Fil d'Ariane
Les deux fronts sociaux les plus urgents sont ceux des ordures ménagères qui s’amassent dans Paris et plusieurs autres villes en raison des arrêts de travail des éboueurs ou du personnel des incinérateurs, à l’appel de la CGT. La maire socialiste de Paris Anne Hidalgo, qui a promis l’évacuation ce vendredi de toutes les poubelles remplies jusqu’à ras-bord, a rouvert une brèche politique dans la ligne de fermeté du gouvernement, en appelant à une réécriture du fameux article 2 du projet de loi contesté sur la réforme du code du travail, qui prévoit «d’inverser les normes» en donnant à l’avenir la priorité aux référendums au sein des entreprises plutôt qu’au niveau des branches.
Côté transports, le ministre Alain Vidalies a pour sa part évoqué pour la première fois depuis le début du conflit des réquisitions possibles de trains de banlieue pour acheminer une grande partie des 80 000 spectateurs attendus ce soir au Stade de France, au nord de Paris. Tout en affirmant que «la perturbation de l’Eurofoot n’est pas un objectif en soi», la CGT Cheminots, Sud Rail et Force Ouvrière ont entamé des débrayages sur les lignes de desserte de ce complexe où les «Bleus» avaient, en 1998, remporté la Coupe du monde de football.
Un troisième front devrait être ouvert ce week-end par les pilotes d’Air France qui, pour des raisons internes à l’entreprise et sans rapport avec le texte controversé, vont aussi débrayer. Le pourcentage des vols maintenus ou annulés n’était pas clair à l’heure d’écrire ces lignes, ce vendredi matin. De quoi inquiéter au plus haut niveau de l’Etat, même si l’état d’urgence en vigueur donne une très grande latitude d’intervention aux forces de l’ordre. Le premier ministre français Manuel Valls, résolu à ne pas céder, avait indiqué jeudi qu’il n’excluait «aucune hypothèse» pour permettre aux millions de fans attendus en France de se déplacer pour suivre les 24 équipes en lice. Le président François Hollande a, lui, appelé au «sens des responsabilités».
La question toujours délicate du hooliganisme hante aussi cet Eurofoot. L’un des matchs les plus redoutés pour les affrontements entre supporters sera celui qui opposera, à Marseille, l’Angleterre à la Russie, samedi. Des bagarres ont déjà éclaté jeudi soir sur le Vieux-Port. L’équipe de Suisse, basée à Montpellier, jouera, elle, son premier match à Lens samedi contre l’Albanie. Un concert aura lieu ensuite, à l’initiative des ambassades de Suisse et d’Albanie en France, au Louvre-Lens. Une fan-zone helvétique, conçue par Présence Suisse, est par ailleurs ouverte durant tout l’Euro au Wanderlust, un club parisien situé quai d’Austerlitz, face à la gare de Lyon, où tous les matchs de la Nati seront retransmis en direct avec animations à l’appui.
La CGT et les autres syndicats hostiles au projet de loi sur la flexibilité du travail risquent gros en perturbant le début d’une compétition très attendue pour redonner le moral à un pays toujours en convalescence après les attentats du 13 novembre 2015 contre le Stade de France, le Bataclan et les terrasses de café parisiennes.
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La nette baisse des arrivées de visiteurs étrangers depuis le début de l’année, ainsi que les complications économiques engendrées par le conflit social (problèmes de ravitaillement en essence, actions commandos des grévistes sur les rails et dans les ports…) n’ont fait qu’accroître le marasme économique ambiant, même si le taux de croissance hexagonal devrait atteindre 1,5% en 2016, et si une timide baisse du chômage officiel est constatée depuis trois mois. Il est néanmoins peu probable que le premier syndicat français dirigé par Philippe Martinez se montre conciliant avant sa huitième journée de mobilisation le 14 juin, alors que la première semaine de l’Eurofoot battra son plein.
La participation aux manifestations du 28 mai dernier avait été en baisse, et les sondages montrent qu’une majorité de Français ne souhaitent pas voir la compétition prise en otage d’autant que le second syndicat français – la CFDT, qui talonne la CGT – a opté lui pour la voie de la négociation et soutient le texte actuellement discuté au Sénat après avoir été adopté en urgence au début mai par l’Assemblée nationale. La réalité des rapports de force, toujours prédominants dans une France rétive au dialogue social et au compromis, plaide en revanche pour un durcissement, vu les fractures de la gauche, et le positionnement de François Hollande en candidat putatif aux présidentielles de 2017.
Le chef de l’Etat français profiterait à coup sûr d’un succès des «Bleus» entraînés par Didier Deschamps – et donnés parmi les équipes favorites avec l’Espagne, l’Allemagne et la Belgique – lors de cet Eurofoot qui, s’il se déroule finalement bien, pourrait incarner le début de ce réveil tant attendu d’une France assommée et exténuée par la menace terroriste et les convulsions sociales.
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