Fil d'Ariane
"Le Kurdistan syrien n'ayant aucune existence légale et ne disposant par là-même d'aucune institution souveraine, ces femmes et ces enfants sont tous détenus sans droit ni titre", peut-on lire, ce mercredi 17 janvier, dans le communiqué des avocats des familles de ces Français emprisonnés en Syrie.
Les avocats Marie Dosé, William Bourdon, Martin Pradel et Marc Bailly ont ainsi porté plusieurs plaintes pour "détention arbitraire" et "abus d'autorité" contre les autorités françaises au nom des familles.
[Communiqué de Presse]
— Martin PRADEL (@MartinPradel) 17 janvier 2018
Les autorités françaises ont conscience du caractère illégal & arbitraire de la détention d’enfants et de leurs mères en Syrie.
Les laisser à leur sort est un crime.
Avec Marie Dosé, William Bourdon et Marc Bailly, nous portons plusieurs plaintes. pic.twitter.com/S7A8PO1BSK
Le groupe de magistrats observe dans son communiqué que la France fait "délibérément le choix de s'abstenir de toute intervention" et " expose [ses ressortissants] en outre à des risques évidents notamment sur le plan sanitaire dans une zone de conflit. "
Selon eux, cette "privation de liberté illégale" s'apparente pour les jeunes enfants et les nourrissons détenus à de la "non-assitance à personne en danger" de l'Etat français.
Au nom des familles de ces femmes et de ces enfants, ils demandent au parquet de Paris de diligenter une enquête préliminaire.
Les avocats demandent aussi le rapatriement de ces femmes - avec leurs enfants - visées par des poursuites judiciaires, des mandats d'arrêt ou des mandat de recherche en France. Ils assurent qu'elles acceptent "de faire face à leur responsabilité pénale dès leur arrivée sur le territoire français", lit-on sur le communiqué.
Ce dépot de plainte soulève, à nouveau, des questions quant au sort judiciaire qui attend ces femmes et ces hommes partis en Syrie. Doivent-ils être rapatriés en France au risque de poser un problème de sécurité nationale ? Ou doivent-ils être jugés sur place sans assurance d'un procès équitable respectant les conventions internationales ?
Une quarantaine d'entre eux - accompagnés d'une vingtaine d'enfants - ont été récemment arrêtés, pour la plupart par les forces kurdes en Syrie. Tous les adultes sont visés par des mandats d'arrêt ou de recherche et font l'objet de poursuites judiciaires en France. Leur retour reste un sujet très sensible pour Paris.
Début janvier on apprenait aussi l'arrestation en Syrie d'Emilie König, figure du djihadisme français comme Thomas Barnouin également appréhendé par les forces kurdes.
Le gouvernement français a plusieurs fois indiqué qu'il laisserait "les autorités locales" kurdes mener ces personnes devant la justice. Ce mercredi 17 janvier au matin, la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, nuance davantage cette position sur France inter : "Soit les règles du procès équitable sont respectées sur place, soit elles ne le sont pas (...) et nous avons des conventions internationales sur lesquelles nous sommes très sourcilleux et donc nous les prendrons en charge en France."
#le79inter @NBelloubet #femmesdjihadistes : "Nous sommes en capacité de juger en France toute personne qui rentrerait des terrains de combat" pic.twitter.com/kn6iIKHDXt
— France Inter (@franceinter) January 17, 2018
S'ils sont détenus, ces anciens combattants étrangers d'un groupe djihadiste peuvent-ils être considérés comme des prisonniers de guerre ? C'est la question à laquelle nous tentions de répondre dans un précédent article.
" Le statut traditionnel de prisonnier de guerre ne peut pas s’appliquer, nous expliquait Frédéric Joli, porte-parole du Comité International de la Croix-Rouge (CICR) en France. Parce qu’ils n’appartiennent pas aux armées constituées des Etats belligérants."
Mais ces combattants sont quand même protégés au minimum par le droit international humanitaire. "Une fois qu'ils se rendent ou sont capturés, ils doivent être traités humainement comme personnes détenues en relation avec un conflit armé non international, conformément à l'article 3 commun aux Conventions de Genève", explique Marco Sassòli, professeur au département de droit international public et organisation internationale à l'université de Genève.
"D’autres textes s’appliquent aux civils qui peuvent s’appliquer à ces combattants, souligne Frédéric Joli. Cet article 3 commun aux Conventions de Genève leur assure des garanties judiciaires quand ils sont arrêtés."
C'est-à-dire qu'ils ne peuvent pas être torturés, subir des traitements dégradants, une exécution extrajudiciaire et qu'ils ont droit à un procès équitable.
Si ces conditions ne peuvent être respectées, la France s'engage donc à s'occuper d'eux.
L'un des avocats qui ont porté plainte ce mercredi 17 janvier, ne se fait cependant "aucune illusion" : il est peu problable qu'une enquête soit ouverte. "Le parquet va faire en sorte que les politiques définies au plus haut niveau sur ce sujet très sensible ne soient pas poursuivies au niveau pénal", a relevé Martin Pradel. "Il faut regarder la réalité en face : un procès équitable est tenu par un juge indépendant et impartial car il tient ses pouvoirs d'une Constitution. Or, il n'y a jamais eu de Constitution kurde."