Évacuée depuis lundi 24 octobre 2016, la « Jungle » de Calais est quasiment vide quatre jours après. Les migrants rejoignent les centres d'accueil et d'orientation dans plusieurs communes de France. Comment appréhendent-elles leur arrivée ? Témoignages des maires de Sainte-Ménehould et de Charleville-Mézières dans la région Grand Est.
Lundi 24 octobre 2016, la « Jungle de Calais », le plus grand bidonville de France, a commencé à être démantelée, sur décision des pouvoirs publics. Les migrants volontaires prennent, depuis, la direction de centres d’accueil et d’orientation (CAO), répartis sur tout le territoire, notamment en Champagne-Ardenne, dans l’Est de la France.
« Quinze Soudanais et un Tchadien sont arrivés dès lundi (24 octobre) soir », indique Bertrand Courot, maire (divers droite) de Sainte-Ménehould dans le département de la Marne.
« Nous étions présents avec le sous-préfet, Monsieur Gaudin, pour les accueillir », ajoute-t-il.
Ici, les autorités ont mandaté l’association « Jamais seul » pour gérer l’arrivée des migrants :
« C’est l’Etat qui décide, nous sommes facilitant, mais nous pouvons apporter un plus là où c’est nécessaire », explique le maire. Ce qui a été le cas dès la sortie du bus : la municipalité n’ayant été informée de la nationalité des migrants et de la langue pratiquée – en l’occurrence ni le français, ni l’anglais – seulement quelques heures avant d’arriver,
« un citoyen de notre commune s’est donc spontanément proposé pour jouer le rôle d’interprète », se réjouit-il.
Commune de Charleville-Mézières
- Département des Ardennes
- Région du Grand Est de la France
- 49 000 habitants
- Maire : Boris Ravignon (Les Républicains)
Commune de Sainte-Ménehould
- Département de la Marne
- Région du Grand Est de la France
- 5000 habitants
- Maire : Bertrand Courot (Divers droite)
A Charleville-Mézières, dans le département des Ardennes, c’est une autre histoire. Vingt-huit migrants ont rejoint la commune mardi 25 octobre au soir… sans la présence du maire.
« Lundi midi, le préfet des Ardennes m’a informé qu’une vingtaine de migrants arriveraient le lendemain et seraient logés dans un foyer de travailleurs géré par l’association Aftar, active sur le territoire », rapporte Boris Ravignon, maire « Les Républicains » de la ville.
« Nous ne sommes pas impliqués dans ce processus et surtout nous avons été mis devant le fait accompli », affirme-t-il.
« Nous avons déjà de très grandes difficultés d’emploi pour la population locale. Sans parler des problèmes de logement et des prises en charge sociales. » Pour et contre
Pas favorable à l’accueil des migrants de la « Jungle de Calais », le maire de Charleville-Mézières – 49 000 habitants – évoque des raisons économiques et sociales :
« Avec un taux de chômage deux ou trois points supérieurs à la moyenne nationale, nous avons déjà de très grandes difficultés d’emploi pour la population locale. Sans parler des problèmes de logement et des prises en charge sociales. » Boris Ravignon ne s’oppose pas pour autant à l’accueil de personnes en difficulté sur son territoire :
« Notre ville essaye d’être aussi fraternelle et solidaire que les conditions nous le permettent ». En 2015, la municipalité a d’ailleurs répondu favorablement à l’Etat pour recevoir des réfugiés syriens,
« des personnes à qui on a accordé le droit d’asile et que les autorités jugent en danger vital dans leur pays », souligne-t-il.
Dans le cas de Calais, Boris Ravignon considère ne pas être face à la même situation, avec des migrants qui souhaitent pour la majorité, selon lui, rejoindre le Royaume-Uni, notamment pour trouver des conditions économiques meilleures.
« Ce n’est pas blâmable en soit mais je pense que l’Etat français n’est pas honnête avec ces personnes : les disperser sur le territoire de cette manière fait simplement disparaître ce point de fixation qu’était Calais en répartissant les problèmes sur une zone plus large », estime-t-il. Il s’interroge aussi sur la temporalité de la décision du démantèlement :
« L’évacuation arrive après des années d’existence de cette situation et à quelques mois des élections présidentielles (mai 2017). Sans être paranoïaque, je me demande s’il n’y a pas une coïncidence troublante ? Et pourquoi l’Etat s’obstine à vouloir jouer ce rôle de garde frontière du Royaume-Uni qui est par ailleurs sorti de l’Union européenne depuis peu ? »Pour lui, l’Etat ne joue pas son rôle en matière de politique migratoire et d’intégration, en transférant ses responsabilités aux collectivités.
« Cette politique accentuera les tensions entre les Français mais aussi les résidents qui sont depuis très longtemps sur notre territoire, parfois encore en difficulté, qui voient arriver de nouvelles personnes. On hystérise les rapports sociaux. »
Une analyse que ne partage pas la ville de Sainte-Ménehould, qui, elle aussi, a accueilli des réfugiés syriens à l’automne dernier.
« Lorsque l’Etat a interrogé les communes pour accueillir des migrants de Calais il y a environ un mois, c’est tout naturellement que nous avons tendu la main, prêts à prendre notre part de l’effort ». Tellement naturel que la municipalité n’a pas communiqué auprès de ses administrés, considérant l’accueil de
« ces personnes en difficulté » au même titre qu’une délégation de chefs d’entreprise ou de touristes. Contrairement à d’autres municipalités, comme celle de Rimogne (Ardennes) où le maire PS Gregory Truong a préféré adresser un
courrier aux habitants pour les informer de l’ouverture d’un CAO
« temporaire » dans la commune.
A Sainte-Ménehould, d’autres migrants sont attendus dans la semaine. Ils seront logés dans un gîte communal capable d’accueillir une dizaine de personnes. Les premiers arrivants sont, eux, hébergés depuis lundi 24 octobre dans cinq appartements du Foyer Rémois, bailleur social de la ville, qui a accepté de transformer ses logements disponibles en CAO.
« Nous mettons toujours en avant les valeurs républicaines : Liberté, Egalité, Fraternité. C’est bien beau de les afficher, c’est encore mieux quand on les exerce », souligne le maire Bertrand Courot.
« Nous mettons toujours en avant les valeurs républicaines : Liberté, Égalité, Fraternité. C’est bien beau de les afficher, c’est encore mieux quand on les exerce »
Quel avenir ?
Sur le plan administratif, une fois dans leur CAO, les migrants avec l’aide de l’Etat, vont pouvoir lancer une demande d’asile.
« Nous, nous allons essayer de créer les conditions pour que ces personnes chargées d’histoire et probablement de compétences et de savoir-faire, puissent, si elles le souhaitent, rester en France, travailler et retrouver leur dignité », annonce Bertrand Courot, avec déjà une idée en tête :
« Nous avons des projets de développement économiques dont la création d’un parc médiéval susceptible de créer entre 450 et 500 emplois. Dans un bassin faiblement pourvu en ressources humaines – Sainte-Ménehould compte 5000 habitants –
je pense qu’il peut y avoir une place pour des personnes volontaires et travailleuses », affirme-t-il.
A Charleville-Mézières, les perspectives d’intégration posent plus question :
« Dans la situation actuelle d’emploi, je ne vois pas ce qu’on pourra leur offrir », considère Boris Ravignon.
« Pour des personnes qui n’ont pas la maîtrise de la langue et de qualifications en rapport avec les besoins économiques locaux, c’est un non sens de les faire venir. L’Etat va donc prendre cette situation en charge, seul. »Malgré son opposition, le maire n’oublie pas ses engagements d’élus de la République, à une condition :
« si les autorités françaises considèrent que ces personnes ont droit au statut de réfugié, la situation de notre point de vue sera différente. Même si les choses ne seront pas plus faciles, nous aurons des devoirs vis-à-vis d’elles et nous essaierons de leur faire une place. »