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Financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy : "c'est notre affaire de l'ingérence russe" - Fabrice Arfi (Médiapart)

Alors que l'ancien président français Nicolas Sarkozy est en garde à vue depuis ce mardi 20 mars pour des soupçons de financement libyen de sa campagne victorieuse de 2007, le journaliste de Médiapart, Fabrice Arfi, répond à TV5MONDE sur ce qu'il considère comme "la plus grave des affaires de la Vème République". Décryptage .

Pourquoi Nicolas Sarkozy est-il entendu maintenant ? 

Fabrice Arfi : Je ne vois pas pourquoi le timing étonnerait. La police enquête avec malheureusement dans notre démocratie, de faibles moyens dans la lutte contre la corruption. Il faut quand même bien considérer que dans cette affaire il n'y a même pas un seul policier détaché à temps plein depuis 2013 sur ce dossier. Ce n'est pas l'affaire de l'ingérence russe aux Etats-Unis ou il y a des dizaines d'agents du FBI détachés à temps plein ! C'est notre affaire de l'ingérence russe, c'est même peut-être plus grave, parce qu'on est en train de parler d'une possible corruption d'une démocratie, la France,  par une épouvantable dictature, celle de Mouammar Kadhafi.
 

C'est notre affaire de l'ingérence russe, c'est même peut-être plus grave.

Les policiers qui sont indépendants, acharnés dans ce travail, quand ils ont suffisamment d'éléments, ils les recueillent pour les confronter à celui qu'ils ont décidé de placer en garde à vue. Cela veut dire que selon le Code de procédure pénale, ils ont des raisons plausibles de soupçonner son implication personnelle dans ce dossier.  Il se trouve que c'est l'ancien président de la République, Nicolas Sarkozy, qui est déjà renvoyé devant le Tribunal correctionnel pour une affaire de financement illégal de campagne, celle de 2012, Bygmalion, et qui est mis en examen pour une autre affaire de corruption et d'influence, l'affaire "Paul Bismuth", c'est-à-dire comment il a tenté de manipuler la justice pour tenter d'avoir des informations sur des enquêtes en cours qui le génaient. 

On est en face de ce que nous considérons comme la plus grave des affaires de la Vème République  puisque de l'argent sale a abondé politiquement et de manière privée et quelques années plus tard, c'est la guerre. Et aujourd'hui certains parlements comme le Parlement britannique se rendent compte que les raisons pour lesquelles nous sommes partis en guerre ne sont pas aussi exactes qu'on a voulu le faire croire à l'époque. A partir du moment où l'on considère, et la justice arrive à le démontrer, qu'il y a une implication de Nicolas Sarkozy dans les financements libyens, comment ne pas considérer qu'il y ait une dimension personnelle et privée dans la guerre qui a été menée en mars 2011 ?

Comment ne pas considérer qu'il y ait une dimension personnelle et privée dans la guerre qui a été menée en mars 2011 (en Libye) ?

On voit déjà que depuis plusieurs semaines, il y a ce qu'on peut appeler pudiquement une accélération de l'enquête judiciaire. Il y a déjà des gens mis en examen dans ce dossier. Ziad Takieddine, qui est ce qu'on appelle pudiquement un intermédiaire, est mis en examen pour s'être auto-accusé pour avoir porté des valises de cash juste avant la campagne présidentielle de 2007 et de les avoir remises (5 millions d'euros) à Monsieur Sarkozy et à Monsieur Guéant. Son témoignage est conforté par des documents, notamment le carnet manuscrit qui avait été rédigé en 2007 par un ancien dignitaire libyen, qui confirmait les versements, les dates, les intermédiaires.

C'est un document qui a été authentifié comme étant de 2007, donc ce n'est pas un document fabriqué pendant la guerre parce que le régime était aux abois. Et en 2007 les Libyens ne pouvaient pas prévoir qu'il y aurait la guerre quatre ans plus tard. Claude Guéant, l'ancien secrétaire général de l'Elysée, l'ancien directeur de la police nationale, ancien Ministre de l'Intérieur,  est lui aussi mis en examen dans le dossier. Il est documenté tel que nous l'avons raconté dans Médiapart. Il a pu s'acheter un appartement en 2008, trois mois après la visite dont tout le monde se souvient de Mouammar Kadhafi à Paris, avec de l'argent derrière lequel se cachent deux personnes : un autre intermédiaire, Alexandre Djouhri qui est aujourd'hui incarcéré à Londres dans ce dossier, et Bechir Saleh, le directeur de cabinet de Mouammar Kadhafi, qui, il y a quelques jours, alors qu'il commençait à dire qu'il était près à participer à l'enquête judiciaire française, a miraculeusement réchappé à une tentative d'assassinat en Afrique du Sud, où il s'était enfuit grace à la France de Monsieur Sarkozy, en 2012, alors qu'il était visé par un mandat d'arrêt Interpol. 


Auriez-vous des informations concernant des collaborations plus poussées avec le régime libyen ? 

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F.A. : Nous savons que les enquêteurs français se sont rapprochés du bureau d'investigation du procureur de Tripoli et qu'il y a eu une collaboration entre la Libye, en tout cas les autorités fussent-elles fragiles qui sont celles de la Libye et héritées de la guerre que la France a mené avec d'autres en 2011, avec la justice française. Il y a toujours en Libye de hauts dignitaires que nous fréquentions, que nous ne considérions pas -quand je dis "nous" c'est la France de Monsieur Sarkozy- comme un problème puisque nous leur avons vendu des armes, du matériel de surveillance, des avions. Nous voulions leur vendre du nucléaire civil. On a fait semblant de découvrir en mars 2011 que c'était une dictature. Ce qu'elle était. Ces gens-là ont beaucoup de choses à dire et nous avons déjà documenté depuis 2011 . Depuis 2011, nous écrivons à Médiapart sur ce dossier les éléments qu'ils ont en leur possession puisque la folie, si je puis me permettre, de cette histoire c'est qu'il n'y a pas eu un jet de corruption. Il y a eu plusieurs jets de corruption qui sont partis de plusieurs responsables libyens et qui sont arrivés dans plusieurs poches en France. Des poches politiques et des poches privées. Et c'est en cela que ça donne à cette affaire un scandale d'Etat proprement inédit, je crois, dans l'histoire de la République. 

Pourquoi Brice Hortefeux, l'ancien ministre français de l'Intérieur, a-t-il été entendu ? 
 

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F.A. : Brice Hortefeux est l'ancien ministre de l'Intérieur mais surtout le fidèle lieutenant depuis bientôt quatre décennies de Nicolas Sarkozy. Nicolas Sarkozy l'appelle comme "mon frère" en parlant d'Hortefeux. Là où il y a Nicolas Sarkozy, il y a Brice Hortefeux. Et lui a été placé sous un statut particulier par les policiers. Il n'est pas mis en garde à vue, il est entendu comme "suspect libre" pour une raison très simple. Comme il est député européen, les policiers n'avaient manifestement pas envie de demander une levée d'immunité pour le placer en garde à vue parce qu'il aurait fallu pour ça qu'ils dévoilent leur enquête auprès du bureau du Parlement qui aurait statué sur la demande de levée d'immunité. Mais il est actuellement entendu comme mis en cause.

L'expression "audition libre" laisse penser que la personne n'est pas mis en cause. Non, il est entendu comme suspect.(sur Brice Hortefeux)

L'expression "audition libre" laisse penser que la personne n'est pas mis en cause. Non, il est entendu comme suspect. Et en effet on le voit un peu comme le furet dans la chanson : "il est passé par ci, il est passé par là". Comme une ombre fuyante, parfois insaisissable, Brice Hortefeux est un peu partout dans le dossier comme nous l'avons raconté dans Médiapart ces dernières années. Alors nous allons voir qu'elle va être l'issue d'un point de vue judiciaire pour l'ancien président de la République, Nicolas Sarkozy, et l'ancien Ministre de l'Intérieur, Brice Hortefeux, qui auront loisir d'être convoqués par le juge dans plusieurs jours. Voire d'être déféré à l'issue de leurs auditions pour éventuellement être mis en examen. Cela appartient à la justice, pas à Médiapart. 

La défense de Nicolas Sarkozy n'a jamais varié. Il a toujours démenti.    

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F.A. : Nicolas  Sarkozy a toujours été dans l'outrance du démenti en disant que c'était une calomnie, une honte. C'est bien son droit. Il se défend comme il veut, après tout ce n'est pas tellement mon problème. Moi mon souci c'est de pouvoir récupérer avec mon collègue Karl Laske  des informations qui sont vraies et d'intérêt public pour alimenter une conversation et parfois des enquêtes judiciaires qui commencent à aboutir. Nicolas Sarkozy dit que c'est la calomnie, la honte, il nous a même accusé un peu comme Trump de faire des "fake news". Il nous a poursuivi même pour "faux et usage de faux" après qu'on a révélé en 2012 un document issu des archives du régime libyen. La justice a enquête pendant quatre ans et elle a estimé que ce document était parfaitement authentique et que rien ne permettait ni de près, ni de loin, de dire qu'il était faux. Non seulement l'aspect formel du document, l'aspect matériel, mais aussi son aspect intellectuel, c'est-à-dire ce qu'il contient.

On sait que (Claude Guéant) s'est fait financer un appartement en mars 2008 grâce à des compromissions libyennes


Et ce qu'il contenait c'était une promesse de financement à l'occasion de la campagne présidentielle de 2007. Mais évidemment l'enquête ne tient pas sur ce document. C'est un document important mais c'est une enquête qui est comme un puzzle où sont ramassés énormément d'indices, de témoignages, et contrairement à la musique qui a voulu être instillée par la Sarkozie et certains journalistes, des éléments matériels. Aujourd'hui, par exemple, on sait que l'ancien secrétaire général de l'Elysée, le cardinal de la République, le numéro 2, la doublure de Nicolas Sarkozy, Claude Guéant, s'est fait financer un appartement en mars 2008 grâce à des compromissions libyennes. Ca s'est au dossier, c'est documenté. Il y a des virements. On est face à une affaire qui est proprement vertigineuse.        

 

On est face à une affaire qui est proprement vertigineuse.        

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