France : « ce que l’on vit est terrible », le désespoir de la diaspora algérienne

Début juin, l’Algérie s’ouvrait à nouveau au monde, quinze mois après avoir fermé ses frontières aériennes, terrestres et maritimes. Pourtant, la réduction drastique des vols entre Paris et Alger et les conditions strictes d’accès au territoire empêchent encore aujourd’hui de nombreux Algériens ou binationaux de se rendre au pays. Au sentiment d’incompréhension se mêlent aujourd’hui la tristesse et la colère. À Montreuil, une agence spécialisée dans les voyages vers l’Afrique et le Maghreb accueille quotidiennement ces personnes désespérées. Reportage.

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© Anne-Sophie Pieri
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« Voir des familles dans une telle situation me brise le coeur ». Depuis huit ans, Hassan est le gérant de l’agence de voyage SAV-AIR à Montreuil, dans un quartier où réside majoritairement une population immigrée, et notamment algérienne. Des habitués du voisinage passent régulièrement, comme Abbas, 80 ans, dans l’espoir de trouver un trajet disponible pour Alger. Plusieurs fois par semaine, elle se rend aussi aux aéroports Charles de Gaulle ou Orly pour demander directement au guichet s’il y a des places pour des vols. Depuis la mort de sa belle-soeur, il y a quinze jours, elle essaye par tous les moyens d’aller en Algérie. Une quête devenue presque impossible. « Si j’arrive à repartir là-bas, je veux rester y mourir » dit-elle, en larmes.

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Les bureaux de la compagnie Air Algérie à Paris et Marseille ont fermé, le 31 mai dernier, pour des « raisons sanitaires et sécuritaires ». De leur côté, les agences de voyages comme ici, SAV-AIR, ne sont pas habilitées à vendre des billets. Seules certaines compagnies aériennes proposent de les acheter en ligne. Mais la génération d'Abbas et son mari, Meriki, 90 ans, ne comprend pas internet. Hassan connaît ce couple, un parmi tant d’autres venant le voir plusieurs fois par semaine : « en passant devant la boutique, les gens voient le logo ‘Air Algérie’ et pensent pouvoir acheter leur voyage ici. Cela fait des semaines que nous vivons cette situation » affirme-t-il.

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Des sites bloqués

Par ailleurs, savoir prendre des billets en ligne ne suffit pas. La plupart du temps, les internautes tombent sur un message d’erreur au moment de les commander. Ils sont ainsi des milliers à avoir passé des nuits blanches à rafraîchir les pages. « Certains ont même installé une extension sur Google Chrome pour qu'elles s’actualisent automatiquement » explique Hassan. « Obtenir un billet relève soit de la loterie, soit de connaissances personnelles ». Avoir des relations haut placées, politiquement ou économiquement, aiderait à l’obtention du précieux sésame.

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Selon l’INSEE, ils seraient environ 800 000 Algériens à vivre en France. Quelques vols de rapatriement décollent chaque semaine vers Alger, contre plusieurs dizaines habituellement. « L’avion qui est parti cette semaine était quasiment vide » témoigne Inès, employée à l’aéroport Charles de Gaulle, venue à l’agence avec sa mère, Ladja. « C’est incompréhensible, vu que la demande est énorme ». Ladja avait pourtant réussi à trouver un vol Air France le 25 juin dernier, mais il a été annulé sans raison quelques jours auparavant. Le 9 juillet dernier, certains passagers ont appris que leur trajet était supprimé seulement une fois arrivés à l’aéroport. « Sur le site il y a des vols pour septembre, mais moi, j’ai arrêté de les vendre. Je ne veux pas donner de l’espoir à mes clients et qu’au dernier moment ils se retrouvent dans cette situation​ » déplore Hassan.

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Cela fait trois ans que Ladja n’est pas allée en Algérie. Elle veut rendre visite à sa mère, malade. « Elle a 77 ans et a des problèmes respiratoires qui n’ont rien à voir avec le COVID. Elle est allée à l’hôpital mais on l’a renvoyée chez elle. En ce moment, elle souffre et je ne peux rien faire. S’il arrive quelque chose avant que je puisse aller là-bas… ». Sa voix s’étouffe dans un sanglot. Plusieurs de ses amis ont perdu des proches sans pouvoir se rendre à leur enterrement. En moyenne, une dizaine d’Algériens ou de binationaux passe chaque jour dans l’agence d’Hassan. « Naissance, maladie, enterrement, mariage… j’ai vu tous les cas de figure. Et à chaque fois, j’affronte le désespoir de ces personnes ». Ladja serait prête à payer plus cher pour partir. Elle est loin d’être la seule, selon Hassan. « Il y a quelques jours, une femme est venue me supplier de trouver un moyen d’aller en Algérie, peu importe le prix. Vous vous rendez compte ? ». 

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Des billets hors de prix

Pour les quelques chanceux qui arrivent à prendre un billet, il faut débourser autour de 600 euros pour un aller simple, contre environ 500 euros aller-retour en temps normal au mois d'août. Pour la majorité des binationaux, les vacances d’été sont les retrouvailles avec la famille. Ils sont 100 000 en France à les passer « au bled ». Pour la deuxième année consécutive, ils savent qu’ils resteront une nouvelle fois en France. C’est le cas de Salima, dont la majorité des proches habite à Alger. « Je comprends les mesures vis-à-vis de la pandémie. Je suis vaccinée contre le COVID, même si je n’étais pas vraiment pour, afin de pouvoir aller voir la famille. C'est incompréhensible qu’on ne puisse toujours pas y aller ».

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Salima ressent de la colère, de l’injustice vis-à-vis des mesures prises par le gouvernent algérien. « Ils nous privent de quelque chose qui est nécessaire, vital. Nous empêcher de voir notre famille, c’est terrible. Ce que nous vivons est horrible ». Un sentiment partagé par Inès et Ladja. « Pourquoi est-ce si compliqué d'aller dans ce pays ? Pourquoi les conditions sont-elles beaucoup plus strictes qu’en Tunisie ou au Maroc par exemple ? ». Des questions restées sans réponse. Théoriquement, il est possible d’aller en Algérie, muni d’un test PCR de moins de 36 heures suivi de cinq jours de quarantaine dans un hôtel à l’arrivée sur le territoire. Seuls les étudiants et les personnes âgées à faibles revenus sont exemptés des frais. Pour Salima, la raison est plus politique que sanitaire. « La pandémie est utilisée pour empêcher les entrées dans le pays, et surtout, pour faire taire les gens ».

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