Fil d'Ariane
Des milliers de personnes se sont rassemblés samedi 24 décembre à Paris en hommage aux trois Kurdes tués la veille, près d'un centre culturel kurde de la capitale. Des heurts ont éclaté entre manifestants et forces de l'ordre en marge de la manifestation.
Des milliers de personnes se sont rassemblés dans le centre de Paris, place de la République, en hommage aux trois personnes tuées la veille lors d'une fusillade.
"Ce qu'on ressent, c'est de la peine et de l'incompréhension parce que ce n'est pas la première fois que ça arrive", a déploré Esra, les yeux rougis par les larmes. Une minute de silence a été observée, en musique, à la mémoire des victimes et de "tous les Kurdes morts pour la liberté". Plusieurs manifestants ont dénoncé une "injustice" et un acte "terroriste" et "politique."
Vers 13h00, une heure après le début du rassemblement place de la République, des débordements ont été observés. Des affrontements ont commencé sur le boulevard du Temple. Au moins quatre voitures ont été renversées, dont au moins une incendiée, et des poubelles brûlées. Quelques dizaines de manifestants ont jeté des projectiles sur les forces de l'ordre qui ont répliqué par des tirs de gaz lacrymogènes. "Vive la résistance du peuple kurde", ont crié plusieurs d'entre eux.
Chaos dans le centre de Paris, des véhicules retournés et incendiés. Affrontements en cours. pic.twitter.com/h5JvCTZo94
— Remy Buisine (@RemyBuisine) December 24, 2022
Le cortège, fort de plusieurs milliers de personnes à l'origine, s'est scindé en deux en raison de ces tensions. Seules quelques centaines de manifestants sont parvenus à rejoindre peu, après 14h00, la place de la Bastille, point d'arrivée du cortège.Dans la foule, de nombreux protestataires agitaient des drapeaux du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) ou à l'effigie de trois militantes kurdes assassinées en janvier 2013 à Paris.
Un peu plus tôt dans la matinée, à Paris, des représentants de la communauté kurde ont été reçus par le préfet de police de Paris, Laurent Nunez.
À la demande du Président de la République et du ministre de l'Intérieur @GDarmanin, le préfet de Police @NunezLaurent recevra les responsables de la communauté kurde, demain à 10h. pic.twitter.com/4bpBKdhVzB
— Préfecture de Police (@prefpolice) December 23, 2022
"Nul doute pour nous que ce sont des assassinats politiques. Le fait que nos associations soient prises pour cible relève d'un caractère terroriste et politique", a affirmé, à l'issue de la rencontre, Agit Polat, porte-parole du Conseil démocratique kurde en France (CDKF). Ce dernier a par ailleurs regretté un "manque sur le plan sécuritaire."
À Marseille, 1.500 personnes, selon la préfecture de police, ont défilé dans le calme en hommage aux victimes à l'appel de l'association de défense des droits des Kurdes Solidarité et Liberté. À Bordeaux, une manifestation a rassemblé dans la calme à la mi-journée quelque 150 personnes dans le centre-ville.
La garde à vue du suspect de 69 ans a été prolongée. Il est soupçonné d'avoir ouvert le feu, vendredi 23 décembre, rue d'Enghien à Paris, dans le Xème arrondissement. Trois Kurdes ont été tués et trois autres personnes ont été blessés, dont une sérieusement, à proximité d'un centre culturel kurde. Il a été maîtrisé par plusieurs personnes dans un salon de coiffure de ce quartier commerçant animé et prisé de la communauté kurde, avant d'être arrêté.
À côté de lui, a été découverte "une mallette" contenant "deux ou trois chargeurs approvisionnés, une boîte de cartouches calibre 45 avec au moins 25 cartouches à l'intérieur", selon une source proche du dossier. L'arme utilisée est un "Colt 45 de 1911" de l'armée américaine "d'apparence usée".
Parmi les victimes, la femme tuée, Emine Kara, était une responsable du Mouvement des femmes kurdes en France, selon le Conseil démocratique kurde en France (CDK-F). Elle avait fait une demande d'asile politique "rejetée par les autorités françaises", selon la porte-parole. Les deux hommes abattus sont Abdulrahman Kizil, "un citoyen kurde ordinaire", et Mir Perwer, un artiste kurde reconnu comme réfugié politique et "poursuivi en Turquie pour son art", selon le CDK-F. Leurs identités a été confirmées par Serhildan, un site d’information sur les luttes au Kurdistan.
L’identité des victimes de l’attaque fasciste contre le centre kurde ce midi à Paris a été partagée.
— Serhildan (@reseauserhildan) December 23, 2022
Emine Kara était la responsable du Mouvement des femmes kurdes en France. pic.twitter.com/O02Va6z6DM
Le suspect, un conducteur de train à la retraite de nationalité française, avait déjà commis des violences avec arme par le passé. Lors de son interpellation du 23 décembre, il a par ailleurs indiqué avoir agi parce qu'il était "raciste." Le mobile a été retenu par les enquêteurs et a été "ajouté" à l'enquête ouverte pour assassinats, tentatives d'assassinats, violences avec arme, et infractions à la législation sur les armes, a annoncé le parquet.
L’homme interpellé a "voulu s'en prendre à des étrangers" et "a manifestement agi seul", a estimé, vendredi 23 décembre, le ministre français de l'Intérieur, Gérald Darmanin. Il était jusqu'alors inconnu des services de renseignements et "n'était pas fiché comme étant quelqu'un de l'ultradroite, a-t-il ajouté. Il n'est pas sûr que le tueur qui a voulu assassiner ces personnes (...) l'ait fait spécifiquement pour les Kurdes." "Rien ne permet à ce stade d'accréditer une quelconque affiliation de cet homme à un mouvement idéologique extrémiste", a, pour sa part, précisé la procureure de Paris, Laure Beccuau.
Retrouvez ma déclaration à la suite de la dramatique fusillade de ce matin. pic.twitter.com/8kdH4V5ZzP
— Gérald DARMANIN (@GDarmanin) December 23, 2022
Le tireur présumé avait été mis en examen en décembre 2021 pour violences avec armes, avec préméditation et à caractère raciste, et dégradations pour des faits commis le 8 décembre 2021. Il était soupçonné à l'époque d'avoir blessé à l'arme blanche des migrants sur un campement à Paris et d'avoir lacéré leurs tentes. Après un an en détention provisoire, il a été remis en liberté le 12 décembre 2022, comme l'exige la loi française, et placé sous contrôle judiciaire, selon la procureure.
Il avait par ailleurs été condamné, en 2017, à six mois de prison avec sursis pour détention prohibée d'armes et, en juin dernier, à douze mois d'emprisonnement pour des violences avec armes commises en 2016. Il a fait appel de cette condamnation.
Le matin des faits, "il n'a rien dit en partant (...) Il est cinglé. Il est fou", a déclaré son père qui le décrit comme "taiseux" et "renfermé."