A la crise sanitaire du Covid-19, s'ajoutent des crises économique et sociale qui affectent tout particulièrement les femmes. Ces dernières sont souvent en première ligne que ce soit à la maison pour s'occuper des enfants et de la gestion du quotidien, ou dans les métiers de service et de soin. Quels enseignements en tirer et quelles pourraient être les réponses adaptées ?
Aux femmes, le ménage et les enfants d'abord !
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Ce matin, j'ai laissé mon fils de 8 ans recopier des phrases pendant que je nettoyais la salle de bains, tout en réfléchissant au rapport que je devais envoyer à ma cheffe... J'ai l'impression que l'Education Nationale nous a abandonnés et que les patrons ne comprennent pas que nous soyons moins productifs". Des témoignagnes comme celui d'Anne*, chargée de communication en télétravail et mère de deux enfants, ne sont pas rares.
Avec le confinement, voilà que les termes de "
travail domestique" ou "
travail ménager" reviennent sur le devant de la scène. L'homme, mais surtout la femme, enfermés dans leur foyer, sont confrontés aux vastes tâches qu'il faut accomplir au quotidien : de la lessive au ménage en passant par la vaisselle, la cuisine et, lorsqu'il y a des enfants, l'école à la maison.
L'écrivaine et philosophe Simone de Beauvoir en donnait déjà une définition, à la télévision française, en 1975 : "
Le travail ménager c'est ce travail qu'on extorque à la femme, un travail non salarié dans lequel il n'y a pas de fabrication de plus-value".
45 ans plus tard, la révolution féministe est passée par là. Les femmes sont toujours plus nombreuses sur le marché du travail mais pour ce qui de la révolution dans les ménages : la répartition des tâches n'est pas acquise.
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En temps normal, les femmes assument 70% des travaux domestiques", rappelle Amandine Hancewicz, présidente de
Parents & Féministes. Avec le confinement, cette association française a multiplié les groupes de soutien téléphonique car les demandes se sont accentuées. "
Ce que nous avons observé c'est que la charge scolaire est directement imputée aux mères".
C'est ce que dit aussi
l'étude conjointe de Sciences Po et du CNRS, "
Confinement pour tous, épreuve pour certains", parue en avril 2020. "
Les inégalités entre les sexes ont été renforcées pendant le confinement : les femmes consacrent encore plus de temps à nettoyer et à prendre soin des autres..." "
Plus remarquable", note l'étude, "
70% des femmes déclarent diriger quotidiennement le travail scolaire de leurs enfants, contre 32% des hommes (28% des hommes déclarent ne jamais effectuer cette tâche, contre 12% des femmes)"
.La charge mentale, Coline Charpentier, créatrice du compte Instagram
T’as pensé à, en parle depuis des années sur les réseaux sociaux. Durant le confinement, elle continue à livrer ses pensées quotidiennes. Et dès le début, au mois de mars, elle constate que l'enfermement du couple et de leurs deux enfants n'y change rien : elle en fait toujours plus que son partenaire.
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Hier, j'ai grondé ma fille alors que c'était clairement mon patron qui me mettait à fleur de peau", témoigne Julia*. Cette mère célibataire se dit "
à bout". Elle aussi a le sentiment d'avoir été "
sacrifiée par les pouvoirs publics". Et ainsi les exemples se multiplient sur les réseaux sociaux de Facebook à Twitter. Des blogs se sont créés durant le confinement pour relater ces quotidiens compliqués. Des groupes de partage et d'entraide se sont constitués sur Whastapp, souvent des mamans dont les enfants vont à la même école.
"Le confinement amplifie la charge émotionnelle. L’école à la maison a été décrétée sans penser que ce sont des femmes qui vont assurer alors qu’elles en font déjà beaucoup", pointe Amandine Hancewicz, consultante égalité hommes-femmes.
La chaire pour l’entrepreneuriat des femmes à Sciences Po a lancé début mai une étude auprès d'un échantillon de 1 000 personnes (conjointement avec l'institut de sondage Ipsos). Elle permettra de tirer des enseignements sur la façon dont le confinement a été vécu en France, selon que l'on soit une femme ou un homme.
"Dans les couples", commente Anne Boring responsable de cette chaire, "la répartition est assez inégale. Lorsque le conjoint ne travaillait plus (chômage partiel par exemple) la répartition des tâches domestiques se faisait mieux. En revanche, concernant le soin apporté aux enfants, les femmes ont été davantage sollicitées, surtout lorsqu'elles ont des enfants en bas âge".
Mais, selon l'économiste, ce qui joue le plus c'est la situation sociale et économique du couple. "Ces huit semaines n’ont pas été vécues de la même façon selon les circonstances du confinement. Le principal déterminant c’est la surface de l’habitat. Plus le logement est petit, moins le confinement a été bien vécu," précise-t-elle.
Les héroïnes du confinement
Caissières, femmes de ménages, infirmières, assistantes-maternelles... beaucoup de professions majoritairement féminisées ont été en première ligne durant le confinement. Nouvelles règles d'hygiène, gestion des flux, rythmes décalés : "c
'est dur", avoue Nadine*, caissière d'un magasin de centre-ville, en banlieue parisienne. "
Avant on arrivait à gérer les humeurs des clients. Aujourd'hui avec la fatigue, le stress et le masque obligatoire, c'est plus difficile d'être positive ». Alors Nadine, la prime des 1 000 euros promise aux personnels de la grande distribution, elle espère bien l'obtenir.
Car pour certain.e.s ladite prime sera proratisée (nombres d'heures ou de jours travaillés) ou reversée sous forme de bons d'achat, comme l'a révélé une
enquête menée par nos confrères de Mediapart. Une injustice qui touche particulièrement les femmes.
En 2019, 75 % des employés sont des femmes, rappelle l'Insee dans une étude parue début mai. Chez les employés de commerce, les femmes représentent 70% des effectifs, selon l'Institut national de la statistique."La catégorie socioprofessionnelle la plus féminisée est celle des personnels des services directs aux particuliers (84 % de femmes en 2019), suivie de celle des employés administratifs d'entreprise (81 %), puis de celle des employés civils et agents de la fonction publique (80 %). Certaines professions sont quasi-exclusivement féminines : les auxiliaires de puériculture (99 % de femmes), les agents de service des écoles (98 %), les assistantes maternelles (97 %) ainsi que les secrétaires (97 %) et les employées de maison et personnels de ménage chez des particuliers (95 %)".
La crise du coronavirus nous rappelle toutes les inégalités au travail qui préexistaient.
Anne Brunner, Observatoire des inégalités
Or, rappelle l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE),
les femmes sont au coeur de la lutte contre le coronavirus. Elles représentent les eeux tiers du personnel soignant dans le monde. En France, les infirmières sont payées 6% de moins que la moyenne des travailleurs français. Et au sein de l'OCDE,
la France n'est qu'à la 28e position, sur 32 pays. Ainsi, une infirmière française est moins bien payée qu'une collègue espagnole, canadienne, belge ou allemande.
Egalement, les emplois de service - en particulier l'hôtellerie-restauration, la vente en magasin ou le tourisme - sont essentiellement occupés par des femmes, note l'organisation. Et ces secteurs sont particulièrement impactés par la crise actuelle. Enfin, pour l'OCDE, les femmes sont plus exposées à la crise surtout celles qui assument des responsabilités familiales, ce qui pourrait constituer un frein à la reprise d'activité.
Inégalités : quelles solutions ?
- Revaloriser les emplois précaires :
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La crise nous révèle que les métiers dont on a essentiellement besoin - caissiers, éboueurs, soignants, livreurs etc. - sont assurés par les catégories qui sont les plus mal rémunérées et qui ont des conditions de travail pénibles, des horaires décalés… La crise du coronavirus nous rappelle toutes les inégalités au travail qui préexistaient", analyse Anne Brunner, directrice d’études à l’Observatoire des inégalités.
Dans une tribune parue dans Le Monde, chercheurs et représentants syndicaux appellent à "r
evaloriser les emplois et carrières à prédominance féminine". A titre de comparaison, les signataires rappellent que la province canadienne du Québec "
a rendu obligatoire, depuis vingt ans, la comparaison d’emplois à prédominance féminine ou masculine, dans l’entreprise, en analysant le contenu du travail effectué, les responsabilités, la technicité, les compétences relationnelles et les exigences du travail." Ils demandent que la France en fasse autant. "
Que nos applaudissements, chaque soir, donnent enfin lieu à une réelle reconnaissance salariale de toutes ces professions, et pas à de simples primes Covid-19 !", concluent-ils.
Les infirmières, elles, font partie des professions les plus féminisées, qui se ressemblent par leurs faibles rémunérations en dépit souvent de la dureté de leurs conditions de travail (horaires de nuit ou décalés, charges lourdes...).
Selon l'Insee, l'écart entre les salaires des hommes et des femmes, est persistant. Il s'établit en moyenne autour de 22,8%. Et pourtant, une loi impose l'égalité de rémunération, à travail égal, depuis 1972 !
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Dans un monde inégalitaire, une crise sanitaire telle que celle qui nous frappe aujourd’hui a des effets délétères démesurés sur les femmes". Dès le 9 avril, tel est
le plaidoyer de Phumzile Mlambo-Ngcuka, Directrice exécutive d’ONU Femmes, et de Gabriela Ilian Ramos, Directrice de cabinet et sherpa de l’OCDE au G20.
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La pandémie ébranle nos économies et nos sociétés et révèle au grand jour ce qui doit changer (...)
Nous appelons nos dirigeants à tenir résolument compte de la problématique femmes-hommes afin de réduire les inégalités dans les mesures à court comme à moyen terme qu’ils mettent en œuvre pour atténuer les conséquences économiques et sociales du Covid-19", demandent les autrices de cette tribune.
En France, le
Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes appelle à plus de mixité dans l'économie. Pour le HCE
"c’est le moment ou jamais de valoriser économiquement le soin et le service aux autres" et de réparer "une injustice". Il préconise également "u
ne campagne nationale sur le partage des responsabilités familiales comme garant de l’égalité des sexes et d’un équilibre social entre production et interdépendance".
Le gouvernement communique beaucoup sur les femmes mais il est incapable d’intégrer les problématiques des femmes dans sa politique de crise.Amandine Hancewicz, présidente de Parents et Féministes
- Repenser les politiques publiques en incluant le facteur du genre
Amandine Hancewicz, présidente de Parents & Féministe, interpelle directement le gouvernement français. Selon elle, les femmes sont les grandes oubliées de la crise du coronavirus. La Secrétaire d'Etat chargée de l'Egalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, est "
inexistante", regrette-t-elle. "
On est face à des décideurs qui ne savent pas faire respecter les droits des femmes et mettre en oeuvre une égalité réelle. Et cela se constate d’autant plus en temps de crise car tout est exacerbé". Selon elle, cela témoigne de l’incapacité des politiques à représenter la population dans son entier. "
Ils ne sont pas formés aux problématiques de genre. Ils considèrent que les politiques publiques ne peuvent pas être discriminatoires. Les problématiques des femmes et des hommes ne sont pas traitées à égalité dans les politiques publiques. Fonctionner avec des stéréotypes c’est normal mais à un haut niveau de responsabilités ne pas se former sur ce sujet, c’est refuser de représenter une partie de la population", commente la consultante égalité hommes-femmes.
A en croire nos confrères de
L'Express, Marlène Schiappa plancherait sur une série de mesures pour favoriser notamment l'égalité et l'émancipation économique des femmes. Un demi-siècle après, les mots de Simone de Beauvoir résonnent encore à nos oreilles : "
les droits (des femmes)
ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant." En 2020, cette crise sanitaire majeure vient nous le rappeler.
*Les prénoms ont été modifiés
Violences domestiques en haussePromiscuité, isolement, contraintes pour sortir, tensions et huis clos familial.... les violences domestiques ont explosé durant les huit semaines de confinement, en France. Dans un entretien accordé à nos confrères de
Libération, Marlène Schiappa explique que "tous les indicateurs révèlent une hausse des violences conjugales".
Ainsi, la plateforme
arretonslesviolences.gouv.fr a enregistré cinq fois plus de signalements de violences conjugales. 2 000 victimes ou témoins ont alerté les forces de l'ordre par SMS via le 114 depuis le 1er avril.
Les dispositifs mis en place pour venir en aide aux victimes de violences pendant le confinement - comme l'accueil dans les pharmacies ou les permanences dans les centres commerciaux et les supermarchés - vont se poursuivre jusqu'à l'été.
Aller plus loin : Violences conjugales en France : la crainte d'un effet décompensation post-confinement