Facebook : pourquoi Mark Zuckerberg veut-il orienter le réseau social sur la confidentialité et les échanges privés ?

Une nouvelle annonce a été publiée par le PDG de Facebook sur sa page, ce 6 mars 2019. Mark Zuckerberg veut modifier en profondeur les fonctionnalités de son réseau social pour qu'il devienne plus confidentiel et moins public. Analyse. 

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Zuckerberg
(Photo : AP / Charles Platiau)
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C'est une nouvelle tribune que Mark Zuckerberg publie peu de temps après celle du 25 janvier qui tentait de justifier le modèle économique basé sur la publicité de Facebook. Mais cette fois-ci le patron du réseau social aux 2,3 milliards de comptes écrit qu'il veut modifier en profondeur les fonctionnalités de son réseau social afin de réorienter les usages. La première partie de cette tribune annonce la couleur : pour Mark Zuckerberg, l'avenir d'Internet se joue avant tout dans les échanges confidentiels :

Au cours des 15 dernières années, Facebook et Instagram ont aidé les gens à communiquer avec leurs amis, leurs communautés et leurs centres d'intérêt en tant qu'équivalent numérique d'une place publique. Mais de plus en plus de gens veulent aussi se connecter en privé dans l'équivalent numérique du salon. En réfléchissant à l'avenir d'Internet, je suis convaincu qu'une plate-forme de communication axée sur la confidentialité deviendra encore plus importante que les plates-formes ouvertes d'aujourd'hui. La vie privée donne aux gens la liberté d'être eux-mêmes et de se connecter plus naturellement, c'est pourquoi nous construisons des réseaux sociaux. (Extrait du texte de Mark Zuckerberg : "A Privacy-Focused Vision for Social Networking" —  Une vision du réseau social axée sur la confidentialité)

Beaucoup de gens préfèrent l'intimité dans la commmunication, en tête-à-tête ou avec quelques amis seulement.
Mark Zuckerberg : "A Privacy-Focused Vision for Social Networking"

Du plus grand nombre en public au petit nombre en privé ?

Les changements de discours et d'orientations de Mark Zuckerberg au sujet de la vie privée sont connus et souvent commentés de façon ironique : durant près de 10 ans, le PDG de Facebook n'a pas semblé comprendre ce concept, expliquant que chacun était libre de partager ses informations avec qui il voulait, de préférence avec le plus grand nombre, et que selon lui, dans le futur, la transparence serait l'alpha et l'oméga des réseaux sociaux au sein d'un Internet toujours plus ouvert. La "magie Facebook" était donc  — jusqu'à il y a peu — de permettre à des centaines de millions de personnes, puis des milliards, de gagner de plus en plus d'amis, de s'exposer au plus grand nombre, de partager à l'échelle planétaire le maximum d'informations avec le maximum d'interlocuteurs. Cette approche du "Facebook mondial", sorte d'agora géante planétaire qui pousse ses usagers à partager, n'est plus la priorité de Mark Zuckerberg depuis déjà un certain temps. Il plébiscite aujourd'hui un réseau de confidentialité, d'échanges limités entre peu de personnes, avec des messages éphémères ou des transactions chiffrées : 

Aujourd'hui, nous voyons déjà que la messagerie privée, les histoires éphémères et les petits groupes sont de loin les domaines de la communication en ligne dont la croissance est la plus rapide. Il y a un certain nombre de raisons à cela. Beaucoup de gens préfèrent l'intimité dans la commmunication, en tête-à-tête ou avec quelques amis seulement. Les gens sont plus réticents à subir un enregistrement continu de ce qu'ils partagent. Et nous nous attendons tous à pouvoir faire des choses comme des paiements privés et sécurisés. (Extrait du texte de Mark Zuckerberg : "A Privacy-Focused Vision for Social Networking" —  Une vision du réseau social axée sur la confidentialité)

Entre les scandales sur les fuites ou les reventes illégales de données de ses utilisateurs, les campagnes d'influence politique auxquelles a contribué Facebook et le désintérêt de plus en plus important des 15-30 ans pour le réseau social, il semble que Mark Zuckerberg s'inquiète pour son entreprise. 

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La solution pour remonter la pente serait, selon le PDG de Facebook, de suivre la tendance générale : celle des messsageries chiffrées et d'une plateforme d'échanges éphémères comme Snapchat. Le géant des réseaux sociaux voudrait-il prendre le meilleur des autres pour se métamorphoser en une nouvelle plateforme hybride, entre réseau social restreint et messagerie ?

Nouveau Facebook : la confidentialité avant tout ? 

La proximité est devenue un leitmotiv pour Mark Zuckerberg depuis près de deux ans. Entre autres avec le système de "groupes Facebook". Les paramètres des groupes ont même été modifiés pour que leur visibilité s'améliore au détriment des partages classiques de pages personnelles. Mark Zuckerberg expliquait en 2017, quand il présentait ce système de groupes, qu'il comptait "Donner au peuple le pouvoir de construire des communautés et de rassembler le monde." Rien de moins. 

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Les gens veulent savoir que ce qu'ils partagent ne leur nuiera pas plus tard :  réduire le temps pendant lequel leurs informations sont stockées et accessibles va y participerMark Zuckerberg : "A Privacy-Focused Vision for Social Networking"

La politique de proximité a été aussi activée par la reconfiguration du système de fil d'actualité pour qu'il "affiche davantage de contenus partagés ou commentés par les proches et les amis, au détriment de ceux publiés par des marques ou des médias". Deux ans après, le PDG de Facebook continue sur cette lancée de la "proximité", mais visiblement d'avantage pour permettre des micro-échanges sécurisés et confidentiels que pour "rassembler le monde".

Afin de mieux entrevoir ce que sera le futur réseau social, Mark Zuckerberg a publié une somme de principes constituant le "nouveau Facebook" qui devraient être appliqués en "quelques années". Ces principes sont les suivants : intéractions privées, chiffrement, réduction de la permanence des messages, sécurité, interopérabilité, stockage sécurisé des données. Ces principes — basés principalement sur des changements techniques ont pour but d'organiser différemment le réseau social afin aussi de protéger ses membres, selon Mark Zuckerberg. La non permanence des messages ou le chiffrement sont expliqués avec leurs bons et leurs mauvais côté par le PDG de Facebook qui estime que ces nouvelles briques techniques sont indispensables, tout en critiquant leurs "mauvais côtés"  : 


Nous pensons de plus en plus qu’il est important de conserver les informations pendant de courtes périodes. Les gens veulent savoir que ce qu'ils partagent ne leur nuiera pas plus tard :  réduire le temps pendant lequel leurs informations sont stockées et accessibles va y participer (…) Le chiffrement de bout en bout est un outil important dans le développement d'un réseau social axé sur la confidentialité (…) Le chiffrement est un puissant outil de protection de la vie privée, mais cela inclut la vie privée des personnes mal intentionnées. Lorsque des milliards de personnes utilisent un service pour se connecter, certaines d'entre elles vont en abuser pour des choses vraiment terribles, telles que l'exploitation des enfants, le terrorisme et l'extorsion.

Que veut vraiment Zuckerberg ?

La période actuelle est une charnière pour Facebook et son créateur le sait. La plus grande partie du texte publié par ce dernier montre que Zuckerberg a perçu l'inquiétude de nombreux utilisateurs à l'endroit du réseau social.  Mark Zuckerberg sait que cette défiance envers Facebook s'accentue à cause des différentes affaires ayant touché à la vie privée de ses utilisateurs. Tous ces constats ne sont pas faits explicitement dans cette tribune, mais soulignent une époque désormais révolue que le PDG semble avoir bien saisie : celle de l'exposition publique où la vie privée n'existait pas, où la fameuse transparence frisait souvent l'exhibitionnisme. Avec son lot de harcèlements et de vengeances en ligne que de nombreux internautes ne veulent plus subir.

Les 15-25 ans plébiscitent Snapchat pour ses messages éphémères, les messageries Telegram ou Signal pour leur chiffrement et leurs systèmes de groupes, mais aussi Instagram et  WhatsApp (rachetées par Mark Zuckerberg) : c'est une tendance qui se dessine, que le PDG de Facebook a bien saisie. Sans compter que les démélés en justice, l'aspiration de données personnelles, le laboratoire d'influence politique et la  machine géante à relayer des infox, tous ces scandales que charrie Facebook désormais, plaident plus en faveur d'un changement d'image et de fonctionnement.

Tout miser sur la proximité, la confidentialité, le privé, l'intime pour Facebook semble donc être la dernière stratégie de Mark Zuckerberg pour tenter de redorer le blason de son entreprise phare. Le réseau social vieux de 15 ans perd des utilisateurs, de la valeur en bourse et fait l'unanimité contre lui en termes de respect de la vie privée et son créateur en est très conscient. Mais cette stratégie sera-t-elle suffisante pour que la confiance revienne et convainque les utilisateurs de l'utilité, la fiabilité de ce "nouveau" réseau social antinomique avec l'ancien ?