Du 5 au 11 octobre 2012 se tient à Strasbourg le premier Forum mondial de la Démocratie, organisé par le Conseil de l'Europe. Une démocratie qui, au rythme des printemps arabes ou de l'ouverture en Birmanie, se réveille dans certaines parties du monde, alors qu'elle semble reculer sous la montée des extrémismes et des dérives sécuritaires dans les pays où elle semblait acquise. Où en est la démocratie en 2012 ? Eléments de réponse avec Michaël Foessel, maître de conférences à l'université de Bourgogne, spécialiste de philosophie politique et conseiller auprès de la direction de la revue
Esprit.
L'éveil de la démocratie Dans les sociétés jusque là privées de droits civiques, les peuples ont, ces dernières années clairement exprimé leur volonté de participer aux affaires publiques, parfois dans la violence, comme en Birmanie ou dans les pays arabes. D’autres manifestent un désir de démocratie liée à l’amélioration des conditions matérielles, comme la Chine, avec sa nouvelle classe moyenne. « De façon quasi mécanique, pour compléter l’augmentation de leur niveau de vie, les individus revendiquent des droits à la liberté face à la classe élitaire, au parti et à ses dirigeants, explique Michaël Foessel. Cette évolution rappelle celle des pays occidentaux au 19ème siècle : l’industrialisation et la progression du capitalisme s’accompagnent d’une exigence démocratique dont on ne sait pas sur quoi elle va déboucher. » Car depuis 1989, on constate qu’économie de marché ne rime plus forcément avec démocratie. Crise et "dédémocratisation" En 1989, les pays de l'ancien bloc de l'Est accueillaient à bras ouverts l’économie de marché. Il paraissait alors aller de soi qu'ils adopteraient aussi les valeurs démocratiques des pays capitalistes. Or cette alliance, que l'on considérait alors comme naturelle, n’est plus du tout d’actualité. Sans aller jusqu’en Chine ou en Russie, certains pays d’Europe, comme la Hongrie, le prouvent. Nos vieilles démocraties, elles aussi, ont révélé leur fragilité face à la crise, et une démocratie institutionnelle comme la France génère des mouvements politiques et sociaux parfois clairement antidémocratiques. Les institutions, elles aussi, révèlent un durcissement, selon Michaël Foessel : « En France ou aux Etats-Unis, la crise sociale et économique finit par entamer l’attachement des élites et du citoyen au processus démocratique. Les Etats-Unis et l’Europe évoluent vers une dimension de plus en plus sécuritaire et répressive, y compris en droit pénal, qui ne convainc pas que la démocratie dans les pays où elle est installée, demeure l’objet d’un désir aussi fort que dans les pays nouvellement acquis à cette cause. » Si elles ne remettent pas en cause les systèmes de représentation et d’élection, ces tendances véhiculent des valeurs incompatibles avec l’idée égalitaire de démocratie.
Au-delà des institutions, une culture Définie par l'ONU comme une « valeur universelle qui suppose que les peuples choisissent leur propre système politique, économique, social et culturel, en exprimant librement leur volonté, et qu’ils aient voix au chapitre en ce qui concerne tous les aspects de leur existence, » la démocratie ne se réduit pas à des institutions ou à des élections. « Ou alors c’est souvent dans un but non démocratique, souligne Michaël Foessel. En Egypte, par exemple, les islamistes, sachant qu’ils obtiendraient la majorité, avaient tout intérêt à s'en réclamer ! » La démocratie est une culture, une forme de société qui va au-delà de la désignation des élites par le peuple dans des conditions plus ou moins transparentes. Elle se nourrit de sentiments démocratiques, d’acquiescement à la liberté et surtout à l’égalité. Si on la conçoit comme le respect du droit et des droits individuels, il faut démocratiser la société dans toutes ses dimensions. Et cela passe aussi par l’éducation nationale et l’égalité entre les hommes et les femmes.
« La démocratie n’est pas naturelle » En réponse aux inquiétudes face à la régression des valeurs égalitaires au sein des jeunes démocraties arabes, Michaël Foessel met en garde contre un discours déterministe : « Ils ne veulent pas de la démocratie, ils ne s’en sortent pas… » Comment, à cette échéance, pourrait-il en être autrement ? « Pays des droits de l’Homme, la France a mis cent ans avant d’intégrer la démocratie. Et deux siècles après, 20 % des français donnent leur suffrage au front national, » ajoute-t-il. Habitués à vivre sous ce régime, nous n’y prêtons plus attention, mais la démocratie exige du temps, une évolution, des processus historiques, de la volonté, et parfois de combattre les forces qui s’y opposent, « Même si certains néoconservateurs américains l’ont cru quand ils pensaient être accueillis à bras ouverts en envahissant l’Irak, il est illusoire de penser que les hommes sont spontanément démocrates et attachés aux libertés, » affirme Michael Foessel. Plus qu’un acquis, un processus La démocratie n’est pas un état de fait pour autant ; elle se transforme et évolue sans cesse. « On ne peut pas se référer à une vieille démocratie en disant qu’elle est ancrée ad vitam eternam, affirme Michaël Foessel. Présenter la démocratie comme un état sans retour et définitif est une erreur dramatique, même dans les pays où elle est le mieux implantée. Elle suppose surtout de la part de ceux qui y vivent la volonté de participer à l’élaboration des lois, règles du vivre ensemble. » Ainsi la démocratie est-elle un combat permanent, porté par le désir des citoyens de s’engager dans la gestion des affaires publiques. Un désir sans cesse remis en cause par les problèmes économiques, l’urgence à gérer sa propre vie, sa situation professionnelle et les peurs qui surgissent, comme la peur des étrangers. Voilà qui nous mène à porter un regard critique sur nos propres sociétés. "Ceux qui se battent pour la démocratie - associations, médias, partis… -, s'ils portent un jugement sur le monde, devraient commencer par leur propre société !" affirme Michaël Foessel. Dans ces conditions, quelle est notre légitimité à promouvoir ou imposer la démocratie ? « Aucune ! répond Michael Foessel. Imposer la démocratie, c’est comme contraindre à la liberté : contradictoire. Et pourtant, les partisans de l’intervention en Irak sous l’administration Bush étaient de bonne foi. Car à l’époque, le principe même de l’action des Etats-Unis résidait dans la conviction que marché et démocratie étaient indissociables. » Rendre la démocratie désirable Pour promouvoir la démocratie, il faudrait la rendre désirable. Or dans un pays immense pays émergent comme le Brésil, par exemple, le modèle de nos démocraties occidentales ne passionne pas. « Il en sera ainsi tant que nous serons enlisés dans la crise, pas seulement économique, mais une crise des fondements même de la démocratie, affirme Michaël Foessel. Il faut montrer que la démocratie est une manière de vivre ensemble qui permet aux hommes de développer leur virtualité dans l’ordre social et économique. » Sinon, nous aurons toujours tort face à ceux qui privilégient l’intérêt individuel sur les libertés publiques.
Le
Forum mondial de la Démocratie réunit des personnalités politiques, des leaders d'opinion, des prix Nobel, des universitaires, des fonctionnaires, des écoles d’études politiques, des élus nationaux et européens, des responsables gouvernementaux... Durant une semaine, une série d’événements et de réunions de travail associe ces acteurs de la vie publique, venus de tous les continents, pour échanger des expériences et bonnes pratiques en matière de gouvernance démocratique et proposer des initiatives nouvelles. Objectif : renforcer les processus de démocratisation partout dans le monde, et consolider les démocraties, même les plus anciennes, face aux nouveaux défis auxquels elles sont confrontées.