Français : "rire de l'orthographe, c'est le désacraliser !"

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écolière heureuse
"Pourquoi "je m'émeus" prend-il un s et "je peux" un "x" ? s'interroge Bernard Fripiat
(thinkstockphotos)
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Avec son livre, Bernard Fripiat tente une mission impossible : réconcilier les amoureux du français avec l'orthographe. Pas gagné. Mais cet historien, auteur et comédien, à une botte secrète : l'humour.

Dans le maquis des règles, exceptions et autre bizarreries de la langue française, Bernard Fripiat est un défricheur iconoclaste. Cet amoureux du verbe, né au pays de Jacques Brel,  tente, Mesdames et Messieurs (et sous vos applaudissements)  une nouvelle voie pour terrasser les règles orthographiques : la rigolade. Non, non, vous lisez bien. Bernard Fripiat mise sur l'humour... pour nous astreindre au sans-faute.

C'est que la langue de Victor Hugo est minée d'illogismes et de pièges divers. Reconnaissons-le : il faut un certain courage aux  apprenants pour posséder parfaitement le verbe tricolore. Et gare aux margoulins : les Francais, toujours si prompts à donner des leçons (et pas seulement d'orthographe) ne supportent pas que leur langue soit maltraitée. C'est ainsi.

Une enquête Ipsos du mois d'août dernier indique que 9 Français sur 10 (88%) se disent choqués par une faute d'orthographe relevée sur un site internet ou un courrier administratif. "Gare aux coquilles !" chanterait aujourd'hui Georges Brassens. 

Ici, au sein du service web de TV5MONDE, nous pouvons  confirmer cette intransigeance : nos lecteurs-internautes ne nous loupent JAMAIS quand fourche notre clavier. Mais cela est si rare, n'est-ce pas...

Bernard Fripiat
Bernard Fripiat anime depuis vingt ans des stages d'orthographe en entreprise.
©Capture d'écran d'une vidéo

Avec son ouvrage Au commencement était le verbe... ensuite vint l'orthographe ! (Editions La librairie Vuibert),  Bernard Friptat s'amuse de nos embarras. Il prend même un malin plaisir, le vilain garnement,  à répondre à 138 questions que nous n'osons même plus nous poser, nous les anciens cancres : "Pourquoi les Français disent-ils "soixante-dix" et les Belges "septante" ? " Pourquoi mettons-nous un "y" à nos yeux ? "Pourquoi avons-nous besoin d'une cédille ?," "Pourquoi les participes passés ?" etc.

A cette dernière question, l'historien, grand gourmand d'anecdotes,  évoque Clément Marot, le poète qui ramena d'Italie l'accord du participe passé avec l'auxiliaire "avoir". Ce qui fit dire à Voltaire : "Clément Marot a ramené deux choses d'Italie : la vérole et le participe passé. Je pense que c'est le second qui a fait le plus de ravages !"

Entretien avec  Bernard Friptat.

Faut-il être Belge (comme vous) ou Suisse ou Québécois pour mieux défendre la langue française ?

C'est vrai qu'en tant que Belge ou Suisse, comme on vit dans un pays où les gens parlent une autre langue, on est peut être un peu plus motivés. On est chaque fois minoritaires dans le pays où l'on vit. Une langue qui disparaît, c'est toute une culture qui part avec ! Et alors, adieu Jacques Brel, Victor Hugo, François Villon, Amélie Nothomb ! Les Grecs défendent leur langue avec force et pourtant, ils sont beaucoup moins nombreux que nous.

Vous animez des stages d'orthographe dans les sociétés. En quoi cela consiste-t-il ?

C'est le développement technologique. Dans les années 1980, un patron ne faisait pas de fautes. Il appelait son assistante, il dictait, elle prenait en sténo, elle tapait, il signait. Le patron ne faisait jamais de faute.

Maintenant, avec l'ordinateur, tout le monde écrit. Vous pouvez être ingénieur mais ne pas être très fort en français. Les règles ne sont pas évidentes. Par exemple, si vous écrivez : "Elle s'est vu(e) couper la route". Si vous mette un "e",  elle est responsable de l'accident, si vous n'en mettez pas, elle n'est pas responsable de l'accident ! Il y a aussi un apprentissage sur la gestion de l'ordinateur. C'est paradoxal. L'ordinateur nous aide mais nous met aussi dedans ! Par exemple, un stagiaire avait écrit " Nous serons là". Si vous mettez deux "r", l'ordinateur ne vous surligne pas : il croit que vous mettez une vis ! Dans un stage d'orthographe, on voit tout ce que l'ordinateur ne voit pas.

Votre livre est imbibé d'humour. C'est la condition nécessaire pour avaler l'orthographe aujourd'hui ?

Aujourd'hui et de tout temps ! Rire d'une matière, c'est la désacraliser et c'est l'apprendre beaucoup mieux ! J'anime des ateliers avec des adultes qui souffrent de l'orthographe et qui le vivent mal. Quand vous riez d'une matière, cela vous permet de l'apprendre beaucoup plus vite. Au mot acompte, qui prend un "c" , vous dites : "c'est normal, quand tu en demandes un, tu es tellement étonné d'en avoir un, tu n'oses pas en demander deux !." Cela fait rire et cela fait retenir.

Quelles sont les fautes qui reviennent le plus souvent ?

Je parle de gens qui travaillent sur ordinateur. Si je faisais une dictée, ce serait autre chose. En un, je dirais les "participes passés". Avec eux, l'ordinateur est largué ! Quand vous écrivez "ma femme que j'ai vu dragué(e)", eh bien si vous mettez un "e", vous avez vu votre épouse draguer quelqu'un.. Si vous ne mettez pas de "e", vous avez vu quelqu'un draguer votre épouse ! Les chances d'être cocu ne sont pas les mêmes dans un cas comme dans l'autre !

Le "language SMS", cela vous inspire quoi ?

C'est une évolution mais cela ne doit pas devenir une règle, tout en sachant tout de même que certaines règles que nous utilisons  ce sont de vieux SMS. L'exemple typique est le "je peux" avec un "x". Les troubadours écrivaient "je peus" avec un "s" et les juristes du XIIIème siècle abrégaient "us" en "x". Ils économisaient le parchemin. Donc, quand dans un vieux manuscrit vous lisez "je pex", cela veut dire "je peusse" (ils prononçaient le "s" jusqu'au XVIème siècle). Et plus tard, quand on a remis le "u", on a gardé le "x" auquel on était habitué. Donc, c'est un peu paradoxal parce qu'on reproche aux gosses de faire des SMS, on les oblige à retenir une règle causé par un SMS vieux de 800 ans !

Acquérir le français et son orthographe est difficile. Vous pouvez comprendre que dans l'espace francophone,  beaucoup de jeunes se découragent ?

C'est vrai que c'est assez difficile. Mais les maths aussi, c'est difficile, et l'informatique ! Mais tout dépend de comment on l'aborde ! Si on l'aborde de manière amusante, je crois que ça passe. Maintenant, il y a d'autres langues qui sont difficiles, on n'est pas les seuls ! Il faut l'aborder avec le rire et sans jugement. Voyez, moi je n'aime pas le terme "faute d'orthographe". Ça va quoi, ce n'est pas un péché, ce n'est qu'une erreur !

Les zéros en dictée ce n'est pas bien. Mais si on dit, attends, tu vas rigoler, c'est marrant, alors là, on peut vaincre les difficultés. L'orthographe, c'est une épine dans le pied. C'est pas mortel mais pour courir, c'est embêtant. On enlève l'épine, et puis on court et puis c'est tout !

Fripiat livre


 Au commencement était le verbe..ensuite vint l'orthographe de Bernard Fripiat (Editions La librairie Vuibert). 232 pages
15,90 Euros















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