Fil d'Ariane
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La solitude, l'isolement et la fin de ces lieux de sociabilité avec la pandémie, pèsent sur ces hommes. Et la tentation du retour est grande. « Je veux rentrer chez moi, revoir mes enfants à Tunis », avoue ainsi Ali Ghandri. L’homme vit dans le quartier de La Chapelle, dans le 18ème arrondissement, dans une chambre. « Ma santé est partie ici dans le travail. J’ai des problèmes aux poumons et un médecin me suit. Il faut que je règle mes affaires ici et je rentrerai chez moi », avoue, exaspéré, l’ancien ouvrier. « On est en contact avec la famille en Tunisie. Mais que raconter ? », décrit Mabrouk Halmous qui fut un temps maçon en France. « Je serais bien dans mes terres avec ma famille en train de cultiver ma terre. Je suis obligé de rester ici. Il y a toujours un rendez-vous administratif ou un rendez-vous médical », ajoute l'homme originaire du sud de la Tunisie.
Je n’ai pas pu rentrer chez moi. Les frontières étaient alors fermées entre la France et la Tunisie. Et je n’ai pas pu assister aux funérailles de ma femme à Tunis.Ali Ghandri, 77 ans, chibani de Paris
La fermeture des frontières entre les pays du Maghreb et les pays de l’espace Schengen, dont la France, lors du premier confinement ont compliqué les choses pour les chibanis. C'est ce qu'indique la directrice de l'association Ayyem Zamen, Maïa Lecoin. « Des personnes se sont retrouvées bloquées au pays et n’ont pas pu rentrer en France. Dans leur pays d'origine elle n’ont pas forcément les mêmes dispositifs médicaux qu’en France où se trouve leur médecin traitant et où elles connaissent les hôpitaux», décrit la responsable associative. « Et de l’autre côté, en France, on a des personnes qui ont l’habitude de voir leur famille tous les trois ou quatre mois dans le pays et là elles n’ont pas pu revoir leurs proches, avec la fermeture des frontières. Cela a été très compliqué, très difficile à gérer psychologiquement pour toutes ces personnes », ajoute Maïa Lecoin.
L’administration française doit-elle revoir son dispositif d’aide face à cette volonté de rentrer dans le pays de nombreux chibanis ? Il faut effectivement rester six mois et un jour en France pour pouvoir percevoir l’ASPA, le minimum vieillesse (900 euros par mois environ). Ils sont nombreux à réclamer une réforme des ces conditions de résidence. « Je reste ici sinon je perds mes revenus. J’ai perdu d’une certaine manière ma liberté. On avait promis de changer les choses mais rien n’a changé. Nous sommes abandonnés », affirme dépité et amer Mabrouk Halmous qui rêve toujours de vivre ses derniers jours avec sa retraite près de ses terres agricoles à Tataouine.
« Les droits à la retraite sont exportables mais pas l'ASPA », précise Maïa Lecoin la directrice de l’association Ayem Zamen. La plupart de ces hommes ont eu des parcours professionnels accidentés avec des salaires assez bas et ils sont nombreux à dépendre de cette allocation de solidarité. Dans une circulaire du 19 mars 2020, la CNAV (Caisse nationale d'assurance vieillesse) a réaffirmé de façon assez ferme ce principe de six mois et un jour en France.
La Caisse nationale d'assurance maladie aura une attention particulière sur ces situations. Néanmoins, il faut conserver le billet d’avion et/ou avoir l’entrée et la sortie sur le passeport.Extrait d'un courrier de la CNAV adressé à l'association
Mais la fermeture des frontières pendant plusieurs mois au début de la pandémie, entre le Maghreb et les pays de l'Union européenne, a rendu ce principe inapplicable. « Vu que les frontières ont été un temps fermées, les personnes n’ont pas pu respecter ces conditions de résidence en France. J’espère que l’administration aura un œil bienveillant sur des circonstances qui dépassent la seule volonté de la personne », explique Maïa Lecoin.
La CNAV, dans un courriel daté du 23 mars 2020 envoyé à l’association, s’est dite prête à prendre en considération les circonstances de cette situation sanitaire exceptionnelle. « La CNAV aura une attention particulière sur ces situations. Néanmoins, il faut conserver le billet d’avion et/ou avoir l’entrée et la sortie sur le passeport. Ces informations seront nécessaires pour distinguer les vraies situations des fausses », écrit la caisse de la Sécurité sociale française.
Le coronavirus ne fait qu'éclairer depuis de nombreuses années les difficultés matérielles des chibanis selon l'association. Ils font tout pour rester six mois en France, quitte à vivre dans des conditions matérielles extrêmement difficiles. La question du logement reste problématique. « Certains vivent dans des petits logements, d'autres dans des hôtels meublés et certains se sont retrouvés à la rue », dénonce Maïa Lecoin de Ayyem Zamen.
L’association Ayyem Zamen pointe les manquements dans le traitement de ces publics fragiles lors de la pandémie. « Nous n’avions pas de masques. Et il était difficile de rompre l’isolement de ces personnes en leur rendant visite », décrit la directrice de l’association. Un autre problème s’est posé. « La plupart de ces personnes n’ont pas compris les messages de prévention, les gestes barrières. Pour sortir, ils (les chibanis) avaient besoin d’attestation mais ils n’avaient aucun moyen pour les imprimer. Et certains d’entre eux ne savent ni lire ni écrire. Ils se sont fait verbaliser par la police », constate la membre de Ayyem Zamen Maïa Lecoin.
Pour certains, l’argent n’est désormais plus une condition pour rester. L’isolement est devenu trop dur à supporter. C’est le cas d’Ali Ghandri, 77 ans, originaire de Tunis. « Je sais que je vais perdre de l’argent si je pars. Mais tant pis, je préfère rentrer pour voir les miens ».