Chaque fin d’année, c’est le même bombardement d’images, de spots agressifs, de musiques sirupeuses. La publicité cogne fort . Il s’agit de séduire les consommateurs indécis avant l'achat des cadeaux. Et si l’on quittait les sentiers battus des smartphones, poupées et autres consoles de jeux pour offrir un cadeau pourri ou politiquement incorrect ?
Des cadeaux bien pourris
Quoi offrir ? Bien sûr, il y a les gadgets électroniques avec ces fameux téléphones intelligents soupçonnés, pourtant, de nous abrutir. Bien entendu, il y a les consoles de jeux, ces défouloirs à domicile pour bambins hystériques et parents démissionnaires, sans parler de ces gadgets inutiles qui finiront sur un site de vente en ligne, ces cimetières de la déception. Les fêtes de fin d’année offrent cependant une occasion merveilleuse pour crisper les sourires de ceux qui nous sont chers.
Un animateur américain a ainsi sollicité ses téléspectateurs pour tenter une curieuse expérience : offrir des cadeaux pourris aux enfants. Une expérience aussi cruelle qu’instructive. Les gamins déballent leurs jouets en salivant. Et c’est le choc. A la stupéfaction première de recevoir une pile, un brocoli, un sandwich entamé ou une éponge, éclate ensuite une terrible colère d’où s’échappent des mots qui n’ont rien d’enfantins. Quelques moutards, cependant, font preuve de retenue et semblent mieux gérer la frustration...
En France, pour ces fêtes de fin d’année, près de 60 % des achats se feront en ligne. Selon la fédération e-commerce et vente à distance
(FEVAD), le montant de toutes les ventes réalisées en 2014 sur internet devrait être, au moins, de 56 milliards d’euros (76 pour l’Allemagne et … 125 pour le Royaume Uni !). Ceux qui en ont les moyens (et l’estomac) avaleront plus de 34000 tonnes de chocolat. Ils dépenseront 4 milliards d’euros de Champagne pour noyer tout ce sucre. Crise ou pas, chaque consommateur français dépensera en moyenne 200 euros pour arracher un sourire ou un baiser. Le prix de l'affection ?
Le bazooka "bête et méchant"
Aujourd'hui, où il est prudent de polir son humour de crainte de se retrouver au tribunal, il est rafraichissant de feuilleter ces unes de "Charlie Hebdo" (1969-1981). On y découvre, ou retrouve, une outrance sulfureuse qui n'épargne personne. Les politiques dégustent, les femmes trinquent, les flics sont chargés, la famille explose, religions et religieux sont ridiculisés. Le bazooka "bête et méchant" explose les hypocrisies. L'énormité de la charge désamorce les critiques. Pas les procès. A l'époque, l'équipe de journalistes-incendiaires, emmenée par Cavanna, Gébé et Choron doit rendre des comptes régulièrement à la justice. Certains numéros sont saisis. Sans cesse attaqué, le rafiot Charlie Hebdo prend l'eau de toute part mais finit toujours par s'en tirer, tel un sphinx éditorial. Aucune leçon de prudence n'est tirée de ces procès ruineux et chaque semaine, pendant treize ans, l'hebdo va publier le meilleur du pire.
Au gré des numéros, en feuilletant les pages, on découvre un Giscard croqué en phallus (Gébé), parfois des unes sans image mais dotée de titre-choc : "Le cancer vaincu en 1976. Tout ceux qui mourront du cancer en 1975 sont des cons" etc. Et de savourer à la sauce acide les évènements qui marquèrent cette époque comme le droit à l'avortement, l'abolition de la peine de mort, la chute de la dictature espagnole, la guerre du Vietnam etc. L'ouvrage, massif, compile 700 unes parues entre 1969 et 1981. Il est accompagné de textes signés Robert Badinter, José Bové, Cabu, Gisèle Halimi, Alain Krivine, Fabrice Nicolino... tous témoins précieux d'une époque révolue... et courageuse. Au moment où vous offrirez cet ouvrage, si vous sentez une gêne ou si, carrément, la personne se pince le nez, gardez le livre pour vous !
("Les Unes de Charlie Hebdo" 1969-1981 Éditions Les Echappés, 39 euros)
"La minute vieille"
Déjà, le titre de ce coffret 2 DVD fera certainement froncer les sourcils. En offrant "La minute vieille" à une femme, jeune ou moins jeune, il faut tout de suite préciser qu'il s'agit non pas d'une attention particulière pour son âge avancé mais, tout simplement, d'une série irrésistible.
Le "pitch" est simplissime. Pendant une minute trente, plusieurs vieilles dames se partagent une même histoire dans leur salon au décors forcément vieillot.
Bien habillées, dignes et droites, ces quatre grands-mères balancent des énormités que l'on dirait tout droit sorties d'un quelconque bistrot. Feux d'artifice garanti. Et de découvrir les aventures de Maître Alberto, qui casse des noisettes avec son sexe, celle de ce rescapé d'un crash aérien qui ne parvient plus à satisfaire toutes les naufragées, ce magicien célèbre à la piscine qui se voit contraint de faire un tour d’illusionniste et puis aussi ce berger zoophile et puis encore... Des histoires curieuses, grivoises, salaces, souvent politiquement incorrectes et toujours, toujours franchement drôles.
Visiblement, grand-mère sait faire autre chose qu'un bon café ! Fabrice Maruca précise : "L'effet comique vient du décalage entre ce qu'elle raconte et ce qu'elles sont censées représenter(la sagesse etc.). De part leur âge, elles parlent de choses qu'elles connaissent ! Tout passe parce que ce sont de vieilles dames. Elles sont joyeuses, le rythme est jeune. C'est tout le contraire de ces vieilles dames que l'on voit dans les séries et qui sont parfois mourantes..."
Aucune hésitation pour offrir ce coffret qui pourra aisément remplacer votre anti-dépresseur habituel.
("La Minute vieille Coffret intégrale des Saisons 1 & 2" DVD (Editions Montparnasse), 19,99 euros)
"Mes sincères condoléances"
Il faut beaucoup de talent pour faire rire avec des histoires de morts. La série américaine "Six feet under", chef d’œuvre télévisuel, où l'intrigue avait pour décors une agence de pompes funèbres, racontait d'étranges péripéties au sein d'une famille de croque-mort. La série secouait durablement les téléspectateurs. Elle offrait un carrousel de situations humaines souvent limites et toujours troublantes. Mais il s'agissait d'une fiction.
Avec "Mes sincères condoléances", Guillaume Bailly sait de quoi il parle. L'auteur est un vrai croque-mort. Au compteur, plus de 2000 cérémonies ! Et sa profession réserve plein de surprises iconoclastes. Pourquoi donc ne pas les coucher sur des pages ? L'humour est du plus beau noir. Ainsi, vous découvrirez les obsèques de Wouf-Wouf, le chien à sa mémé, vous frissonnerez en lisant l'histoire de Renée, morte atrocement seule et qui ne laisse rien sinon une bague, âprement exigée. C'est ainsi. Quand vient la dernière heure, vient aussi, parfois, l'heure des règlements de compte. Les larmes ne sont pas toujours de tristesse. Elles peuvent être de rage et les enterrements bruyants, inattendus, pas solennel pour une fleur... ou une couronne. Le cher disparu coûte parfois trop cher. Veufs et veuves ne sont pas inconsolables et comme vitrifiés dans le chagrin. Si Maupassant était vivant, il puiserait là matière pour trousser de puissantes nouvelles. Idem pour des réalisateurs. Nul doute qu'au fil de ces pages ils trouveraient l'inspiration... dans ces derniers souffles.
("Mes sincères condoléances, les plus belles perles d'enterrements" de Guillaume Bailly. Les éditions de l'Opportun, 9,90 euros)
Topor pas mort
Ses idées jaillissaient comme l'eau d'un arrosoir. Dans sa parcelle artistique, il y poussait des œuvres étranges, improbables, cruelles, toujours surprenantes. Roland Topor n'était pas un touche-à-tout de génie, c'était un homme génial et généreux. Disparu à 59 ans, il laisse une multitude d'émotions couchées dans ses dessins, des moments de grâce poétique à la télévision (Téléchat), des œuvres inattendues au cinéma (La Planète sauvage, Marquis...) plusieurs pièces qui ont alors réveillé le théâtre (L'hiver sous la table, Vinci avait raison...), sans parler des romans dont le temps n'a pas émoussé la formidable modernité. Topor nous fait rire jaune. Il nous fait aussi frémir. Et c'est une excellente idée d'avoir réuni dans un ouvrage particulièrement soigné la plupart de ses dessins parus dans la presse. Bienvenue dans un monde absurde où la cruauté triomphe ! Topor bouleverse la hiérarchie des corps. Une sein vaut une jambe, qui vaut bien une paire d'yeux. Les personnages croqués subissent les pires tortures sans jamais souffrir. Ils semblent comme spectateurs de leur infortune. Topor invente la petite musique du grincement et le malaise qu'il nous procure s'évapore dans un rire. Il collaborera, notamment, au Nouvel Observateur, au New York Times, au Corriere della sera, à Actuel, bref à tout ce que la presse compte alors de rédacteurs en chef audacieux. Le mérite de "Topor, dessinateur de presse" est d'avoir regroupé l'essentiel de ses productions graphiques et les textes d'Alexandre Devaux apportent un éclairage bienvenu sur cette production vénéneuse. Un livre-choc, à des années-lumière de ces "beaux-livres" au papier glacé qui s'empoussièrent quelque part dans les bibliothèques.
("Topor, dessinateur de presse" Éditions les Cahiers Dessinés (35 euros) )