Un texte de travail du Parti socialiste français rédigé en vue d'une convention PS sur l'Europe a mis le feu aux poudres de l'amitié franco-allemande. Vendredi 26 avril, Claude Bartolone le président de l'Assemblée nationale parle de "confrontation". Le premier ministre Jean-Marc Ayrault apaise la situation sur son compte Twitter. Mais l'UMP (Union pour un mouvement populaire), parti de la droite française s'en empare aussi et accuse le président François Hollande de dégrader les relations avec Berlin. Nous avons choisi de partir loin d'Europe pour décrypter cette crise, avec le regard de la journaliste camerounaise, germanophone autant que francophone, Marie Roger Biloa, présidente du groupe de presse Africa international.
Le président français François Hollande et la chancelière allemande Angela Merkel lors d'un sommet de l'OTAN en 2012.
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Marie-Roger Biloa
Que pensez-vous des positions de certains socialistes français ces derniers jours à l’égard de la politique d’austérité de l’Allemagne ? Ce sont des positions infâmes, indignes et ce n’est pas la première fois que cela arrive. Arnaud Montebourg (actuel ministre du Redressement productif, ndlr) avait déjà parlé de politique à la Bismarck en faisant référence à Angela Merkel. Très régulièrement dans le discours politique en France, l’Allemagne est montrée du doigt comme responsable de je ne sais quel problème en France. La prospérité allemande est jalousée et ils ont l’impression que les Allemands prennent quelque chose à la France. Les Allemands ne prennent rien du tout. Ils se sont serrés la ceinture, ils ont réformé leur système social, donné de grandes impulsions à une forme de développement économique. Ils exportent, s’adaptent à la nouvelle donne. Les Allemands ont fait les réformes, maintenant ils en récoltent les fruits, c’est une économie plus solide que les autres. Cela leur donne la responsabilité, à partir du moment où ils sont dans l’Union, que ça marche. Mais, ils devraient à un moment donné sortir du discours moral. Il y a une chose que Berlin ne comprend pas c’est que quand on est plus le plus fort dans une union, quand dans une alliance on a des responsabilités, il y a une notion forte de solidarité dans l’Union européenne à maintenir avec les défaillants. Les Allemands ont tendance à l’oublier, à vouloir le sous-estimer en disant qu’ils ne peuvent pas payer pour le monde entier.
Pourquoi l’Allemagne reste-t-elle aussi calme face aux attaques de la France ? Ils sont très imprégnés du sens de leurs responsabilités après les deux guerres qu’ils ont infligés à l’Europe. Cette conscience et ce sens de la culpabilité, de la responsabilité est très fort en Allemagne. C’est lié à leur histoire. Ils se repentent toujours d’avoir été les méchants en Europe. Les Allemands ont accueilli cela avec une forme de philosophie même s’ils sont un peu irrités. Ils ont l’habitude d’être attaqués mais on n’a jamais vu de réactions violentes de leur part. La France, l’Italie ou la Grèce ont passé leur temps à taper sur l’Allemagne mais les réactions ont toujours été modérées. Depuis quand Berlin a-t-elle pris ses responsabilités vis à vis de l’Europe ? Cela a commencé déjà avec l’instauration de l’euro. Ceux qui avaient le plus à perdre, c’étaient les Allemands. Le mark était une monnaie très forte, ils étaient très fiers, c’était le symbole de la réussite allemande après la guerre. C’était le symbole de la reconquête d’un pouvoir économique et de la prospérité. Ils ont sacrifié cette monnaie sur l’autel de l’Union européenne, de l’intégration européenne. Ils se sont dits qu’ils devaient être le moteur de la réconciliation politique et de l'intégration économique de l’Europe. Ils ont connu des périodes difficiles mais ils ont fait ce qu’il fallait. En France, le pays a de la peine à faire les réformes de base. Même Sarkozy qui est arrivé en gesticulant beaucoup – à part quelques réformes et quelques cadeaux pour ses amis les mieux nantis - il n’a pas vraiment réformé l’outil de production en France. Alors quand ils attaquent l’Allemagne, c’est ridicule et contre-productif. Les Allemands insistent beaucoup sur le fait que l’on ne peut pas avancer sans avoir ses comptes en ordre. Pour eux, il faut nettoyer le système, l’assainir. Et les autres ne veulent pas entendre ce discours.
Tweet du premier ministre Jean-Marc Ayrault du 27 avril 2013.
Ces désaccords de politique économique mettent-ils en péril l’amitié franco-allemande ? Le couple franco-allemand ne se disloquera pas pour ça. Chacun parle en direction de son public. Angela Merkel sait que c’est très impopulaire de débloquer des milliards, de financer des économies qui ne sont pas assainies. Les Allemands sont d’accord pour remettre de l’argent quand ils auront l’impression que les autres auront fait les efforts nécessaires. En France, François Hollande dit ce que les Français veulent entendre. Il ne faut pas réduire les prestations sociales, les charges patronales, etc… Ce discours est celui qui est le mieux accepté en France. Hollande s’est habitué à cela. Il parle en direction de ses électeurs. Il n’y aura pas de divisions ou de ruptures. Ça je n’y crois pas une seconde. Nous sommes en période de débat, de frictions mais après le débat va s’ajuster. Ça va être un débat jusqu’à ce que l’Allemagne lâche du leste et la France va aussi faire certaines réformes, réduire les coûts ici et là, jusqu’à ce qu’on trouve un point d’équilibre. Ni la France ni l’Allemagne n’ont envie de quitter l’euro. L’Allemagne trouve beaucoup de bénéfices à être la locomotive de l’Europe car son commerce extérieur se porte bien. target="_blank">60 à 70% de leurs exportations se font dans l’Union européenne, donc ils n’ont pas intérêt à ce que cette machine s’effondre. Il y a des divergences d’opinion. Pour moi c’est un dialogue musclé pour arriver à des compromis. Les attaques françaises à l’encontre de l’austérité allemande sont-elles plus révélatrices des dissensions internes au gouvernement français que des désaccords bilatéraux avec l’Allemagne ? Absolument. Je vois ça comme un discours en direction de l’électorat en France. C’est populaire de taper sur l’Allemagne, c’est bien perçu. Les citoyens lambda estiment que les Allemands ont un discours qui va les pénaliser, avoir un impact négatif sur leurs vies. Mais il n’y aura certainement pas de rupture.
La chancelière Angela Merkel visite une usine allemande / Photo AFP Hendrik Schmidt
Le fait que la France rejette ses difficultés politiques et économiques sur l’Europe peut-il renforcer l’euro-scepticisme et par conséquent faire renaître un populisme dangereux ? Les citoyens européens ne s’identifient pas beaucoup à l’Union européenne. Les politiques, à chaque fois qu’ils le peuvent tapent sur la commission européenne, sur les législations, les règlementations. Ils créent une forme de distance et de séparation qui est complètement malsaine. L’Europe est censée réduire les tensions historiques entre les pays et concevoir un avenir commun. Pour des raisons politiciennes, il est devenu courant de montrer l’Europe du doigt quand on n’arrive pas à régler les problèmes intérieurs. L’Europe devient un bouc-émissaire. Les populismes sont à l’affût. Ce genre de situation en est un terreau idéal. Cela exacerbe les nationalismes et on retombe dans l’individualisme, les micro-nationalismes alors que l’Europe est un progrès contre tout ça. On est dans une période où ces dangers sont importants. En Grèce le racisme est devenu patent, ouvert, officiel, la xénophobie a explosé, les partis d’extrême droite sont importants. L’adhésion a une identité européenne est très faible parmi les Européens. C’est le contraire en Afrique. Il y a une conscience unitaire très forte. Si vous le demandez à un Camerounais ou un Sénégalais, il vous dira qu'il se sent Africain. Ils appellent de leurs vœux une union de l’Afrique. Comment sont vues d’Afrique ces discordes entre la France et l’Allemagne ? Comme une conséquence de la crise. Les États cherchent des bouc-émissaire au lieu de balayer devant leur porte. L’Allemagne est perçue comme un État vertueux où les gens travaillent pour réussir. La France est vue comme un pays qui a beaucoup de prestations sociales, de dépenses où le gouvernement a un train de vie princier. Il y a beaucoup de gaspillage en France. Ce sont des choses auxquelles il faudrait s’attaquer. Mais ce n’est pas perçu comme un conflit capital qui risque de conduire à des ruptures. Pas du tout. C’est le débat normal de pays qui sont en relations étroites.
Invitée de TV5monde : Ulrike Kolterman, journaliste allemande