L’incendie du squat de l’impasse Roche à Pantin (région parisienne) qui a tué 4 migrants tunisiens et 2 migrants égyptiens, dans la nuit du 27 au 28 septembre, est un signal funeste. L’urgence humanitaire est criante pour ces jeunes réfugiés, depuis que le foyer Aurore à Paris a cessé tout hébergement début septembre. Notre journaliste a rencontré un migrant tunisien rescapé.
Abder : “On est vraiment traités comme des chiens ici, la France ne nous laisse pas travailler, pas dormir, bientôt elle ne nous laissera pas manger“
Abder était l’un des 15 à 30 squatteurs permanents. Il a accepté de témoigner au cabinet de maître Samia Maktouf, avocate tunisienne engagée dans la défense et l’aide aux migrants depuis le printemps. « J’y étais depuis deux mois dans ce squat, on avait pas le choix, ils ne voulaient plus de nous au foyer Aurore. C’est Mekader qui avait nettoyé les salles, tout organisé, c'est lui accueillait les nouveaux, et c’est lui qui est mort… » Abder est à la fois en colère et abattu, il vient de finir de manger un sandwich qu’une assistante du cabinet de maître Maktouf lui a apporté et regarde autour de lui avec un air de quelqu’un qui ne sait plus à quoi se raccrocher.
Il reprend : « On venait tous du même endroit, de Ramadan, au sud, près de la frontière avec la Libye. Ils ont fait une manifestation là-bas hier soir, parce qu’ils ne comprennent pas que personne ne fasse rien pour nous ! » Sur l’incendie et comment il y a échappé, il explique : « Je travaille la nuit, et mardi je suis parti vers 22h. A 3h on m’a relayé. En fait, je fais la queue à la préfecture pour vendre la place à ceux qui ne peuvent pas attendre toute la journée. On est 5 à se relayer et on partage le prix de la place, entre 5 et 7 euros chacun. Après je suis allé à l’ouverture du marché, et vers 7h on m’a appelé par téléphone pour me dire qu’il y avait eu le feu au squat .» La police était sur place et a dispersé tous ceux qui étaient encore sur place, sauf un migrant, le frère de Mekader, qui a été placé en garde à vue parce qu’il ne voulait pas obtempérer.
Abder explique que la police et la mairie connaissaient le squat : « ils sont déjà venus, le propriétaire nous avait prévenus, on les a même croisés, la police et les gens de la mairie. Ils voulaient faire un constat, et ils ont vu nos affaires, ils savaient qu’on vivait là. On avait ni eau, ni électricité, pas de fenêtres. On avait des bougies, et c’est ça qui a mis le feu ». Maître Samia Maktouf ne décolère pas face à ce drame qui aurait pu être évité selon elle : « Les autorités savaient très bien qu’ils étaient dans ce squat et elles n’ont rien fait. Ces jeunes sont exploités électoralement, on les disperse depuis le 31 août alors qu’ils sont dans un état de désarroi physique et psychologique terrible ! Le but est qu’ils disparaissent. Comment est-il possible de se réjouir des révolutions arabes et de laisser cette situation migratoire issue d’un conflit se dégrader de la sorte ? Ils venaient tous de villes proches de la Libye, les autorités françaises doivent répondre à ça. Je compte porter plainte pour tentative d’homicide involontaire et non assistance à personnes en danger.» Abder a besoin de parler, de décrire sa situation et celle de ses compatriotes d’infortune. On sent dans sa voix qu’il est au bout du rouleau : « On est vraiment traités comme des chiens ici, la France ne nous laisse pas travailler, pas dormir, bientôt elle ne nous laissera pas manger. On est bien éduqués, on essaye de s’insérer, j’ai acheté une carte de transport avec une partie de mes ventes de places, je ne comprends pas ce qu’il faut qu’on fasse. » Sur sa situation en Tunisie, Abder explique qu’à force de voir des voisins aisés qui vivaient en France venir passer leurs vacances à côté de chez lui, il a fini par craquer et s’est lancé dans le voyage : « il n’y a pas de travail en Tunisie. La France a soutenu le gouvernement de Ben Ali mais elle ne veut pas soutenir la Tunisie libre. »
Repères
L’association Aurore a ouvert le 3 mai 2011 pour trois mois un centre d’hébergement pour accueillir les migrants tunisiens arrivés en France suite à la révolution tunisienne. Ils sont un peu plus de 140 à être hébergés rue du Faubourg Saint-Honoré. L’association Aurore a pour buts la réinsertion sociale et professionnelle de personnes en situation d’exclusion et/ou de précarité.