France : après une longue crise, le gouvernement Barnier voit le jour

Le nouveau gouvernement français dirigé par Michel Barnier compte des personnalités plutôt, voire très marquées à droite, des vieux briscards de la politique comme des jeunes en pleine ascension. Dès son annonce, les réactions n'ont pas tardé. Mélenchon appelle à se "débarasser" de Barnier. Bardella déclare que le gouvernement Barnier "signe le retour du macronisme" et "n'a aucun avenir".

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Michel Barnier le 5 septembre 2024 à Matignon.

Michel Barnier le 5 septembre 2024 à Matignon.

© Stephane de Sakutin/Pool Photo via AP
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Emmanuel Macron a nommé ce 21 septembre les 39 membres du gouvernement de Michel Barnier, marqué à droite avec notamment Bruno Retailleau à l'Intérieur, fruit d'une fragile coalition entre le camp présidentiel et Les Républicains pour tenter de clore la plus grave crise politique de la Ve République. Voici les principaux visages de ce nouveau gouvernement.

Bruno Retailleau, un conservateur radical à l'Intérieur

Figure d'une droite libérale-conservatrice inflexible, Bruno Retailleau, 63 ans, prend un ministère clé avec lequel il entend bien mettre en oeuvre son triptyque favori : "ordre", "autorité" et "fermeté".
Sénateur de Vendée (ouest), terre conservatrice et catholique par excellence, Retailleau affiche des convictions très droitières, sur le mariage homosexuel, l'avortement ou la fin de vie. Concernant l'immigration, un de ses chevaux de bataille, il est partisan d'une politique dure.
"Il n'y va pas (au ministère de l'Intérieur, ndlr) pour faire une politique centriste, c'est sûr. Il va y aller franco", prévient un sénateur centriste.
Ses compagnons de droite assurent cependant que l'homme "sait s'arrondir" et être "à l'écoute".

Didier Migaud, ex-député socialiste, nouveau ministre de la Justice

Didier Migaud, le 15 avril 2024.

Didier Migaud, le 15 avril 2024.

© Ludovic Marin, Pool via AP

Vieux routier de la politique et du service de l'État, Didier Migaud, 72 ans, est un expert des questions budgétaires : il a présidé la Cour des Comptes pendant dix ans avant de veiller, depuis début 2020, à la probité des élus à la tête de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).
Parmi les membres du gouvernement Barnier, Didier Migaud est le seul à venir de la gauche même s'il a quitté la politique active depuis 2010.
Premier dans l'ordre protocolaire, il succède à l'ancien pénaliste proche d'Emmanuel Macron, resté quatre ans à la Chancellerie et maintenu à son poste malgré une mise en examen - qui a abouti à une relaxe.

Geneviève Darrieussecq, une médecin centriste au chevet de la Santé

Geneviève Darrieussecq en avril 2023, quand elle était ministre déléguée chargée des personnes handicapées.

Geneviève Darrieussecq en avril 2023, quand elle était ministre déléguée chargée des personnes handicapées.

© Yoan Valat/Pool via AP

Cette fidèle de François Bayrou prend les rênes du ministère de la Santé et de l'Accès aux soins, un secteur en souffrance où la confiance des professionnels s'étiole. Elle a commencé sa carrière au début des années 80 comme médecin allergologue à Mont-de-Marsan, en libéral et à l'hôpital. Elle préside de 1998 à 2001 l'association nationale des médecins allergologues. Cette fan de rugby entre en politique en 2004 comme conseillère régionale d'Aquitaine sous les couleurs de l'UDF (qui deviendra Modem en 2007), avant en 2008 de ravir la mairie de Mont-de-Marsan à la gauche, qui la détenait depuis 46 ans. Nommée secrétaire d'État aux Anciens combattants dans le gouvernement d'Edouard Philippe, puis promue ministre déléguée par Jean Castex, elle met fidèlement en oeuvre pendant cinq ans la feuille de route mémorielle du président Macron dont les dossiers sensibles liés à l'Algérie. En 2022, elle est ré-élue à l'Assemblée nationale et retourne au gouvernement, cette fois comme ministre déléguée chargée des personnes handicapées, un poste qu'elle conservera jusqu'en juillet 2023. Jugée affable et accessible par ses partisans, elle se voit reprocher des manières cassantes, voire autoritaires par ses détracteurs.

Jean-Noël Barrot, la fulgurante ascension au Quai d'Orsay

Le nouveau chef de la diplomatie française, 41 ans, connaît une ascension rapide, après être passé du Numérique à ministre délégué à l'Europe.
Fils de l'ancien ministre et commissaire européen Jacques Barrot, il a reçu en héritage d'être "un Européen convaincu".
Si certains diplomates estiment qu'il "vit sur la réputation de son père", d'autres concèdent qu'il a su imprimer discrètement sa marque notamment au moment de la campagne des élections européennes, au printemps dernier. Au Quai d'Orsay, il "va devoir travailler beaucoup de dossiers en un temps record", prédit un diplomate. Et "s'imposer", car "c'est un poids plume dans la jungle des relations internationales".

Rachida Dati, l'insubmersible, garde la Culture

Rachida Dati, le 18 juin 2024

Rachida Dati, le 18 juin 2024

© Ludovic Marin, Pool via AP

Très connue dans l'opinion publique en raison de son langage fleuri et ses piques mordantes, Rachida Dati, ex-protégée de l'ancien président de droite Nicolas Sarkozy, est une figure insubmersible de la scène politique française.
Le président Macron avait fait un "coup" médiatique et politique en la faisant revenir sur la scène nationale au poste de ministre de la Culture dans le gouvernement de Gabriel Attal. Elle est l'une des deux seules personnalités du précédent gouvernement à conserver son poste.

Sébastien Lecornu, le soldat de Macron

Sébastien Lecornu le 16 juillet 2024

Sébastien Lecornu le 16 juillet 2024

© AP Photo/Aurelien Morissard

Discret mais fin politique, fidèle du président, le ministre des Armées Sébastien Lecornu conserve son portefeuille auquel viennent s'ajouter les Anciens combattants, et reste un des rares à bénéficier d'un budget en forte hausse, sur fond de tensions internationales. "Lecornu, c'est le bon soldat qui par ailleurs n'a pas trop de charisme ni d'avenir présidentiel" susceptible de faire de l'ombre à Emmanuel Macron, dont il a activement animé la campagne présidentielle de 2022, relevait en début d'année un conseiller ministériel. Propulsé au gouvernement en 2017 à seulement 31 ans, l'homme politique issu du camp de droite est passé par l'Ecologie, les Collectivités, l'Outre-mer, avant d'hériter du portefeuille stratégique des Armées.

Antoine Armand, à seulement 33 ans, ministre de l'Économie et de l'Industrie

Ce député Renaissance de Haute-Savoie, énarque, a commencé sa carrière, en tant qu'inspecteur des finances. En 2021, il devient responsable départemental d'En Marche en Haute-Savoie, d'où est originaire son grand-père, le résistant et haut-fonctionnaire Louis Armand. Spécialiste des questions énergétiques, le député savoyard avait été élu président de la Commission des affaires économiques à l'Assemblée nationale en juillet dernier. C'est un ardent défendeur du nucléaire.

Anne Genetet, la surprise à l'Education nationale

La députée macroniste Anne Genetet, jusqu'ici connue pour ses travaux sur la défense et la diplomatie, a été propulsée à la tête du ministère de l'Education nationale, la sixième titulaire du portefeuille en sept ans.
Médecin puis journaliste, employée dans le privé puis députée... A 61 ans, Anne Genetet, inconnue du grand public et des enseignants, s'apprête à découvrir l'une des administrations les plus exigeantes de l'État.

Laurent Saint-Martin, nouveau ministre du Budget et des Comptes public, un fidèle de Macron

À 39 ans, cet élève modèle de la Macronie a connu une ascension fulgurante depuis son élection comme député du Val-de-Marne en 2017, dans une circonscription longtemps acquise à la gauche.
Bien mis et urbain, regard bleu ciel, diplômé d'une école de commerce du top 5 passé par un think tank tendance gauche strauss-kahnienne : Laurent Saint-Martin incarne une certaine idée du "nouveau monde" en se défendant de toute arrogance. Membre du bureau exécutif de La République en Marche, il est choisi comme tête de liste francilienne du parti présidentiel aux élections régionales de 2021, après que le ministre de l'Education nationale Jean-Michel Blanquer, longtemps pressenti, eut renoncé.

La macroniste Astrid Panosyan-Bouvet, ministre du Travail et de l'Emploi

Ancienne adhérente PS, cette proche d'Emmanuel Macron et cofondatrice d'En Marche en 2016 est une ex-dirigeante de sociétés du CAC40. Celle qui va succéder à Catherine Vautrin s'est récemment opposée à la réforme de l'assurance chômage portée par Gabriel Attal.
Elle "a beaucoup travaillé les questions de travail et nous a régulièrement consultés, c'est donc quelqu'un de connu qui sait travailler avec les partenaires sociaux", a déclaré la CFDT après la nomination. Elle s'est opposée sans ambages à la réforme de l'assurance chômage portée par Gabriel Attal, estimant que "l'urgence" n'était pas de "réformer l'assurance chômage" mais de "rendre attractifs les métiers qui ne le sont pas" et de "lever les freins centraux à l'emploi - formation, transport, logement, garde d'enfants".

Marc Ferracci, un proche de Macron, nommé ministre délégué à l'Industrie

L'élu Renaissance de 46 ans est placé sous la tutelle du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, Antoine Armand. Jusque-là vice-président du groupe majoritaire à l'Assemblée nationale, ce diplômé d'HEC et docteur en sciences économiques a été le co-auteur du programme pour l'emploi du candidat Macron en 2017 et conseiller spécial de Muriel Pénicaud rue de Grenelle, où il a inspiré les ordonnances travail et la première réforme de l'assurance chômage.
Dans un communiqué publié samedi, son prédécesseur à l'Industrie Roland Lescure a jugé que "l'industrie française (était) entre de très bonnes mains" avec la nomination de Marc Ferracci.
"Le Rassemblement national est plus fort que jamais et je reste convaincu que la réindustrialisation est une arme contre le populisme."

Valérie Létard nommée ministre du Logement et de la Rénovation urbaine 

Cette figure centriste, ancienne vice-présidente du Sénat et proche de Jean-Louis Borloo succède à Guillaume Kasbarian à ce portefeuille souvent qualifié de "bombe sociale". La native du Nord, née en 1962 entre Lille et Valenciennes, a été élue députée UDI de la 21e circonscription du Nord en juillet, avec 51,5% des voix, en battant sa concurrente RN grâce au désistement du candidat LFI arrivé troisième.

La députée Horizons de Seine-Maritime Marie-Agnès Poussier-Winsback nommée à l'Economie sociale et solidaire

Agée de 57 ans, la native de Nancy siégeait depuis 2022 à l'Assemblée nationale et a conservé son mandat lors des élections législatives anticipées de l'été.
Elue maire de Fécamp en 2014 et conseillère municipale depuis son élection comme députée en 2022, Marie-Agnès Poussier-Winsback travaillera auprès du nouveau ministre de l'Economie et des Finances Antoine Armand. Elle succède à Bercy à la députée Renaissance de Paris Olivia Grégoire, chargée notamment de l'Economie sociale et solidaire dans le gouvernement de Gabriel Attal.

Gil Avérous, nouveau ministre des Sports, de la Jeunesse et de la Vie associative

Le maire de Châteauroux (Indre) et président de l'association Villes de France, Gil Avérous, a été nommé ministre des Sports, de la Jeunesse et de la Vie associative, succédant à Amélie Oudéa-Castéra au sortir des Jeux olympiques de Paris, a annoncé samedi l'Elysée.
Gil Avérous, 51 ans, est maire de Châteauroux depuis 2014 et sa ville a accueilli durant les JO les épreuves de tir. Amélie Oudéa-Castéra était ministre des Sports depuis mai 2022. Nommée également ministre de l'Education en janvier 2024, elle avait dû démissionner un mois plus tard après des propos controversés sur l'école publique.

François Durovray, président LR de l'Essonne, nommé ministre délégué des Transports

Ce père de famille de 53 ans préside la communauté d'agglomération Val d'Yerres Val de Seine, qui regroupe neuf communes au sud de Paris. Ancien maire de Montgeron, il est membre du parti Les Républicains (LR). Il s'est vivement opposé à l'alliance de LR avec le Rassemblement national (RN) lors des dernières législatives, qualifiant de "honte" le ralliement d'Eric Ciotti et appelant à la démission du président contesté du parti. Fidèle de Xavier Bertrand, François Durovray est délégué régional pour l'Ile-de-France du mouvement "Nous France" fondé par le président des Hauts-de-France.
Il est également membre du conseil d'administration d'Ile-de-France Mobilités, l'autorité organisatrice des transports franciliens, et du conseil de surveillance de la Société des grands projets (SGP, ex-Société du Grand Paris). Dans le gouvernement, il est placé auprès de la ministre du Partenariat avec les territoires et de la Décentralisation, issue de la même famille politique, Catherine Vautrin.

Catherine Vautrin quitte la Santé et le Travail pour les Territoires

Catherine Vautrin, lors des célébrations de l'appel du 18 juin au Mont Valérien, entourée de Gérard Larcher à sa droite et Rachida Dati à sa gauche.

Catherine Vautrin, lors des célébrations de l'appel du 18 juin au Mont Valérien, entourée de Gérard Larcher à sa droite et Rachida Dati à sa gauche.

© AP Photo/Ludovic Marin

Cette proche de Nicolas Sarkozy, ex-ministre sous Jacques Chirac, avait rejoint en janvier le gouvernement de Gabriel Attal après s'être vu barrer la route de Matignon en 2022 pour avoir participé à la mobilisation contre la loi ouvrant le mariage aux personnes de même sexe. Depuis janvier, la ministre de 64 ans a notamment porté en première ligne le projet de loi fin de vie, dont l'examen a été stoppé net à l'Assemblée par la dissolution, et défendu la réforme de l'assurance chômage, voulue par Gabriel Attal, elle aussi en suspens. 

Dès le départ, les syndicats s'étaient montrés dubitatifs sur son ministère élargi. Huit mois après, côté travail comme sur le volet santé, Frédéric Valletoux, elle laisse des partenaires sociaux parfois restés sur leur faim. Côté travail, "elle n'a rien imprimé du tout", pestait ces derniers jours auprès de l'AFP un responsable syndical. Sur ce champ, la délicate réforme de l'assurance chômage, aujourd'hui en suspens, a notamment été pilotée depuis Matignon.

Othman Nasrou, un cadre franco-marocain de LR chargé de la lutte contre les discriminations

Othman Nasrou, cadre LR de 37 ans né au Maroc, qui a fait de la lutte contre la "ghettoïsation" de certains quartiers à Trappes (Yvelines) sa priorité, a été nommé secrétaire d'Etat chargé de la Citoyenneté et de la Lutte contre les discriminations.
Historiquement proche de Valérie Pécresse, le vice-président de la région Île-de-France et premier secrétaire général délégué du parti est né au Maroc en 1987. Ancien élève au lycée français de Casablanca, il poursuit ses études en France, où il est diplômé d'HEC. Naturalisé Français en 2012, il est parachuté à Trappes, dans les Yvelines, pour faire ses armes politiques dans cette commune, qui a notamment été marquée par la montée de l'islam radical.

La nouvelle équipe strictement paritaire entre hommes et femmes, composée de 19 ministres de plein exercice, 15 ministres délégués et cinq secrétaires d'État, se réunira autour d'Emmanuel Macron lundi à 15H00 pour son premier Conseil des ministres.