Comment le projet de ce film s'est-il construit ? David Dusa : Tout a commencé au printemps 2009. J'avais suivi les élections en Iran, parce que j'ai des amis iraniens et parce que c'est un pays important d'un point de vue géopolitique. Quand les gens sont descendus dans la rue pour manifester contre le trucage des élections, ils ont commencé pour la première fois à détourner les réseaux sociaux, pour nous faire parvenir leurs images, créer un événement médiatique. J'ai trouvé ça incroyable.
Pourquoi le réseau Internet, est-il central dans ce film ? D.D : J'étais très épaté quand j'ai vu les images diffusées sur le réseau mondial. Puis l'idée de la jeune iranienne qui arrive à Paris, c'était pour évoquer le pouvoir émotionnel des réseaux sociaux. Cette fille veut garder le contact avec son pays, et l'Iran reste présent avec une telle violence, une telle densité... et ça, uniquement grâce aux réseaux sociaux. Le réseau social change notre présence au monde : on peut être physiquement quelque part et mentalement ailleurs, beaucoup plus qu'avant. Autant l'histoire d'amour des deux personnages est délicate, autant, en opposition les images venues d'Iran sont crues, terribles et violentes. C'est votre vison du monde, ces univers si différents jusqu'à imaginer qu'il y aurait plusieurs planètes ? D.D : Oui. Absolument. Mais depuis les événements en Iran je suis beaucoup plus optimiste : ces événements et cet optimisme sont confirmés par le printemps arabe. Je pense qu'Internet, comme système de communication, mais aussi comme écosystème, nous rapproche les uns des autres, à travers les frontières, les cultures. Donc sur le long terme je suis optimiste, bien que pessimiste sur le court terme. C'était d'ailleurs très difficile au montage de trouver l'équilibre entre la cruauté et la brutalité en Iran et la tendresse de l'histoire d'amour à Paris. Mais je pense que c'est la co-existence des deux qui fait le piment du film. La danse urbaine, les yamakasi, pour lui, Charles Baudelaire et les poètes persans pour elle... à un moment Gecko dit "mon ignorance c'est ma liberté", vous pouvez nous en dire plus ? D.D : C'est lié à son passé. Je pense qu'il était tellement blessé (le personnage de Gecko, ndlr) qu'il vit dans une sorte de bulle au début du film. C'est quelque chose de très volontaire, c'est comme un moine cloitré, une sorte d'ermite. Mais c'est cette ignorance qui lui permet de danser dans la rue. Parce qu'il ne se rend pas compte de ce qu'il fait. Mais c'est une ignorance consciente, pas une "ignorance d'ignorant", elle est choisie. C'est totalement opposé à la philosophie de la jeune femme qui vient de la grande bourgeoisie de Téhéran, qui aime la culture. La danse urbaine pour le personnage de Rachid c'est un moyen d'expression, mais ce qui est important, c'est que c'est ce qui attire la fille initialement. Parce que la façon dont Rachid possède l'espace public, quelque part, en s'y exprimant (par la danse et les déplacements yamakusi, ndlr), c'est un contraste violent avec ce qu'il se passe en Iran où tout est interdit dans l'espace public. Mais il faut dire que beaucoup de choses dans le film sont tirées de la vraie vie de Rachid, jusqu'à l'appartement du personnage qui est en réalité celui de l'acteur. Il y a une scène aussi, celle de la piscine, où ce que Gecko raconte est réel, c'est la vie de Rachid. Je peux dire que film est né de la rencontre de Rachid avec ces vidéos d'Iran.