La récente révélation des 100 000 dollars payés à Facebook par des comptes russes en contenus sponsorisés pour influencer l'élection présidentielle questionne sur l'influence politique du réseau social aux 2 milliards de membres. Tout comme Twitter ou Google, Facebook peut être utilisé en tant qu'outil de propagande. Va-t-on vers une régulation des réseaux sociaux ?
Mark Zuckerberg sera entendu ce mercredi 1er novembre 2017 au Congrès des Etats-Unis d'Amérique pour s'expliquer au sujet de la campagne d'influence politique russe en faveur de Donald Trump effectuée par le biais de son entreprise, Facebook. En septembre dernier, le FBI — dans le cadre de son enquête sur l'ingérence de la Russie au sein de la campagne présidentielle de 2016 — a perquisitionné le siège du réseau social aux 2 milliards de membres. Les données saisies par l'agence fédérale correspondent aux 100 000 dollars que Facebook a touché de la part de diverses organisation proches du gouvernement russe pour placer des "publicités ciblées" auprès des internautes et électeurs américains : pas moins de 3000 annonces dont une bonne partie de type "fake news" qui se sont répandues sur Facebook.
Les représentant de Twitter et de Google vont être eux aussi entendus par le Congrès dans le cadre de la campagne présidentielle ce même jour. Mais l'influence politique extréieure concrète et massive sur le vote américain opérée en 2016 reste en premier lieu reprochée au réseau social de Mark Zuckerberg.
Bulles d'informations : Facebook admet
C'est Alex Stamos, le responsable en chef de la sécurité de Facebook qui a devancé les autorités américaines en publiant sur son blog le résultat d'une enquête interne de son entreprise, le 6 septembre 2017, révélant les achats de contenus sponsorisé par des agences russes. 470 "faux comptes" et autant de pages Facebook ont donc inondé de 3000 "contenus orientés" — des annonces ciblées à base de messages ou d'articles — qui se sont répercutées sur des millions d'Américains par effets de partage exponentiel. Les annonces sponsorisées ne parlaient pas directement de l'élection présidentielle et n'appelaient pas à voter pour un candidat, mais pointaient des sujets clivants et polémiques comme l'explique Alex Stamos :
"Les contenus sponsorisés et les comptes semblaient cibler et amplifier des messages de société et politiques traversant un spectre idéologique précis — touchant aux sujet allant des inquiétudes sur les LGBT (Lesbiennes-Gay-bisexuel-Trans, ndlr), les problèmes raciaux, l'immigration, jusqu'aux droits à porter des armes."
Facebook a donc admis une forme de propagande qui s'est effectuée sur son réseau durant la campagne présidentielle par le biais de contenus sponsorisés — en provenance entre autres — de comptes russes. Les effets de ces contenus ciblés et financés pour parvenir de façon privilégiée aux utilisateurs du réseau social permettent de consolider un phénomène désormais connu : les bulles informationnelles. Le principe central de ces bulles réside dans le fait que chaque personne a des centres d'intérêts, un profil basé sur des informations qu'il consomme, plus que d'autres. Ces centres d'intérêts en appellent d'autres puis — au fur et à mesure que l'intérêt grandit — encore d'autre informations et personnes reliées. Rapidement, les algorithmes de Facebook entretiennent les utilisateurs autour de ces sujets et ceux qui les partagent jusqu'à fabriquer une sorte de "proposition idéologique" qui borne la visibilité du réseau social à une sphère informationnelle orientée, la fameuse bulle dans laquelle les participants à l'élection présidentielle ont été potentiellement massivement enfermés.
Pour peu que des comptes propagandistes envoient à des électeurs indécis des informations qu'ils se mettent à partager, cette bulle peut très rapidement se créer ou s'agrandir et mener à forger une conviction. Celle par exemple que les idées ou sujets de société qu'ils défendent ne sont abordés et défendus que par le candidat Trump et jamais par Clinton. Sauf que les idées de la bulle de Clinton ne peuvent jamais parvenir jusqu'à la bulle de l'internaute enfermé dans la bulle des idées de Trump, qui ne voit alors plus la réalité qu'à travers le flux que Facebook lui donne. Celui de sa propre bulle.
> En complément, analyse après l'élection de Donal Trump : "Bulles d'informations numériques : Google et Facebook ont-ils fait gagner Trump ?"
Régulation du "mastodonte social" Facebook ?
Le journaliste du New York Magazine, Max Read, dans un article récent, analyse le réseau social Facebook et vient à se demander ce qu'est en réalité ce mastodonte de 2 milliards d'individus en échanges permanents : une entreprise de type ferroviaire, un centre commercial, un Etat dans l'Etat, une église, une place publique géante ? Un peu tout ça à la fois ? Le patron de Facebook lui-même, Martk Zuckerberg ne semblait pas très à l'aise jusqu'à il y a peu pour définir ce qu'est son outil en ligne, au point de constater en 2016 :
"Facebook est un nouveau genre de plateforme. Ce n’est pas une entreprise technologique classique. Ce n’est pas un média traditionnel. Nous nous sentons responsables de la façon dont le réseau est utilisé."Puis, le jeune patron milliardaire s'est fendu d'un long texte en juin dernier pour expliquer l'état de ses réflexions sur ce qu'est et devrait devenir Facebook, intitulé : "
Construire une communauté mondiale". Difficile de savoir, avec ce texte un peu maladroit qui remonte l'histoire, ce qu'entend vouloir faire Zuckerberg. Un texte presque renié peu de temps après par son auteur, puisque le jeune milliardaire l'a qualifié de "gribouillage" et a annoncé que la mission de Facebook était de "
donner aux gens le pouvoir de construire une communauté et de rapprocher le monde." Mais encore ?
Le journaliste du New York Magazine, lui, fait un constat plus politique et inquiétant sur ce qu'a été et surtout, est devenu Faecbook :
"
Ce qu’on nous avait présenté comme une assemblée démocratique s’est révélé être un écheveau d’écosystèmes médiatiques et d’infrastructures politiques parallèles échappant au contrôle des grands médias et des partis établis – sur lesquels il s’est écrasé comme une boule de démolition."
C'est sur ce phénomène que le Congrès américain compte se pencher ce 1er novembre, afin de savoir ce que la campagne russe d'ingérence et d'influence sur Facebook a généré. S'il était reconnu officiellement que cette campagne Facebook avait influencé l'élection, le Congrès devrait envisager des parades. La régulation du réseau social pourrait alors s'inviter dans la discussion. Les démocrates souhaitent par exemple que les publicités politiques en ligne soient encadrées par la Commission électorale fédérale (FEC). Mais rien n'indique que le jeune chef d'entreprise dont l'entreprise pèse aujourd'hui 500 milliards de dollars, ne s'y soumette. Il a déjà prévenu qu'il comptait "s'auto-réguler". Google et Twitter sont sur la même ligne. Il n'est donc pas certain du tout que les assauts des "fabricants de réalité alternatives" cessent leur ingérence grâce aux réseaux sociaux. Surtout quand l'on sait que la plus puissante entreprise d'influence numérique politique et agissant en premier lieu sur FaceBook est américaine : Cambridge Analytica.
> A propos de Cambridge Analytica, lire notre article : "Manipulations démocratiques 2.0" : révélations sur les profils d'électeurs de l'entreprise de Steve Bannon