliorer la biodiversité dans le Rhône qui souffre des canicules de l’été, comme tous les cours d'eau français", réagit sur Twitter l'ONG France Nature Environnement (FNE).