A Fos-sur-Mer, au milieu des usines, une vie empoisonnée

Selon une étude rendue publique le 12 février 2018, des polluants à haute dose ont été retrouvés dans certains aliments cultivés près de la zone industrielle du Golfe de Fos, dans le Sud de la France. Les habitants viennent de saisir la justice pour « mise en danger de la vie d'autrui » et « troubles anormaux du voisinage ». Nous sommes allés à leur rencontre.
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Plan large de Fos Sur Mer
La ville de Fos-sur-Mer se trouve dans l'une des plus grandes zones industrielles d'Europe.
© Stéphanie Plasse / TV5MONDE
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«J'ai un petit jardin, je cultive mes propres légumes et je possède trois poules. Je continue à manger ce que je produis même si je sais que l'air n'est pas très bon» . Michel Dufraigne, 75 ans, a fait construire à Fos-sur-Mer dans les années 80. De sa fenêtre, ce retraité de l'industrie sidérurgique voit les torchères des raffineries : « La nuit, ils brûlent leurs déchets. Je sens fortement leur odeur ». Dans cette petite commune d'environ 16 000 habitants, les cheminées des industries barrent l'horizon. Toute la journée, raffineries, aciéries, usines métallurgiques et pétrochimiques crachent leurs épaisses fumées dans le ciel.

Située dans le Golfe de Fos, la ville de Fos-sur-Mer se trouve dans l'une des plus grandes zones industrielles d'Europe où les installations portuaires du Grand port Maritime de Marseille côtoient les industries chimiques, pétrolières ou gazières qui bordent l'ouest de l'étang de Berre.

Michel Dufraigne,  Fos-sur Mer
Michel Dufraigne, 75 ans, habitant de Fos-sur Mer dans son jardoin potager.
© Stéphanie Plasse / TV5MONDE

Originaire d'Auvergne, Michel Dufraigne est parti s'installer en 1971 dans cette zone alors « en pleine expansion » où « les industries recrutaient massivement ». Alerté par l'odeur et les fumées douteuses qui émanent des usines, ce militant écologiste de la première heure a co-fondé en 2002 l'association de défense et de protection du littoral du Golfe de Fos (ADPLGF) pour sensibiliser la population aux problèmes environnementaux. C'est dans ce but que l'ADPLGF a décidé de piloter une étude sur sept produits AOC de l’ensemble du territoire de l’ouest de la Provence jouxtant cette zone industrialo-portuaire afin de déterminer leur teneur en substances dangereuses pour la santé. Résultat : les échantillons de viande de taureau et les œufs dépassent le seuil réglementaire en dioxines, des polluants organiques très toxiques. Toutefois, malgré un taux au-delà de la normale, le président de l'ADPLGF Daniel Moutet se montre rassurant : « Ces produits ne sont dangereux que si on en mange tous les jours ». 

Daniel Moutet Fos sur Mer
Daniel Moutet, 60 ans, président de l'association de défense et de préservation du littoral du golfe de Fos (ADPLGF)
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Des fumées "tantôt rouges, tantôt noires, tantôt marrons" 

Depuis la publication de cette étude, cet ancien conducteur d'engins dans le grand port autonome de Marseille reçoit les appels d'habitants inquiets et de producteurs révoltés : « Je veux tirer la sonnette d'alarme, mon but n'est pas de critiquer les producteurs locaux qui sont aussi des victimes ». Depuis plusieurs années maintenant, Daniel Moutet photographie les fumées qui sortent des usines. « Tantôt rouges, tantôt noires, tantôt marrons », commente le président de l'ADPLGF qui fait défiler les photos prises avec son smartphone. Il en est convaincu, les industriels ne font pas d'efforts pour limiter l'émanation des polluants et l’État ne fait rien pour arranger la situation. « J'ai envoyé plusieurs lettres au ministère de l’Écologie, personne ne m'a répondu » explique, exaspéré, Daniel Moutet. L'association de défense et de protection du littoral du Golfe de Fos a décidé de porter plainte contre X pour « mise en danger de la vie d'autrui ». Elle va déposer également une série de plaintes au civil contre les industriels du secteur pour « troubles anormaux du voisinage ». Sont visés notamment ArcelorMittal. D'après le quotidien Le Monde, qui a pu consulter un rapport d'inspection environnementale daté d’octobre 2017, la plus importante installation de Fos-sur-Mer enregistre d'importants dépassements de rejets de benzène (gaz cancérigène) depuis 2016.

Vue large de Fos sur Mer
© Stéphanie Plasse / TV5MONDE

« C'est terrible ce qui se passe ici »

En déposant une plainte au civil, Sylvie Anane, souhaite que l'information se répande partout en France. « Les entreprises doivent faire un gros effort car, si elles ne font rien, elles vont perdre leurs employés qui vont mourir à petit feu comme nous ». A 54 ans, cette maman de deux enfants vient d'être une nouvelle fois hospitalisée. On vient de lui poser un troisième stents (une reperfusion par voie percutanée). Depuis 2002, cette habitante de Fos-sur-Mer qui souffre d'une maladie cardio-vasculaire multiplie les pathologies : cancer de l'ovaire, du sein, de la thyroïde et du diabète. Les membres de sa famille ne sont pas non plus épargnés. Son mari a dû se faire opérer de la thyroïde et sa petite fille souffre d'asthme. « C'est terrible ce qui se passe ici », souffle Michel Dufraigne. Lui aussi est touché. Depuis la retraite, il souffre d'un diabète de type 2 qui le contraint à vérifier sa glycémie tous les jours et a dû subir un double pontage coronarien.

Deux fois plus de cancers, d'asthme et de diabète qu'ailleurs en France

Depuis dix ans, les études de santé menées dans les environs de Fos-sur-Mer sont alarmantes. En 2010, l'Institut de veille sanitaire a révélé un excès d’hospitalisations pour des leucémies aiguës et des maladies cardiovasculaires, à l'ouest de l'étang de Berre. Et la dernière en date, l'étude Fos EPSEAL publiée début 2017, montre qu'il y a deux fois plus de cancers, d'asthme et de diabète qu'ailleurs en France. Pourtant, malgré ces résultats, aucun lien de causalité n'a pu être établi entre ces maladies et les pollutions industrielles. « Il existe une forte présomption de ce lien mais cela reste très difficile à prouver scientifiquement  », explique Sylvaine Goix, chargée de mission Santé et Environnement à l'Institut Ecocitoyen, un organisme financé par les collectivités locales qui a montré en 2011 que l'air de Fos-sur-Mer était composé de particules fines à 80 %. 

Comme beaucoup d'habitants, Michel Dufraigne ne sait pas si ces polluants sont responsables de son état de santé. Ce retraité de l'industrie sidérurgique qui était « en première ligne » fait juste « des constatations : quand j'étais encore en activité, plusieurs de mes collègues avaient du mal à respirer et souffraient d'asthme, l'un d'entre eux a même déménagé car ses enfants n'arrêtaient pas de tousser ». Aujourd'hui, Michel Dufraigne souhaite que les travailleurs « constamment dans la pollution tapent du poing sur la table. On leur fait voir les résultats des études mais c'est à eux de réagir ». Dans le centre-ville historique de Fos-sur-Mer, Vasco Rodrigues, 76 ans, souhaite également que les employés s'emparent de cette question. Cet ancien soudeur, né à Lisbonne, au Portugal, a travaillé dans plusieurs industries du Golfe de Fos (Shell, Total, Esso, BP, NaphtaChimie) jusqu'en 2000. Dans les usines, personne ne lui a parlé des risques qu'il encourait quand il soudait des métaux qui dégageaient des gazs et de la fumée : « A l'époque, on ne parlait pas des maladies professionnelles. Nous avions juste des visites annuelles chez le médecin du travail qui nous auscultait. Naphtachimie était la seule entreprise qui nous a demandé de faire des analyses de sang tous les ans pour vérifier le taux de benzène (gaz cancérigène), les autres n'ont jamais rien fait ». Aujourd'hui, Vasco Rodrigues souffre notamment d'arythmie (trouble du rythme cardiaque) et de diabète de type 1.

Sylvie Anane, fos sur mer
Sylvie Anane, 54 ans, habitante de Fos-sur-Mer, souffre de multiples pathologies. 
© Stéphanie Plasse / TV5MONDE

"Nous voulons juste qu'ils se mettent aux normes"

Même si les risques liés à l'exposition aux polluants sont de plus en plus abordés au sein des entreprises, - certains syndicats de travailleurs se sont d'ailleurs manifestés pour soutenir l'ADPLGF dans son action en justice -, la population de Fos-sur-Mer peine à se mobiliser par crainte de voir les usines fermées. Pourtant, Vasco Rodrigues, membre de l' ADPLGF, l'affirme, « personne ne veut que les industries disparaissent, nous voulons juste qu'elles se mettent aux normes ».