France – Afrique : les grandes ambitions d’Alexandre Benalla

Alexandre Benalla a rendez-vous avec la justice française lundi 13 septembre concernant ses fonctions passées. L’ex-Monsieur sécurité du président français Emmanuel Macron à l’Elysée a tourné une page. Reconverti dans le privé, entrepreneur et consultant dans la sécurité d’entreprise et l’intelligence économique, il nourrit de grandes ambitions en Afrique avec une vision décomplexée de la gouvernance politique sur le continent. 

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Alexandre Benalla lors d'une audition devant des sénateurs, le 21 janvier 2019, Paris.
(Reuters)
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En France, Alexandre Benalla est réputé pour être à l’origine du plus gros scandale du quinquennat du président Emmanuel Macron. Il occupe alors le poste de chargé de mission à l’Elysée en tant qu’adjoint au chef de cabinet, son domaine c’est la sécurité, au plus proche du chef de l’Etat français.

Mais le 1er mai 2018, il intervient aux côtés de CRS face à des manifestants. Lui est en civil portant un brassard de police avec un casque des forces de l‘ordre, visière baissée. Benalla s’en prend violemment à deux personnes. Il a 26 ans.

La scène est filmée et les images sont diffusées deux mois plus tard par le journal Le Monde. Son identité révélée par le quotidien déclenche une vague de réactions qui tourne au scandale politique. D’abord suspendu par l’Elysée, il sera licencié fin juillet.

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Scruté de près par les médias comme par les enquêteurs, le personnage semble bénéficier de connections - en particulier policières - pour sa défense, notamment lors d’une perquisition à son domicile. Alors que Benalla est sous le feu des critiques, le chef de l’Etat lui-même lance « S’ils veulent un responsable, il est devant vous. Qu’ils viennent le chercher ! » D’autres faits sont reprochés par la justice à Alexandre Benalla : d’abord pour « violence en réunion » et « port d’arme », mais aussi « faux, usage de faux en écriture et usage public sans droit d’un insigne ».

(Re)lire : France : l’affaire Benalla, cogneur de l’Élysée, tourne à la catastrophe au sommet

Une reconversion dans la « Françafrique » ?

Après l’Elysée, Alexandre Benalla se lance dans autres activités privées celles-la, en tant que consultant et entrepreneur dans le domaine de la sécurité. Dans un entretien au Nouvel Economiste publié en mai 2019, il explique ses ambitions de chef d’entreprise : son terrain d’action, c’est l’Afrique. Naturellement, il prend pied au Maroc, où il a ses origines.

Une reconversion qui s’opère aussi grâce à des réseaux dans le milieu des affaires, des médias et de la politique internationale. Elle passe surtout par ses amitiés avec deux hommes d’affaires français Vincent Miclet et surtout Philippe Hababou Solomon, qui se dit son « mentor » et qui le prend en « apprentissage ».

Ils lui ont apporté une aide financière de 50000 et 15000 euros, poursuit-il, pour le développement de sa propre société Comya, une entreprise de conseil en sécurité d’entreprise et gestion des risques. Il l’a fondée en novembre 2018 au Maroc, mais son objectif est « d’être présent dans les 54 pays d’Afrique » avec « un chiffre d’affaires de 300 à 500 millions d’euros à un horizon de dix ans ». Difficile aujourd’hui d’en évaluer les résultats.

Au-delà des sommes prêtées « modestes », les carnets d’adresse de ses mentors peuvent aussi lui ouvrir des portes. Vincent Miclet, parmi les 500 plus grosses fortunes de France selon Challenges, travaille dans le secteur pétrolier en Afrique, notamment au Gabon et en Angola avant d’en être sorti par le gouvernement.

Philippe Hababou Solomon est un intermédiaire franco-israélien spécialiste de l’Afrique, avec des relations nouées au niveau au plus haut niveau, comme par exemple Jacob Zuma en Afrique du Sud, Idriss Déby au Tchad quand ils dirigeaient leur pays. Il réalise aussi des affaires entre le continent africain et d’autres pays, notamment au Proche et Moyen-Orient comme le Qatar, Israël ou la Turquie.

« Aujourd’hui, les dirigeants africains pactisent avec la Chine et la Russie »

Alexandre Benalla voit grand lui aussi, il veut devenir « le géant européen » de la sécurité en Afrique et en lien avec le Moyen-Orient. Il compte bien s’inspirer de ses amis en assumant leur modèle. « Pour moi, la Françafrique n’est pas un gros mot. Quand on m’interroge sur mes voyages en Afrique avec Vincent Miclet ou Philippe Hababou Solomon, je ne suis en aucune façon gêné. Il faut passer par ces réseaux. »

Et de poursuivre dans le même élan : « Tant mieux s’il y a une Françafrique, tant mieux s’il y a un partenariat entre la France et l’Afrique, tant mieux s’il y a une demande pour ce type de relations. Aujourd’hui, les dirigeants africains pactisent avec la Chine et la Russie en sachant que cela se fait au détriment des intérêts de leur pays, mais ils le font parce qu’ils savent que les Chinois et les Russes ne sont pas embarrassés par les problématiques de bonne gouvernance. Nous, Français et Européens, nous nous plaçons sous le joug de la morale et nous sommes toujours les premiers à nous tirer une balle dans le pied en Afrique ».

Les voyages d’Alexandre Benalla, notamment aux côtés de Philippe Hababou Solomon, l’ont mené dans de nombreux pays africains, notamment fin 2018, le Congo-Brazzaville puis le Cameroun et enfin le Tchad, le 5 décembre, reçu par le président Idriss Déby Itno. Concernant ce dernier voyage, Benalla a utilisé un passeport diplomatique. C’est ce que révèle Mediapart ce qui relance relancé le scandale autour du personnage et des avantages qu’il aurait pu tirer de ses anciennes fonctions à l’Elysée. Le voyage à N’Djamena de Benalla est d’autant plus retentissant qu’il a précédé de deux semaines celui du président français Emmanuel Macron qui a réaffirmé le soutien de la France à l’égard d’Idriss Déby Itno.

Benalla devra répondre plus tard de l’affaire des passeports diplomatiques. Mais l’adversité ne semble pas affecter son tempérament, ni ses ambitions dans la sécurité en Afrique. Vient à présent le temps de la justice.

(Re)lire : Passeports de Benalla : le Parquet de Paris ouvre une enquête pour "abus de confiance"

(Re)voir : Alexandre Benalla soupçonné de "faux témoignage" par la commission du Sénat