Fil d'Ariane
Ils viennent du Soudan, de l'Erythrée, d'Afghanistan, d'Irak. Ces personnes exilées essaient de traverser la Manche pour aller au Royaume-Uni. à Calais, l'histoire se répète. "Ces flux migratoires ne sont pas nouveaux : cela fait près de 30 ans qu'il y a des populations en transit" rappelle Matthieu Tardis, chercheur à l'Institut français des relations internationales (IFRI) et spécialiste des migrations. "Ce phénomène varie, avec des périodes où il y a plus ou moins de personnes, mais il ne s'est jamais arrêté". Le Royaume-Uni attire ces populations exilées pour plusieurs raisons.
La première est géographique : "c'est le meilleur moyen de traverser et aller en Angleterre. Auparavant, les personnes passaient par le tunnel de la Manche, puis par le ferry" résume Matthieu Tardis. "Mais ces dernières années, les contrôles se sont renforcés. Il y a eu la sécurisation du port de Calais (Pas-de-Calais) et de l’Eurotunnel. La conséquence est qu'il y a de plus en plus de traversées irrégulières".
Sur ce point, les chiffres sont éloquents. La préfecture maritime de la Manche et de la mer du Nord répertorie le nombre de personnes ayant tentées de rejoindre le Royaume-Uni en traversant la Manche. En 2018, elles étaient 600. Cette année, elles sont 18 000.
Une autre raison est historique. De nombreuses communautés sont déjà implantées au Royaume-Uni et assurent un point de chute pour les nouveaux arrivants. Par ailleurs, l'anglais est davantage parlé que le français dans le monde. "À cela s'ajoute la non-attractivité de la France", affirme Matthieu Tardis. "Les conditions d'accueil restent difficiles. Un demandeur d'asile sur deux est dans un centre adapté. Les autres sont dans un centre d'hébergement d'urgence. Ils sont logés par des associations ou des particuliers. Certains se retrouvent à la rue".
Matthieu Tardis, chercheur à l'Institut français des relations internationales et spécialiste des migrations
Expulsions, confiscation des affaires par la police, blocages administratifs ... les conditions d'accueil en France ne freinent pourtant pas les flux migratoires. Alors, pourquoi ne pas les améliorer ? "Les politiques ont peur de l'appel d'air, c'est-à-dire que si l'on crée de trop bonnes conditions d'accueil, cela va faire venir des migrants" affirme Matthieu Tardis. "C'est la politique menée par tous les gouvernements depuis vingt ans". Pourtant, les exilés continuent de venir. Simono Rain milite au sein de la Cabane juridique. Cette association dénonce les pratiques illégales et/ou abusives des institutions en France. "La préfecture prétend que les expulsions servent à mettre les exilés à l'abri, mais ce n'est pas une solution" témoigne-t-elle. "La majorité des migrants redoutent d'y être contraints à demander l'asile parce qu'ils sont dublinés".
La préfecture prétend que les expulsions servent à mettre les exilés à l'abri, mais ce n'est pas une solution.
Simono Rain, de l'association la cabane juridique
Les accords de Dublin entraînent l'expulsion d'un demandeur d’asile s'il a déjà été enregistré dans un autre État-membre. "On amène ces personnes vers une impasse juridique" insiste Simono Rain. Le problème se situe à un niveau français et européen. "L'enjeu fondamental aujourd'hui est d'adjoindre à Dublin un mécanisme de répartition plus solidaire entre les pays" avance Matthieu Tardis. La situation des exilés à Calais est aussi une responsabilité britannique. "Il faudrait des discussions sur l'ouverture de voies migratoires légales entre la France et le Royaume-Uni".
Didier Leschi, à la tête de l'OFII, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, et envoyé par le gouvernement en réponse à la grève de la faim a promis de nouvelles mesures à Calais. "L’État ne peut pas laisser s'organiser sciemment une base de départ clandestine vers l'Angleterre, alors que les gens risquent, en plus, leur vie en traversant la Manche", déclare-t-il.
L’État ne peut pas laisser s'organiser sciemment une base de départ clandestine vers l'Angleterre, alors que les gens risquent, en plus, leur vie en traversant la Manche
Didier Leschi, directeur général de l'OFII
Parmi les annonces faites cette après-midi, la proposition systématique d'un hébergement aux exilés qui le demandent, dans le Pas-de-Calais ou dans les Hauts-de-France (nord) mais pas à Calais. Il assure aussi l'arrêt des évacuations par surprise et un délai "d'environ 45 minutes" laissé aux migrants pour réunir leurs affaires. "Il faut voir le fond de ces mesures : l'hébergement est pour combien de temps ? Pour faire quoi ? Avec quel accompagnement ? L'application du règlement de Dublin va-t-il être suspendu ?" demande Matthieu Tardis.
En attendant, les associations à Calais ont refusé les propositions de Didier Leschi. Dans un communiqué, elles font appel directement au président français, Emmanuel Macron, et déclarent :"nous ne refusons pas le dialogue mais nous ne négocierons pas des propositions infaisables, illégales et hypocrites". Demain, Philippe, Anaïs et Ludovic entameront leur 24e jour de grève.