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Flambée des prix alimentaires : pourquoi l'Afrique de l'Ouest est au bord d'une crise majeure

Les prix mondiaux des matières premières alimentaires atteignent des sommets. Les populations du Sahel, d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique Centrale sont durement affectées par cette inflation galopante. Comment cette flambée des prix s'est-elle constituée dans cette région d'Afrique et peut-elle être stoppée ? Entretien avec Philippe Chalmin, économiste, historien et spécialiste du marché des matières premières.
Les chiffres mondiaux de l'augmentation des prix des denrées alimentaires sont très inquiétants : l'Indice FAO (Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture) "s'est établi en moyenne à 127,1 points en mai 2021, soit 39,7% de plus qu'en mai 2020", souligne l'organisation mondiale. Mais cette moyenne globale cache des hausses de prix bien plus élevées pour certaines denrées alimentaires. Le  maïs a ainsi enregistré une valeur moyenne supérieure de 89,9% en un an.
 Cette augmentation des prix alimentaires est la plus importante depuis 2011, année record. C'est en particulier la flambée des prix des huiles végétales, du sucre et des céréales qui en est à l'origine. Pour l'Afrique de l'Ouest, les prix des denrées alimentaires sont en augmentation dans toute la région, comparés à la moyenne des cinq dernières années, précise la FAO. Que ce soit pour des denrées importées ou non. Les produits alimentaires locaux ont par exemple augmenté de près de 40% dans la région, avec—  dans certaines zones — des hausses de prix records, à plus de… 200 %.


Le directeur régional du Programme alimentaire mondial des Nations unies ( PAM) pour l'Afrique de l'Ouest, Chris Nikoi déclarait en avril dernier  : "En Afrique de l'Ouest, les conflits alimentent déjà la faim et la misère. La hausse incessante des prix agit comme un multiplicateur de pauvreté, plongeant des millions de personnes dans l’insécurité alimentaire et le désespoir. Même lorsque les denrées alimentaires sont disponibles, les familles n'ont tout simplement pas les moyens de s’en procurer — et la flambée des prix met un repas de base hors de portée de millions de familles pauvres qui avaient déjà du mal à s'en sortir".

Au Sahel et en Afrique de l’Ouest, 20 millions de personnes ne mangent pas actuellement à leur faim. Quel est l'origine de cette nouvelle crise des prix alimentaires ? Comment la comprendre ?

Réponses de Philippe Chalmin, économiste, historien, spécialiste du marché des matières premières et président de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires.

TV5MONDE : Comment s'est formée — en moins d'un an —  cette flambée mondiale des prix des denrées alimentaires ?

Philippe Chalmin
Philippe Chalmin est professeur d'économie, historien et spécialiste du marché des matières premières.

Philippe Chalmin : C'est incontestablement l'importance des achats de la Chine qui est la raison principale de la flambée des prix. Essentiellement sur les céréales et les oléagineux. La Chine était connue pour être le premier importateur de soja au monde — avec plus de 100 millions de tonnes d'importations par an —  mais là où elle importait normalement une petite vingtaine de millions de tonnes de céréales, elle en a importé plus de 50 millions de tonnes en 2020-2021. Ceci a eu un impact direct sur les prix du maïs, puis indirectement sur les prix des autres céréales, le blé et l'orge. La principale exception étant le riz.

Pour les autres produits agricoles, là aussi la Chine est responsable, puisqu'elle a pesé très lourd dans les importations de viande à cause de l'épidémie de peste porcine africaine qui a réduit de 40 à 50% le cheptel porcin chinois. La Chine a alors été obligée d'augmenter très considérablement ses importations de viande porcine, mais aussi de viande bovine et même un petit peu de volaille.

Nombre de métropoles africaines ont pris la mauvaise habitude de dépendre des importations pour leur nourriture.

Il faut aussi restituer les produits agricoles dans l'ambiance générale qui a dominé ces 12 derniers mois avec une reprise économique  rapide et marquée, ce qui a propulsé vers le haut la plupart des prix des matières premières. Les produits agricoles en ont donc indirectement profité.

TV5MONDE : Peut-on imputer la flambée des prix en Afrique de l'Ouest à ces mêmes causes ?

Philippe Chalmin : L'Afrique de l'Ouest est une importatrice nette de produits agricoles. Les productions locales approvisionnent éventuellement les marchés urbains, mais il faut se rappeler que nombre de métropoles africaines ont pris la mauvaise habitude de dépendre des importations pour leur nourriture.

Quand les prix agricoles sont bas, on peut nourrir éventuellement les villes, mais ce sont les populations rurales qui souffrent. 

Donc, quand le prix du blé flambe, cela se paye en Egypte, en Algérie, au Nigeria et sur tous ces marchés qui sont devenus aujourd'hui des importateurs structurels. Sachant que les modes de consommations évoluent aussi. Le passage du rural à l'urbain se traduit par des modifications des habitudes alimentaires.

TV5MONDE : Qu'est-il possible de faire contre la pauvreté alimentaire qui s'installe dans cette région d'Afrique à cause de la flambée des prix?

Philippe Chalmin : Le problème de la pauvreté alimentaire — notamment dans les pays africains — se pose à deux niveaux. Quand les prix agricoles sont bas, on peut nourrir éventuellement les villes, mais ce sont les populations rurales qui souffrent. Aujourd'hui, où les prix agricoles sont plus élevés, on peut imaginer que la situation dans les zones rurales est probablement meilleure, et par contre, se pose des problèmes d'alimentation des zones urbaines. C'est tout le conflit qu'il peut y avoir dans nombre de ces pays, entre politique agricole — "je vais mettre des prix suffisamment incitatifs pour pousser les producteurs à augmenter leur production" — et politique alimentaire : "je maintiens les prix alimentaires le plus bas possible pour éviter des émeutes de la faim."

Il faut arriver à gérer la contradiction entre politique agricole et politique alimentaire.

Assez souvent — parce que c'est ce qui est politiquement le plus déstabilisateur —  on regarde avant tout les prix alimentaires dans les zones urbaines. Mais lorsque les prix dans les zones alimentaires dans les zones urbaines sont bas — notamment parce qu'on a pu importer — il faut bien se rendre compte que ceci a un impact très négatif dans les zones rurales. Il faut donc arriver à gérer la contradiction entre politique agricole et politique alimentaire.

Le monde va battre des records de production agricole en 2021 et 2022. Ceci devrait se traduire par une diminution des prix mondiaux, notamment les prix des céréales.

Si je fais une comparaison avec l'Europe des années 50, on a pu s'offrir une politique agricole avec des prix très rémunérateurs  pour les agriculteurs, tout simplement parce que l'on était au cœur des "30 glorieuses" et que le consommateur urbain pouvait supporter des prix plus soutenus. Malheureusement, on ne peut pas dire que dans les métropoles d'Afrique nous soyons au cœur de quelque "trente glorieuses" que ce soit.

TV5MONDE : Peut-on craindre que les prix alimentaires ne baissent pas ou même qu'ils continuent d'augmenter en Afrique de l'Ouest cette année ?

Philippe Chalmin : Sur les pays d'Afrique de l'Ouest, je ne peux pas m'engager. Mais sur les prix mondiaux, normalement, sauf catastrophe climatique totalement imprévisible, les prévisions que nous avons pour 2021-2022, sont excellentes à peu près partout. Donc, normalement, le monde va battre des records de production agricole en 2021 et 2022. Ceci devrait se traduire par une diminution des prix mondiaux, notamment les prix des céréales.