Fil d'Ariane
30% de taxe unique sur les dividendes, intérêts et plus-values de cession, en incluant les prélèvements sociaux : c'est le système de la "flat tax", déjà en application aux Etats-Unis ou en Finlande. Le gouvernement a calculé qu'il coûterait 1,9 milliards d'euros au terme du mandat d'Emmanuel Macron mais l'ampleur du manque à gagner pour les recettes publiques reste en réalité inconnue : aucun chiffre n'existe sur le nombre de contribuables qui peuvent ou pourraient à terme utiliser ce nouveau système, plus avantageux que celui des cotisations et impôts sur les revenus du travail : les salaires.
Les effets de cette mesure sur l'économie pourraient être de grande ampleur — avec au moins 15 milliards par an de perte de recettes fiscales et de sécurité sociale selon l'économiste Gabriel Zucman de l'université de Berkeley en Californie — mais lesquels ? Questions à Vincent Drezet, fiscaliste et membre d'ATTAC, ancien secrétaire général du syndicat Solidaires de Bercy.
À quoi sert ce cadeau fiscal fait aux actionnaires, en termes d’amélioration de l’économie ?
Vincent Drezet : Selon Emmanuel Macron et son gouvernement, en taxant moins et de manière neutre les revenus du capital, puisque ce n'est pas que le taux unique qui change mais aussi la suppression des systèmes d'abattements de longue durée, c'est que ça favorisera la mobilité du capital et qu'éventuellement ça peut attirer des richesses qui soit sont à l'étranger, comme avec les conséquences du brexit, soit sont en France, et les incite à ne pas aller à l'étranger. Donc la ligne de front du gouvernement c'est de dire : "il y a la concurrence fiscale, le brexit, on veut des levées de capitaux donc on abaisse la fiscalité du capital".
La baisse de rentrées fiscales que va engendrer la Flat Tax devra-t-elle obliger l’État à compenser cette perte qui pourrait monter à terme à 15 milliards et comment devrait-il le faire ?
V.D : Avec les mesures de la loi de finance comme la disparition de l'ISF et l'allègement de l'impôt sur les sociétés, il y a une logique : on abaisse les impôts sur les sociétés pour qu'elles distribuent plus de dividendes, on abaisse l'impositions des revenus du capital. Mais comme il faut des recettes, le premier moyen c'est continuer la rigueur budgétaire, le deuxième, selon moi, c'est le transfert du manque à gagner sur les ménages. On peut s'interroger à ce titre là de la hausse de fiscalité sur le diesel qui, certes, à un objectif comportemental, mais qui va très vite rapporter 3,7 milliards d'euros. Et dans cette orientation globale, on demandera un effort aux collectivités locales.
La baisse des investissements publics a démontré qu’elle ralentissait l’économie : comment la Flat tax est-elle censée aider le dynamisme économique français ?
V.D : La flat tax c'est un pari. Le gouvernement taxe moins pour se situer dans la moyenne européenne, mais si on rentre un peu dans le détail, en terme d'économie, on sait que ça va favoriser l'achat d'actions pré-existantes sur le marché secondaire, et favoriser la spéculation puisque les placements et plus-values de court termes seront taxés de la même manière que les placements et plus-values de long terme. Donc l'argument de l'investissement, là aussi, ne tient pas. Autre effet : la question des inégalités. Plus on s'élève dans la hiérarchie des revenus, plus la part du capital augmente. En taxant moins, cela va favoriser majoritairement les plus aisés. 90% des 1% des Français les plus riches vont voir leur imposition sur les revenus financiers baisser alors que la moitié la moins aisée des ménages n'est pas concernée. Cela a des effets sur l'économie, au-delà de l'apect moral choquant, puisque l'on reconstitue une rente.
Le différentiel entre les revenus salariaux et ceux par dividendes va être de 15% une fois la flat tax appliquée — selon Gabriel Zucman — et ce, en faveur des revenus par dividendes : est-ce une incitation — pour tous ceux qui le peuvent — de basculer des revenus par le salariat et les dividendes vers le "tout dividendes" ?
V.D : C'est certain que cette mesure déclare la priorité aux dividendes. On recommence à parler de participation dans l'entreprise, donc une part du revenu modulable en fonction de la perfomance de l'entreprise, et au-delà, avec l'imposition des Plan d'épargne logement à partir de 2018, des assurances vie, il y a la volonté de rediriger vers les dividendes. La France a l'un des taux d'épargne les plus élevés au monde, donc la stratégie du gouvernement est d'essayer de rediriger cette épargne vers les dividendes, d'où cette flat tax. Le cap est fixé.
Au niveau de la sécurité sociale, il y aura moins de recettes si de plus en plus d’actionnaires salariés optimisent leurs revenus en passant « au tout dividendes ». Cette perte sèche de la solidarité pourrait-elle mettre en danger la sécurité sociale ?
V.D : L'orientation politique tendant à faire pression sur les finances sociales, au mépris de certains besoins, est déjà là. La part des mutuelles et des complémentaires s'accroit, et ça devrait se poursuivre puisqu'on ne met pas de nouveaux moyens. Le pari qui est lancé par le gouvernement est de dire que tout ce qui est droits et garanties attachés au salariat doit aller en s'amenuisant, y compris le salaire fixe avec les cotisations sociales. Il y a un argument qui dit que comme on élargit l'assiette fiscale, comme les revenus du capital, sont moins imposés, il y aurait aussi des prélèvements sociaux qui financent la sécurité sociale. C'est un argument un peu spécieux dans la mesure où cela reste un pari sur l'avenir avec une évolution profonde de la nature de l'économie capitaliste dans laquelle on est. Il y a aussi le pari de l'évolution du travail des indépendants, dont les auto-entrepreneurs. C'est la révolution du capitalisme financiarisé du XXIème siècle.
La flat tax présuppose donc que les gains des actionnaires seront réinvestis dans l’économie, dans les entreprises. Ce procédé de « cadeau », déjà effectué avec le CICE, n’a pas créé d’emplois, ni amélioré l’économie, par exemple… Pourquoi donc les revenus du capital préfèreraient-ils investir grâce à la flat tax et améliorer l’économie plutôt que capitaliser ou optimiser leurs gains sur les marchés financiers ?
V.D : Vu l'état de la redistribution des richesses en France, entre la baisse des impôts sur les entreprises, la disparition de l'ISF, la baisse de la taxation des dividendes, on sait que ça va augmenter les inégalités, sur un assez court terme. La phrase connue d'Helmut Schmidt qui disait "les investissements d'aujourd'hui sont les profits de demain" ne tient plus, parce qu'avec l'économie capitaliste actuelle, "les investissements d'aujourd'hui sont les profits d'aujourd'hui". Ce qui est recherché c'est l'augmentation de la valeur actionnariale, avec des institutions, des fonds de pension aux Etats-Unis, donc on favorise la mise sous pression des entreprises et de leur activité. Il y a déjà un niveau de redistribution record, on a presque atteint le niveau de 2007 avec 36 milliards de redistribution de dividendes l'année dernière, donc l'idée c'est d'en faire plus. C'est un peu la stratégie de la sangsue : on va capter plus de richesse mais par exemple pour financer les retaités américains, augmenter la richesse des uns et des autres, résidents français ou pas. Ce qui est surprenant dans le discours du gouvernement à ce niveau là, c'est de dire "je ne crois pas au ruissellement", mais favoriser le capital pour améliorer l'économie, c'est du ruissellement. Le principe du ruissellement, qui n'a jamais été démontré en économie, c'est quand même qu'il y a une accumulation en haut… et quelques gouttes qui tombent bas.