L'annonce par Facebook du lancement en 2020 de Calibra, le portefeuille de gestion de la cryptomonnaie Libra, déclenche des réactions politiques très négatives. La future monnaie électronique de Mark Zuckerberg fait l'unanimité contre elle, des Etats-Unis à l'Europe.
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Facebook a incendié la maison à maintes reprises et a qualifié chaque incendie criminel d'expérience d'apprentissage." : c'est ainsi que le sénateur démocrate Sherrod Brown a résumé l'activité de Facebook, comparant l'entreprise de Mark Zuckerberg à un enfant jouant avec des allumettes. Sherrod Brown s'exprimait dans le cadre d'une audition du français David Marcus (directeur blockchain de Facebook) au Congrès américain, afin qu'il s'explique sur la mise en place de la future cryptomonnaie Libra.
Etats-Unis : pas assez confiance
Face aux accusations de Brown, le représentant de Facebook a eu fort à faire. La cryptomonnaie Libra a été déclarée par le sénateur comme une "mauvaise idée" et même "dangereuse". D'autre élus se sont mélés à ce concert de reproches, rappelant à l'émissaire de Facebook les affaires d'atteinte à la vie privée, à la confidentialité des données personnelles qui ont émaillé l'histoire du réseau social depuis plusieurs années. Au delà de ces scandales, les sénateurs américains ont aussi rappelé la façon dont le réseau social a été exploité pour effectuer de l'ingérence électorale et comment il a joué un rôle dans la promotion du discours de haine qui a alimenté le génocide au Myanmar.
David Marcus a répliqué en faisant jouer la fibre patriotique dans la compétition mondiale sur les technologies numériques, en déclarant que "
si l'Amérique n'est pas à la pointe de l'innovation dans le domaine de la monnaie numérique et des paiements, d'autres le seront". Une défense jugée intéressante — mais pas au point de créer une adhésion — par certains membres du Congrès dont le sénateur le Républicain Patrick Toomey, qui a expliqué : "
Je pense juste que nous devrions explorer cette future cryptomonnaie, considérer les avantages ainsi que les risques et adopter une approche prudente". Quelques autres élus, proches du milieu des banques ont malgré tout estimé que "
la cryptomonnaie pouvait aider à réduire les coûts de transfert d'argent et le libre accès aux capitaux". Il ressort de cette audition que ce n'est pas le concept d'une nouvelle monnaie mondiale électronique qui pose problème en Amérique, mais plutôt l'acteur qui veut la lancer : Facebook et ses "casseroles" innombrables. Pour l'heure, David Marcus a annoncé que son entreprise "
s'engageait à ne pas lancer Libra avant de s'être conformé aux règlementations".
En Europe : défiance
C'est lors du "G7 Finances" à Chantilly en France, ce 17 juillet 2019, que Bruno Lemaire, ministre de l'Economie et des Finances, a lancé une charge sans concessions à l'encontre du projet Libra de Facebook. Pour Bruno Lemaire "
les conditions ne sont pas réunies pour que cette monnaie Libra telle qu'elle a été proposée par Facebook puisse être en fonction (…) il faut réfléchir soit à un encadrement soit à une régulation". Cet avis est partagé par d'autres acteurs, comme ceux en responsabilité du monde bancaire, tels que François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France. "
Aucun des projets tels que libra ne pourra démarrer avant que nous ayons obtenu des réponses claires (…) Libra devra se plier aux standards de régulation les plus élevés, notamment en matière de lutte antiblanchiment et de protection des consommateurs, ainsi qu'aux règles des banques centrales", a-t-il affirmé.
En réalité, ce n'est pas la monnaie Libra en tant que tel que Facebook va lancer en 2020 — puisque
cette cryptomonnaie opensource existe déjà — mais Calibra, le "porte-monnaie numérique" qui sera mis à disposition dans les applications Facebook, Instagram, Messenger ou WhatsApp… pour effectuer des transactions
via la
blockchain et cryptomonnaie Libra. Cette possibilité pour plus de 2 milliards de personne de passer outre les monnaies "standards", via des applications numériques d'un groupe privé, inquiète.
Gilles Babinet, le vice-président du Conseil national du numérique expliquait il y a peu chez nos confrères de France Info que "
le projet [Calibra] a une grande nature politique. L'objectif est de désintermédier les monnaies souveraines et de créer un système totalement autonome de ces monnaies. Cette [future]monnaie est totalement transnationale. De fait, elle peut potentiellement détrôner de très grandes monnaies. Elle a une puissance d'efficacité incomparable. "
Olaf Scholz, ministre de l'Economie allemand a également exprimé "sa préoccupation" au sortir du G7 Finances en expliquant que "
les ministres des Finances et les banquiers centraux ont de sérieuses inquiétudes et ont décidé d'examiner attentivement si toutes les réglementations actuelles sont respectées (...)
ou si elles doivent être modifiées pour garantir à l'avenir la stabilité du système financier international".
Italie, Royaume-Uni sont sur le même registre : la Libra gérée par le porte-monnaie éléctronique Calibra de Facebook ne peuvent pas se lancer en l'état. Les risques sont trop grands, tant au niveau des possibilités de financements occultes — dont celui du terrorisme — que sur celui de la déstabilisation du système monétaire mondial. Ce projet, unique dans l'histoire, est donc pour l'heure massivement contesté par les instance politiques ou bancaires. Mais à écouter les membres de la fondation suisse qui devraient gérer le projet pour Facebook ainsi que les 27 partenaires (dont Visa, PayPal, Uber, Spotify, ou le groupe français de téléphonie de Xavier Niel, Iliad) qui s'y sont greffés, Calibra et sa monnaie virtuelle arriveront à se lancer. Thomas Moser, membre suppléant du conseil de direction de la Banque nationale suisse, a d'ailleurs fait lui aussi une déclaration en ce sens récemment : "
Je pense que c’est un développement intéressant et je suis plutôt serein".